Un article du Dossier

Les voitures d'entrée de gamme et de luxe soutiennent le marché

C’est une phrase que l’on répète comme un mantra dans les coulisses des concessionnaires automobiles : « Le secteur va mal. » Après quatre années de hausses consécutives (+20,6 % entre 2011 et 2015), l’année 2016 a marqué un coup d’arrêt, avec une baisse des ventes de véhicules neufs (particuliers et utilitaires) de 6,7 % par rapport à 2015. Cette année, le volume des ventes semble se stabiliser, mais l’humeur reste morose. Les concessionnaires ont écoulé 27 293 véhicules au cours des huit premiers mois de 2017, soit un recul de 0,2 % par rapport à la même période il y a un an. La baisse est un peu plus marquée pour les voitures de loisirs (-0,7 % en rythme annuel) qui dominent le marché, tandis que les ventes d’utilitaires ont augmenté de 7,7 % sur un an (1 930 véhicules vendus en huit mois). Ces données, publiées par l’Association des importateurs d’automobile (AIA), ne permettent toutefois pas de préjuger de la variation du chiffre d’affaires du secteur. À en croire les concessionnaires, la baisse des ventes est plus importante en valeur qu’en volume, en raison d’une conjoncture économique difficile à la fois au Liban et dans la région. « Les remises des expatriés dans les pays du Golfe, et même en Afrique, qui constituent un pilier de l’économie libanaise, ont baissé et cela se ressent au niveau des budgets des clients », affirme Assaad Raphaël, distributeur de Porsche.

En l’absence d’un réseau de transports publics efficace et structuré, et donc d’une réelle alternative, la baisse du pouvoir d’achat des Libanais se traduit moins par un recul des ventes que par un effet substitution, qui profite naturellement aux voitures bon marché. « Environ 90 % des ventes portent désormais sur des véhicules de moins de 15 000 dollars », avance Sélim Saad, conseiller de l’AIA, sans qu’aucune statistique officielle ne puisse corroborer ses affirmations. La ventilation par marque confirme toutefois la tendance.

Avec des modèles sous la barre symbolique des 10 000 dollars, les coréennes dominent les nouvelles immatriculations. À lui seul, le constructeur Kia distribué par le groupe Dagher Hayeck (Sofidal) a raflé 20,9 % du marché en écoulant 5 300 véhicules neufs entre janvier et août 2017. Il confirme sa place de numéro un des ventes au Liban pour la huitième année consécutive. Il est suivi par Hyundai (3 274 unités, 12,9 % de parts de marché) dans le portefeuille de Century Motor Company. « La voiture retrouve son côté purement utilitaire, analyse Dayala Dagher Hayeck, chez Kia. Le client payait autrefois pour la marque, aujourd’hui il veut simplement un véhicule fonctionnel, avec une garantie et de faibles coûts d’entretien. Nous travaillons sur la meilleure combinaison d’options avec des offres promotionnelles. Le secret, c’est d’être en mesure d’adapter son offre au plus vite aux évolutions du marché. »

Globalement, les voitures de loisirs asiatiques continuent de dominer le marché libanais. Les japonaises – représentées au Liban par onze constructeurs – occupent la première place avec 9 327 unités vendues sur les huit premiers mois de l’année, soit 37 % de parts de marché. Elles sont talonnées par les coréennes (34 %) avec 8 604 unités. « Les constructeurs asiatiques parviennent à proposer beaucoup d’options sur des voitures à bas prix, ce qui est un argument de poids dans le contexte actuel, décrypte Émile Mabro, directeur général du groupe Kettaneh. Ils jouent sur des petits détails comme le nombre de couches de peinture ou l’épaisseur de l’acier. Cela leur permet de faire des économies sur les coûts de production et donc de vendre moins cher. » Malgré un recul de 1,9 % sur un an, les constructeurs européens (20 % de parts de marché) gardent leur troisième rang devant les voitures américaines (8 %).

Dernières arrivées sur les routes libanaises, les voitures chinoises encore peu représentées (1 % de parts de marché) poursuivent leur progression avec une hausse des ventes de 89 % sur les huit premiers mois de l’année 2017 par rapport à la même période en 2016. Un des symboles de cette percée, la marque BAIC Xianxiang (+189 % en un an) qui s’est engouffrée sur le segment des compact crossovers, l’une des tendances de ces dernières années. « Nous sommes en phase avec le marché », indique Jeff Mourad, responsable des ventes chez Bazerji Motors SAL, qui propose le Senova X25, un compact crossover à 12 900 dollars hors taxes et options comprises. « Le plus difficile est d’installer ces nouvelles marques dans le paysage libanais, estime le concessionnaire. Il nous faut aussi inciter certains établissements bancaires réticents à prêter aux acheteurs des voitures chinoises, parfois perçues comme non solvables. »

Le luxe tire son épingle du jeu

Si les voitures d’entrée de gamme résistent mieux que les autres, c’est aussi le cas du segment du luxe et du “premium” avec des véhicules qui démarrent à 100 000 dollars et qui représentent environ 2 % des ventes. En août, le constructeur italien Maserati enregistrait une hausse de ses ventes de 52 % en comparaison à la même période l’année dernière. « Le marché de l’automobile haut de gamme exige une attention particulière portée au client par l’initiation au produit, la personnalisation des modalités de livraison et surtout un service après-vente de qualité supérieure », estime Nabil Bazerji, directeur de G.A. Bazerji & Sons LLC. Preuve de la confiance des constructeurs sur ce segment, l’arrivée le mois dernier au Liban du britannique McLaren dans le portefeuille de Rymco. Avec un prix de départ de 316 000 dollars hors taxes, le groupe britannique espère écouler une vingtaine de véhicules par an (voir n° 5693 du Commerce du Levant).

Le moyen et haut de gamme en difficulté

Les véhicules de moyen de gamme (entre 15 000 à 50 000 dollars) et de haut de gamme (jusqu’à 100 000 dollars) en revanche ont du mal à séduire. Sur ces segments, les ventes des icônes historiques sont en recul sur les huit premiers mois de l’année : (-30 % pour BMW, -8 % pour Mercedes et -11 % pour Volkswagen). Pour encaisser le choc, les concessionnaires négocient davantage avec leurs usines, jouent sur des offres promotionnelles agressives et concluent des partenariats avec les établissements bancaires pour faciliter les prêts. « On devient très créatif au niveau des offres financières avec l’ajout d’années de garantie, des intérêts réduits ou des paiements différés », note Assaad Raphaël. Si les budgets consacrés au marketing restent sensiblement les mêmes – entre 3 et 4 % du chiffre d’affaires chez la majorité des concessionnaires interrogés –, les importateurs repensent leur stratégie. « Nous privilégions désormais l’événementiel plutôt que la publicité de masse, explique Émile Mabro. Il faut redonner de la visibilité à notre marque et faire essayer nos voitures au public partout où nous le pouvons », détaille-t-il. « On vend plus, mais les marges de bénéfices sont moindres », concède Fayez Rasamny, qui détient les marques Infiniti et GMC, dont les ventes ont bondi respectivement de 25,6 % et 115 % en août par rapport à la même période il y a un an.

Pour générer des marges, certains concessionnaires avouent, sous couvert d’anonymat, se tourner vers l’export. « Nous profitons d’avantages promotionnels en négociant un certain volume auprès des constructeurs, avec des prix qui peuvent baisser jusqu’à 20 % ou 25 %, raconte l’un d’entre eux. Les voitures arrivent au port de Beyrouth, puis elles sont réexportées vers d’autres pays. » « Il ne s’agit pas d’une grosse part de notre activité, mais c’est intéressant », avoue un autre acteur, qui réexpédie sa marque vers les pays du Golfe, d’Afrique ou en Chine. « L’instabilité du Liban fait qu’on doit toujours être prêt à se déployer ailleurs, justifie-t-il. Cela ouvre d’autres marchés, comme celui des pièces de rechange. »

Autre bouffée d’oxygène pour le secteur : l’emballement des crédits. « Les banques font beaucoup d’offres de crédits », remarque par exemple Sélim Saad, qui salue par ailleurs le plan de relance en gestation de la Banque du Liban de plus d’un milliard de dollars qui devrait avoir des retombées positives sur le secteur. « On peut négocier des intérêts à taux bas avec les banques, à 3 ou 4 % dans le cas par exemple de l’achat d’une salle d’exposition (showroom) », relève de son côté Fayez Rasmany.

Un parc automobile vieillissant

Au-delà des facteurs conjoncturels, les concessionnaires bénéficient d’un avantage structurel de taille : l’exclusivité des marques distribuées, qui limite la concurrence. « C’est une situation de privilège énorme », reconnaît l’un d’entre eux. Mais il y a aussi des freins au développement du secteur, ajoute l’Association des importateurs d’automobiles. Fin 2016, cette dernière recensait 1 588 000 voitures immatriculées au Liban. « Le problème est que 680 000 d’entre elles ont plus de 20 ans », déplore Sélim Saad. Selon lui, la législation particulièrement laxiste sur les importations permet l’entrée au Liban de voitures ayant jusqu’à huit ans d’ancienneté et mises en circulation sans aucun contrôle, avec toutes les conséquences environnementales et sanitaires que cela comporte (le trafic routier figure, avec les générateurs électriques en tête des premières causes de pollution de l’air). Pour renouveler le parc automobile, les acteurs du secteur en appellent à une réforme de la fiscalité sur les voitures neuves trop lourde, selon eux. « Dans le cas d’une voiture qui arrive à Beyrouth avec une valeur, coût, assurance, fret (CIF) de 9 000 dollars, le montant total des taxes représente 44 % de sa valeur », déplore l’AIA. Les véhicules sont soumis à des droits de douane variables selon le prix du véhicule (20 % en dessous de 13 300 dollars et 50 % au-dessus), des frais d’enregistrement (5,3 % du prix de vente) et enfin la TVA, dont l’augmentation d’un point (de 10 à 11 %) a été votée par le Parlement le 9 octobre. L’entrée en vigueur de la mesure le trimestre suivant l’application de la loi – soit pour le moment le 1er janvier 2018 – devrait cependant avoir un effet limité sur le secteur, estime César Aoun (Mercedes, Smart). « Certains clients vont certainement tenter d’accélérer l’achat d’un nouveau véhicule avant l’application de la mesure, mais hormis l’effet émotionnel des premiers mois une fois l’augmentation effective, les conséquences ne devraient pas être trop significatives. » Chez T. Gargour & Fils, la différence sera par exemple de 100 dollars supplémentaires pour l’achat d’un coupé Mercedes GLE d’une valeur de 100 000 dollars.

C’est surtout au niveau des droits de douane que le secteur aimerait voir l’État faire un effort, en lui suggérant d’autres sources de taxation. « Sur les 1 588 000 voitures immatriculées, 613 000 n’ont ni passé le contrôle technique ni payé la taxe mécanique. Durcir le contrôle permettrait au Trésor public de récupérer entre 60 et 70 millions de dollars », plaide le conseiller de l’AIA. Autre mesure avancée : l’introduction d’une prime à la casse qui inciterait le consommateur à se tourner vers le neuf et sortirait de la circulation les véhicules les plus anciens.

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