Les textes qui encadrent la gestion du littoral sont souvent réinterprétés à des fins politiques, mais l’espoir d’un développement plus harmonieux est permis. C’est le constat dressé par Serge Yazigi, Cynthia Bou Aoun et Sébastien Lamy lors d’une conférence au dernier Salon du livre. 

À l’occasion de la publication de leur ouvrage sur le littoral*, Sébastien Lamy, juriste, et Cynthia Bou Aoun, architecte, ont présenté la synthèse de leurs travaux dans le cadre d’une conférence au Salon du livre francophone organisé début novembre. Des travaux menés sous la direction de Serge Yazigi, directeur de Majal, un observatoire académique urbain créé en 2007 au sein de l’Académie libanaise des beaux-arts pour soutenir la recherche et le débat public sur les enjeux d’aménagement du territoire.

« On s’est rendu compte que beaucoup de contraventions, d’effractions, d’exemptions étaient faites au nom de la loi sur le littoral », a commencé par souligner Serge Yazigi.

L’exploitation du domaine public littoral au Liban est régie par une loi datant de 1925, et le décret 4810 de 1966 et ses amendements. Ce décret a « été fait à une époque où la mentalité était de construire des industries, des grands complexes balnéaires sur la mer », a-t-il rappelé. Bien qu’il garantisse en théorie l’accès du public à la mer, il s’écarte de l’esprit de la loi « selon laquelle l’occupation doit avoir un caractère précaire, temporaire, moyennant redevance ».

D’autant que le décret ne précise pas le type ou la nature des installations autorisées. Le texte répondait à l’époque à « des préoccupations économiques, et non à des considérations de gestion intelligente du patrimoine de l’État, ni à des contraintes environnementales », a ajouté Sébastien Lamy. Or, les décideurs politiques refusent aujourd’hui de changer de perspectives, comme l’a rappelé Serge Yazigi : « Les instruments sont là, les outils sont là, mais à chaque fois on butte sur des interprétations politiques, qui sont rarement en faveur de l’intérêt public ».

Parfois cela frôle même le ridicule, a ajouté Cynthia Bou Aoun, en rappelant la décision de créer des décharges côtières : « Le Conseil des ministres a interdit à la décharge du Costa Brava de bloquer la mer, juste pour dire qu’il a respecté le décret de 1966. Comme si les gens allaient se promener ou se baigner au bord d’une décharge ! »

Le gouvernement s’est saisi récemment de la question des biens-fonds maritimes en proposant une hausse des pénalités imposées en cas d’exploitation illégale, dans le cadre de la loi sur le financement de la grille des salaires. Le texte a été voté puis promulgué le 26 octobre dernier, mais les dispositions de la loi devraient en limiter la portée, tout en légalisant indirectement un acte illégal. « On n’est pas dans une dynamique de restitution du littoral aux gens. Mais plutôt de gérer une situation donnée comme un état de fait », a souligné Serge Yazigi.

Malgré tout, les intervenants ont estimé qu’il y avait des raisons de rester optimistes. La première est l’émergence du droit de l’environnement au Liban. « Deux décrets séparés, un pour l’évaluation des projets et un autre pour l’évaluation des plans, vont rabattre les cartes, parce qu’ils imposent une procédure supplémentaire », impliquant une étude d’impact environnementale systématique, explique Sébastien Lamy. La ratification en août 2017 du protocole de Madrid pour la gestion intégrée des zones côtières en Méditerranée représente également une opportunité de taille. Un projet de loi ICZM – Integrated Coastal Zone Management – pour l’application du protocole a déjà été validé par le ministère de l’Environnement et attend actuellement de passer devant le Conseil des ministres.

Pour Sébastien Lamy, ce projet « reviendrait à appliquer des principes similaires à ce qu’on connaît avec la loi littorale en France : une bande des 100 mètres inconstructible sauf exception d’installations dont la proximité avec la mer est nécessaire – il y a toujours des exceptions – et extension limitée de l’urbanisation de manière à conserver de coupures d’urbanisation des couloirs verts, là où il y a encore des coupures d’urbanisation ».

L’Institut de l’environnement de l’Université de Balamand a largement contribué à l’écriture de ce projet de loi en coopération avec le ministère de l’Environnement. « L’institut a produit beaucoup d’analyses sur le littoral. Il a notamment cartographié l’évolution de la ligne côtière depuis 50 ans », a expliqué Sébastien Lamy.

Pour Serge Yazigi, cette collaboration entre monde universitaire et institutions publiques est un bon signe, mais l’un des moteurs principaux de l’évolution récente du droit de l’environnement et de la notion d’espace public est la société civile. « Ce qui est relativement nouveau c’est que maintenant (les organisations) vont en justice. Jusque-là les associations se plaignaient, mais n’allaient pas au Conseil d’État, se réjouit Sébastien Lamy. C’est comme ça qu’en France les choses ont avancé à partir du moment où, dans les années 60, 70, les associations sont allées en justice. »

Comme premier indice de ce changement, Cynthia Bou Aoun rappelle le retournement récent de la situation sur la question du projet de construction à Ramlet el-Baïda ou “zone 10” selon le découpage de Beyrouth. La société civile se mobilise actuellement auprès du Conseil d’État pour l’annulation d’un nouveau projet de construction et du décret de 1989 qui permet la construction dans cette zone. L’espoir est, selon elle, permis: « Le gouverneur de Beyrouth s’est joint aux ONG qui ont présenté un recours au Conseil d’État. C’est la société civile qui va en avant et les politiques qui, parfois, suivent. »

Cette société civile doit défendre le respect de l’esprit des lois. « On a plus le droit d’utiliser les textes comme excuse pour continuer à faire ce qu’on fait », a conclu Serge Yazigi.


* “Le littoral”, par Sébastien Lamy et Cynthia Bou Aoun, publié aux éditions de l'Académie libanaise des beaux-arts, Université de Balamand.