De l’ardeur, il en faut pour s’attaquer à un personnage si entier, si vital, que celui de Razan Zaitouneh, une activiste syrienne, icône de la révolution, enlevée à Douma en 2013 et vraisemblablement morte depuis. Après tout qui est-elle, elle, Justine Augier, française pâlotte, écrivaine discrète, qui suivit son mari à Beyrouth pour s’occuper de leurs enfants ? Que peut-elle comprendre à cette culture, ce “monde arabe”, qui jamais ne la concernera ?

Ces questions, Justine Augier se les pose comme si elle se savait mal armée pour la tâche qu’elle s’est pourtant assignée : celle de donner à voir le destin d’une femme libre et laïque dans un monde religieux et conservateur, où la liberté de penser s’amenuise. Pourtant, elle ne lâche pas, s’immergeant avec force dans l’intimité de cette militante syrienne, à la ténacité légendaire, comme si celle-ci représentait ce qu’elle aurait voulu devenir. « J’aurais voulu être – et j’ai même cru pouvoir devenir – comme Razan », écrit-elle en référence à ses propres années passées dans les ONG internationales. Peut-être, au final, l’écrivaine réussit-elle à dresser un portrait fidèle de la jeune femme disparue, à “dire” ses convictions humanistes et pacifistes, à cerner son refus du totalitarisme d’État autant que l’obscurantisme religieux…


Mais qu’elle réussisse ou non, ce n’est guère important. Plus primordial est l’entremêlement de leurs deux existences : Justine Augier semble courir à la recherche du fantôme de Razan Zaitouneh comme si sa vie même en dépendait. C’est cela qui fait de ce “roman” – il vient de remporter le prix Renaudot dans la catégorie “essai” – une belle réussite. Davantage que ce travail d’enquête, ce qu’on retient de ces lignes, c’est l’amitié, presque la connivence, qui lie ces deux femmes entre elles, au-delà de leurs différences et de la mort probable de l’une d’entre elles. Surgit alors quelque chose de profondément poignant qui donne à ce récit une âpre singularité.

Julie Augier, “De l’ardeur”, édition Actes Sud, 320 pages, 23 dollars.