Dans un entretien au Commerce du Levant, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) affiche sa confiance et rassure sur la stabilité de la livre et du secteur bancaire. Riad Salamé évoque également l’ingénierie financière, les défis du secteur immobilier et les sanctions contre le Hezbollah. 

Les craintes quant à la stabilité du système financier n’ont jamais été aussi importantes. Sont-elles fondées ?

Non, elles ne le sont pas. Tous les indicateurs mettent en évidence la solidité du système financier libanais surtout depuis la dernière ingénierie de la BDL et l’amélioration de la conjoncture politique et économique. La livre est stable et la Banque centrale dispose de moyens importants pour la soutenir, avec des réserves en devises ayant dépassé 43 milliards de dollars à la mi-septembre. Mais il existe une volonté délibérée de nuire au secteur et à la stabilité monétaire, voire de le faire crouler. D’où le matraquage contre la Banque centrale et les rumeurs sur une possible dévaluation de la livre. Mais le marché n’a pas réagi à ces campagnes injustifiées, comme en témoigne le taux de dollarisation des dépôts qui a seulement augmenté de deux points de pourcentage en un an.

Le secteur bancaire est-il pour autant toujours résilient ?

Oui, il est aussi résilient qu’avant. Et il ne s’agit pas d’une opinion, mais d’une analyse basée sur trois critères. Le premier est celui de la capitalisation ; le coefficient de solvabilité des banques libanaises s’élève désormais à 15 %, alors que les critères de Bâle III imposent un coefficient de 8 % à l’horizon 2018. Les établissements locaux sont également en phase avec toutes les normes internationales, dont l’IFRS9. Le deuxième critère est la profitabilité des banques, qui reste positive même si celle-ci a ralenti au cours des dernières années, au vu de la conjoncture générale. Enfin, le troisième paramètre est l’aptitude des banques à maîtriser les risques. Or, celle-ci reste ample, comme en témoigne le niveau de diversification des portefeuilles bancaires ainsi que le niveau de dettes non performantes, qui n’ont que légèrement augmenté en dépit du ralentissement du secteur immobilier.

À propos de diversification, certains affirment justement que 60 % des actifs bancaires sont composés d’instruments de dette publique, et que le niveau d’exposition du secteur à l’État est dangereux.

Ce n’est pas vrai. Ceux qui ont avancé ce chiffre ont basé leur calcul sur des estimations erronées en ajoutant à la dette publique les certificats de dépôts émis par la Banque centrale. Il s’agit d’une hérésie. Lorsqu’un certificat est émis, il existe un dépôt en face. Et ce dépôt n’est pas forcément investi dans la dette de l’État. Il ne s’agit donc pas d’une exposition à la dette publique. La dette détenue par les banques s’élève à 39 milliards de dollars et les portefeuilles bancaires sont composés de divers actifs hors dette publique.

La recapitalisation des banques n’est-elle pas artificielle ? N’est-ce pas le résultat de l’opération de swaps menée l’an dernier par la BDL ?

L’ingénierie financière de la BDL a en effet contribué à renforcer le capital des banques. Mais elles ont été recapitalisées à partir d’avoirs qu’elles détenaient. Cela a permis de créer une expansion monétaire, de renflouer les actifs de la BDL et d’engendrer des revenus injectés par les banques dans leur capital. Nous avons d’ailleurs exigé une capitalisation de ces fonds. Cela s’est produit à travers une opération transparente d’achat par la Banque centrale des bons du Trésor détenus par les banques et le paiement en avance de 50 % des intérêts propres à ces obligations.

 Certaines banques n’ont-elles pas néanmoins profité pour augmenter leurs bénéfices ?

C’est une affirmation exagérée. Les profits du secteur bancaire n’ont augmenté que de 100 millions de dollars en 2016 par rapport à 2015, tandis que les actions bancaires n’ont pas connu d’évolution particulière. 

L’ingénierie visait-elle au départ à recapitaliser certaines banques en difficulté ?

Absolument pas. Aucune banque n’était en mauvaise posture. Certaines étaient peut-être stagnantes, mais pas en difficulté. Trente-huit d’entre elles ont d’ailleurs participé à l’opération. À l’époque, trois indicateurs m’ont poussé à agir : le ralentissement des dépôts, une balance des paiements déficitaire et des réserves en dollars en baisse. Le Liban était dans une mauvaise situation économique et politique, et les agences menaçaient de revoir à la baisse la notation souveraine et celle de plusieurs banques. Le niveau des réserves de la BDL n’était peut-être pas alarmant, mais nous ne pouvons pas appliquer une logique comptable au domaine monétaire. Il s’agit d’une configuration dynamique. Nous avons donc agi par principe de précaution et d’anticipation, d’autant que nous ne savions pas à l’époque que l’élection présidentielle allait se tenir en octobre. La paralysie politique aurait pu durer plus longtemps. Pour renforcer la confiance, il fallait doper les réserves en devises de la BDL et relancer la croissance des dépôts, sans augmenter les taux d’intérêt, sachant que la hausse d’un point de pourcentage génère un coût de 1,3 milliard de dollars pour l’économie, si l’on combine dette privée et dette publique. Nous savions aussi que le secteur bancaire aurait besoin d’être capitalisé à hauteur de 2,5 milliards de dollars en l’espace de deux ans pour être en conformité avec les nouvelles normes internationales. Dans le contexte de l’époque, sans l’intervention de la BDL, nous aurions eu besoin de cinq milliards de dollars pour recapitaliser les établissements locaux.

Pourquoi ne pas avoir pris une participation dans les banques en échange de l’injection de capitaux ?

La Banque centrale ne peut pas acheter d’actions au sein des banques, de par la loi. Elle peut seulement avoir une mainmise sur une banque dans des cas très particuliers.

Y aura-t-il de nouvelles ingénieries ?

L’ingénierie de 2016 ne sera pas rééditée, d’abord parce qu’il n’y a plus de raison de le faire, ensuite parce que les banques elles-mêmes n’ont plus les outils pour exécuter une nouvelle opération.

Le ralentissement immobilier ne risque-t-il pas de se répercuter sur le secteur bancaire et le niveau des créances douteuses ?

Nous avions émis une circulaire permettant aux banques de récupérer partiellement le patrimoine immobilier d’un agent en difficulté sans le classifier, ce qui garantit une pérennité de la ligne de crédit accordée à ce dernier, à condition toutefois qu’il rembourse les intérêts, tout en assurant une certaine sécurité aux banques.

La BDL ne freine-t-elle pas une réelle correction du marché immobilier ?

Nous ne sommes pas intervenus sur l’offre et la demande, et n’avons accordé aucune subvention aux promoteurs. Nous voulions seulement éviter une dégradation de la situation immobilière qui pourrait affecter le secteur bancaire, d’où la flexibilité instaurée au niveau du remboursement des crédits immobiliers. La seule mesure que nous avons prise, en revanche, est d’augmenter le plafond du prêt logement subventionné à 1,2 milliard de livres pour soutenir la demande et aider les Libanais à devenir propriétaires. Cela dit, la correction sur le marché a lieu, comme en témoigne la baisse des prix.

Le FMI a récemment souligné l’urgence de placer l’économie libanaise sur une trajectoire viable. N’est-ce pas un avertissement ?

L’institution visait dans sa mise en garde la politique budgétaire du pays et non la politique monétaire, qu’elle a d’ailleurs applaudie. En effet, il y a urgence à assainir les finances de l’État et de réduire la dette publique. Cela réduirait en tout cas la pression sur le secteur bancaire et la BDL. Quand l’économie ne croît pas, les créances douteuses ont tendance à augmenter et la Banque centrale doit doubler d’efforts pour préserver la stabilité des taux d’intérêt lorsque le déficit public se creuse.

 Les nouvelles sanctions américaines contre le Hezbollah risquent-elles d’avoir une incidence sur le secteur ?

Nous avons mis en place tous les mécanismes permettant au Liban de se conformer à la loi américaine. Les nouvelles mesures prévues contre le Hezbollah ne vont pas impliquer des amendements supplémentaires. Le dispositif est déjà suffisant. Il n’y aura donc aucune incidence, sachant que les États-Unis n’ont aucune intention de déstabiliser le secteur bancaire libanais. Celui-ci est d’ailleurs beaucoup moins touché par le de-risking que dans d’autres pays du monde et maintient des liens forts avec les banques correspondantes.