Lamia Joreige avait envisagé un temps de travailler autour d’un Beyrouth de science-fiction. On imaginait alors une ville postapocalyptique aux couleurs orangées, comme le Los Angeles du dernier Blade Runner 2049, tant la région semble propice aux rêveries de fin du monde. Mais l’artiste en a décidé autrement. Ce qu’elle propose à la galerie Marfa’ est davantage une autopsie d’une ville, au travers de ses friches urbaines, là où se devine souvent le futur d’une ville. Après son travail sur Mathaf (2013), deux quartiers retiennent cette fois son attention : celui du Fleuve et Ouzaï. Dans sa vidéo “After the river” (2016), elle interroge ainsi l’identité des rues tout autour de Souk el-Ahad, un “quartier” défiguré, à la population désemparée, sans plus de futur que celui de sa vacuité. « Je n’aurais jamais imaginé que le fleuve puisse attirer autant de gens pour y vivre », s’étonne l’un des propriétaires des terrains dans cette vidéo. Pour Lamia Joreige, ces friches urbaines gardent, mieux que n’importe quel autre espace, la mémoire de la ville. Elles les incarnent dans cette superposition forcée où passé, présent et futur se télescopent, sans aucune continuité ni linéarité. Dans cette juxtaposition sauvage, Lamia Joreige puise une étonnante poésie. Sa série de pastels, dans lesquels elles dessinent le lit du Fleuve de Beyrouth, possèdent une douceur, une “forme de féminité” quasi médicale, dont on avait perdu l’habitude. Même lorsqu’on comprend que ces “tâches”, qui en parsèment les méandres, figurent les localisations des dépotoirs de déchets qui empuantissent le véritable paysage. On reste davantage sur sa faim en ce qui concerne le dernier travail présenté à la galerie Marfa’ autour des transformations d’Ouzaï. Si le propos fait sens, son résultat esthétique – des cartes d’époques différentes, témoin de l’urbanisation sauvage de ce quartier né avec la guerre – semble ne pas parvenir à s’émanciper de la gangue urbaine qu’elle décrit.

Galerie Marfa’, marfaprojects.com, jusqu’au 19 décembre.