Îles des Caraïbes ou pays européens, de plus en plus d’États offrent leur citoyenneté en échange de quelques centaines de milliers de dollars. Un prix que certains Libanais n’hésitent pas à payer.

Voyager à l’étranger quand on est libanais n’est pas toujours possible. Le passeport bleu frappé du cèdre ne donne accès qu’à 37 pays sans visa, contre 158 pays pour un passeport allemand par exemple. Pour la plupart des destinations, des démarches administratives doivent être engagées auprès de l’ambassade concernée, sans aucune garantie de résultat. D’où l’idée d’acheter un second passeport. C’est légal et même encouragé par les nombreux pays qui monnayent leur citoyenneté.

Plusieurs îles des Caraïbes et certains pays européens ont mis en place des programmes permettant à des étrangers d’acquérir la nationalité, en échange de dons, ou d’investissements de quelques centaines de milliers de dollars. Sur ce marché mondial estimé à deux milliards de dollars par an, la demande émane essentiellement de Chinois et de Russes, mais aussi, de plus en plus, de quelques Libanais fortunés. « La demande est de plus en plus forte au Liban. Ce sont surtout des hommes d’affaires qui souhaitent avoir plus de facilité à voyager, ou des familles qui voudraient que leurs enfants aient un second passeport en gage de sécurité », explique Mireille Korab Abi Nasr, directrice du développement des affaires de FFA Real Estate, qui a lancé le programme “Global Citizenship” en 2013. Depuis, quelque 50 familles ont eu recours à ces services, dont 60 % de Libanais, le reste émanant des ressortissants des pays de la région.

L’ouverture récente à Beyrouth du cabinet de conseil, leader sur ce marché, Henley & Partners, confirme la tendance : « Nous avons ouvert un bureau à Beyrouth en avril 2016, car nous avons eu plusieurs demandes de clients libanais pour l’acquisition d’une seconde nationalité et, dans une moindre mesure, de quelques ressortissants syriens », explique au Commerce du Levant Marc Menard, directeur associé du bureau de Beyrouth.

Après la petite île caribéenne Saint Kitts et Nevis, pionnière dans ce domaine avec la mise en place d’un programme de citoyenneté dès 1984, des schémas similaires ont été introduits en 1993 par la Dominique, puis en 2013 par Antigua et Barbuda et la Grenade, suivis par Sainte Lucie en 2016. Pour ces petites îles, où l’économie est basée essentiellement sur les services (tourisme, finance et services bancaires), la vente de passeports permet d’attirer des capitaux et des riches investisseurs. « Les programmes des Caraïbes sont les plus simples, les plus rapides et les moins chers. La plupart de nos clients optent donc pour ces pays, et plus particulièrement pour la Dominique », explique Mireille Korab Abi Nasr.

Pour obtenir un passeport en 3 à 6 mois, sans devoir résider dans le pays en question, il faut débourser entre 100 000 et 250 000 dollars sous forme de donation dans les fonds de développement nationaux, ou investir 200 000 à 400 000 dollars dans un bien immobilier – sans compter les frais de dossier. Les passeports délivrés par ces États permettent de voyager sans visa dans plus de 120 pays grâce aux accords conclus par les autorités locales. Outre la citoyenneté, les îles des Caraïbes proposent aussi un cadre fiscal idéal : elles n’imposent aucune taxe sur les gains de capitaux, sur les héritages et sur le revenu étranger. Mais « cet aspect n’attire pas particulièrement les Libanais, car ils bénéficient déjà d’un régime fiscal très intéressant au Liban, souligne Marc Menard. La motivation principale reste le gage de sécurité pour les familles et la facilité de déplacement ».

Certains pays européens, touchés par la crise financière, se sont également lancés sur ce surprenant marché. Mais les prix sont nettement plus élevés : il faut compter entre 1,15 et 2 millions d’euros pour les passeports maltais et chypriote. Pour ce dernier, il faut investir dans l’île pour un montant total de deux millions de dollars. À Malte, le passeport requiert, en plus des investissements, une donation de 650 000 euros, ce qui en fait le plus cher d’Europe.

Les “visas dorés” : une alternative intéressante

Pour ceux qui n’ont pas envie de débourser de telles sommes, il reste l’option des “visas dorés”, des permis de résidence permanente. Lorsqu’ils sont issus de pays européens de l’espace Schengen, ils permettent à leurs titulaires d’accéder à tous les autres pays membres (26 au total). Ces visas sont bien plus accessibles que les passeports. Ils s’échangent contre 500 000 euros d’investissement dans la pierre au Portugal et en Espagne, 250 000 euros en Grèce et 320 000 euros à Malte. « Pour Chypre, il faut investir 300 000 euros dans l’immobilier, mais l’île ne faisant pas partie de l’espace Schengen, ce visa ne permet pas de voyager dans d’autres pays ni de travailler », avertit Marc Menard.

L’option portugaise en particulier semble très appréciée. Selon les chiffres du gouvernement portugais, entre 2012 (l’année de lancement du programme) et fin juillet 2017, 5 243 “visas dorés” ont été octroyés, pour plus de 2,2 milliards d’euros. Les Libanais arrivent en cinquième position avec 103 “visas dorés”, derrière la Chine (3 472 visas), le Brésil (432 visas), l’Afrique du Sud (201 visas) et la Russie (179 visas).

Sur ce marché pourtant, la vigilance est primordiale : « Au Liban, de nombreuses personnes ne sont pas au courant du fonctionnement de ces programmes et beaucoup d’informations erronées circulent », explique Marc Menard. Certains voient dans ces “visas dorés” un tremplin vers l’obtention de la nationalité, or ce n’est pas toujours le cas. Au Portugal, par exemple, le programme offre un permis de résidence, mais l’octroi d’un passeport après six ans n’est pas automatique. Pour avoir la possibilité d’obtenir le passeport, il faut parler le portugais niveau A2 (niveau basique), montrer des liens avec le Portugal et y résider plus de sept jours par an. Et l’octroi de la nationalité se fait au cas par cas en fonction du dossier de chacun. L’Espagne, quant à elle, n’accepte pas la double nationalité.