Qu’est-ce que l’économie comportementale ?
C’est un champ de la science économique fondée sur l’idée que l’homme est influencé par ses émotions, son entourage, des biais cognitifs et des raccourcis mentaux au moment de la prise d’une décision. L’hypothèse principale est l’irrationalité des réactions humaines, contrairement à ce que dit la théorie économique classique de la rationalité des humains et de leurs choix optimaux en toute situation.

Quel est l’intérêt des études comportementales ?
L’application de l’économie comportementale à la sphère de la politique et de l’intérêt général est une innovation récente qui a vocation à transformer la façon dont les gouvernements fonctionnent, conçoivent les lois publiques et offrent leurs services. Souvent, les décideurs adoptent des lois et des régulations qui, par la suite, ont un impact faible ou négatif sur des milliers de citoyens. Les études comportementales expliquent cela par le fait que la conception et l’exécution de ces lois ne prennent souvent pas en compte le comportement humain. D’où l’intérêt d’en avoir une meilleure compréhension pour les intégrer à la conception des politiques. Les essais contrôlés randomisés (ECR) sont, parmi d’autres, des instruments d’expérimentation basés sur la réalité qui servent souvent aux études comportementales.

Que veut dire Nudge ?
Une unité Nudge (littéralement : coup de pouce) est souvent mobilisée en complément des outils traditionnels, que ce soit en matière de réglementation, d’incitations, etc. C’est un mode d’intervention simple, à coût réduit, qui permet de provoquer des changements comportementaux au niveau des citoyens, des usagers et des consommateurs sans limiter leur choix. On compte déjà une quinzaine d’unités gouvernementales Nudge opérationnelles dans le monde ; d’autres devraient voir le jour prochainement. Elles conduisent des expériences politiques et utilisent pour cela des outils fondés sur des données concrètes, comme par exemple, les essais contrôlés randomisés.

Quel est l’impact de ces Nudge ?
Il y a plusieurs exemples d’expériences réussies. En 2013, le Behavioral Insights Team (BIT) au Guatemala a réussi, en envoyant des rappels modifiés faisant référence aux normes sociales et à la conformation aux règles des autres citoyens, à augmenter de 30 % le nombre de contribuables s’acquittant de leurs impôts. Une autre expérience conduite par l’unité Nudge de Nouvelle-Galles du Sud, en collaboration avec le BIT, a augmenté de 21 % le taux d’acquittement des peines d’amendes en Australie en ajoutant un tampon “Pay Now !” bien visible sur les avis envoyés, incitant à un appel à l’action. Autre exemple : un groupe de chercheurs a plus que triplé le montant moyen de l’épargne au Kenya, en donnant aux souscripteurs à des plans d’épargne un jeton, sous forme d’engagement, sur lequel ils inscrivent le montant du dépôt hebdomadaire. Une autre intervention comportementale a doublé les minutes de lecture des parents à leurs enfants en utilisant un programme nommé “Parents and Children Together” (PACT) qui pousse les parents à se fixer un objectif de minutes hebdomadaire, leur envoie des rappels quotidiens et des commentaires louant leur performance par rapport à des parents ne participant pas au PACT. Le BIT a aussi conduit une expérience pour promouvoir un mode de vie sain dans une gare en Australie : le nombre de personnes utilisant les escaliers au lieu des escaliers roulants a augmenté de 25 % aux heures de pointe et de 140 % en dehors des heures de pointe.
L’unité Nudge des États-Unis (SBST), en collaboration avec l’administration fédérale, a aidé à améliorer la précision des factures déclarées au fisc, et donc d’augmenter de 1,59 million de dollars en trois mois seulement le montant des recettes fiscales, en déplaçant simplement la signature en haut d’un formulaire en ligne, au lieu du bas. En 2015, le BIT en Australie, en collaboration avec Breast Screen Victoria, a augmenté de près de 18 % le nombre de rendez-vous des femmes pour la détection du cancer du sein par rapport à un groupe de référence, en envoyant des lettres comportant une invitation à planifier l’actualisation de la prise de rendez-vous. Dernier exemple d’une longue liste d’initiatives : en 2016, iNudgeyou au Danemark a réduit les déchets alimentaires dans un buffet de conférence de près de 38 %, en réduisant de 2 cm le diamètre des assiettes.

Qu’en est-il du Liban ?
Selon une étude réalisée par le ministère de l’Intérieur et des Municipalités, le taux moyen de collecte des impôts et des taxes municipaux est d’environ 20 %. Une autre étude réalisée par Bank Audi estime que l’évasion fiscale coûterait à l’État 1,8 milliard de dollars par an, la fraude à la TVA 1,6 milliard de dollars, les factures d’électricité impayées 400 millions de dollars et le défaut d’enregistrement des propriétés acquises 200 millions de dollars. L’amélioration de la collecte de ces impayés contribuerait à l’amélioration de la situation économique et fiscale du pays.
Une expérience pilote a été réalisée au Liban, en collaboration avec Électricité du Liban pour tester l’impact d’une approche Nudge “pour ne pas se contenter uniquement” d’une augmentation des taux nominaux de certaines taxes ou de l’introduction de nouveaux impôts, comme le fait le gouvernement dans son projet de budget pour 2017.

À quels secteurs pourrait s’appliquer cette nouvelle approche au Liban ?
L’ensemble des politiques publiques pourrait en bénéficier. Le Liban fait face à de nombreux défis politiques, économiques, environnementaux et sociaux, qui ont une dimension comportementale importante.
Le ministère de la Santé pourrait par exemple encourager les femmes à faire des tests de dépistage du cancer du sein, le ministère de l’Environnement pourrait mieux gérer le problème des déchets et protéger l’environnement, en réduisant par exemple le taux de génération de déchets ménagers, le ministère de l’Énergie et de l’Eau pourrait réduire la consommation d’eau et d’énergie au niveau des ménages et des institutions, et le ministère de l’Intérieur pourrait encourager les citoyens à se conformer au code de la route.

Quel serait le rôle d’une unité Nudge ?
Il n’y a pas une seule façon de la positionner. En général, elles s’intègrent au plus haut niveau de la hiérarchie gouvernementale, ce qui, au Liban, la placerait au cabinet du président ou du Conseil des ministres, voire dans un des ministères. Pour l’instant, Nudge Lebanon a opté pour une autre option, c’est une association non gouvernementale.

À Saïda, un test sur la collecte des factures d’électricité
En guise de projet pilote, Nudge Lebanon a réalisé en partenariat avec Électricité du Liban une expérience à Saïda en août 2016, afin d’inciter les usagers à payer leurs factures d’électricité le plus rapidement possible.
Généralement au Liban, les abonnés paient leurs factures à des prestataires de service. Selon les régulations de l’Électricité du Liban (EDL), ces factures doivent être payées dans un délai de 40 jours après leur date d’émission ; les prestataires de service chargés contractuellement d’assurer la collecte sont tenus de se rendre auprès des abonnés un maximum de deux fois pour encaisser les sommes dues ou déposer un formulaire de relance. Celui-ci précise la date de la seconde visite et le montant dû. En pratique, plus de 90 % des abonnés de la région concernée paient dans le délai des 40 jours.
L’objectif était donc de relever ce ratio en intervenant uniquement sur le formulaire de relance. Quatre versions différentes ont été distribuées aléatoirement à 429 ménages :
- Le formulaire habituel.
- Le formulaire soulignant les désagréments induits par l’impayé, qui précise les mesures à suivre par l’abonné en cas de non-paiement avant la seconde visite et souligne les frais supplémentaires encourus.
- Le formulaire misant sur l’impact des normes sociales, qui souligne la part élevée d’abonnés payant leur facture à temps. Le message dit : « Plus de 90 % des résidents de votre région paient leur facture à temps, ferez-vous partie de ce groupe ? »
- Le formulaire misant sur le sentiment de fierté nationale, qui instille un sens de la responsabilité, en intégrant le drapeau libanais et en utilisant un langage patriotique. Le message dit :
« Votre pays a besoin de vous, soyez un bon citoyen et payez votre facture à temps. »
Résultats : 55,3 % de ceux qui ont reçu le formulaire “désagrément” ont payé leur facture ; 60,2 % de ceux qui ont reçu le formulaire “norme sociale” ont payé leur facture avant la seconde visite et 61,4 % de ceux qui ont reçu le formulaire “fierté nationale”, soit, respectivement, 4 %, 13 % et 15 % de mieux que le formulaire habituel. Selon Nudge Lebanon, un rappel combinant l’élément de fierté nationale et de normes sociales aurait permis d’atteindre un pourcentage encore plus élevé.