Le ministre de l’Intérieur Nohad Machnouk a dénoncé mercredi le « danger » que représente Uber, prenant ouvertement le parti des compagnies privées de taxi. Des propos contestés par l’entreprise de voitures de transport (VTC), qui s’est exprimée jeudi sur les réseaux sociaux, soutenue par ses chauffeurs. 

« Je veux alerter sur le fait que faire appel à Uber n’est pas sans danger et que la meilleure chose à faire est d’en revenir aux moyens [de transport] traditionnels », a déclaré Nohad Machnouk à l’occasion d’un déjeuner organisé par la municipalité de Beyrouth. « J’appelle tous les Libanais à ne plus utiliser cette application », en revanche « les gens peuvent recourir aux taxis », a-t-il précisé.

Une déclaration catégorique du ministre de l’Intérieur, qui intervient alors que la compagnie américaine traverse une crise sans précédent au Liban depuis l’agression sexuelle et le meurtre par un chauffeur d’une diplomate britannique, Rebecca Dykes, dans la nuit du samedi 16 décembre.

Antécédents judiciaires

«Le plus terrible est qu’il s’est avéré que [ce conducteur] avait des antécédents judiciaire », a ajouté Nohad Machnouk, évoquant trois condamnation à six mois de prison pour vol ainsi qu'une poursuite dans le cadre d'une affaire de stupéfiants. «Avec Uber, les contrôles sont aléatoires, les chauffeurs n’ont parfois même pas d’autorisation d’exercer», surenchérit Marwan Fayad, président du Syndicat des chauffeurs de taxi, qui précise au passage qu’il en est de même pour son application concurrente Careem.

Cacophonie

Des accusations que conteste fermement le principal concerné. « Au Liban, seuls les chauffeurs de taxi agréés propriétaires d’une licence commerciale attribuée par le gouvernement peuvent utiliser notre application », a déclaré l’entreprise américaine sur sa page Facebook libanaise. Or cette licence est conditionnée à des vérifications effectuées par le gouvernement sur les antécédents du chauffeur, affirme Uber. 

« En plus des exigences gouvernementales […], nous vérifions à nouveau le casier judiciaire de chauffeur avant qu’il soit autorisé à conduire avec l’application », ajoute la compagnie de chauffeurs VTC qui insiste  sur son « engagement pour la sécurité de tous les utilisateurs de l’application ».

« Pour travailler pour Uber, j’ai dû fournir des copies des papiers de ma plaque rouge, de ma pièce d’identité, de mon permis de conduire, de l’assurance de la voiture et un extrait de mon casier judiciaire », confirme Jamal, chauffeur Uber occasionnel, en plus de son activité de taxi.

Pour comprendre alors le "terrible drame" de la semaine passée, une hypothèse serait que le meurtrier ait effectué une demande de « réhabilitation » - autrement dit l'effacement des mentions présentes sur son casier judiciaire –auprès des autorités. « Il est possible de demander une réhabilitation un certain nombre d’années après avoir purgé sa peine ; les délais sont de sept ans pour un crime et de trois ans pour un simple délit », explique l’avocat Nady Kyrillos. « Uber n’a pas forcément accès aux mêmes informations que le ministère de l’Intérieur », ajoute-il. Sur la question du casier judiciaire, l’entreprise pourrait donc effectivement être de bonne foi.

Un enjeu commercial

Une cinquantaine de chauffeurs Uber se sont réunis jeudi matin près des bureaux de la compagnie américaine à Beyrouth pour protester contre la prise de position du ministre. « C’est incohérent : s’il juge vraiment ce service dangereux, pourquoi ne l’interdit-il pas ? », s’interroge Jamal. « Ces déclarations n’ont d’autres conséquences que de mettre en danger les milliers de familles qui dépendent des revenus des chauffeurs Uber », s’insurge-t-il.

Une position partagée par l'ancien ministre Wiam Wahhab. «Est-ce que le fait qu'un chauffeur ait commis ce crime abject nous donne le droit de lancer une campagne contre la société Uber et de couper les vivres à des milliers de familles ?», a-t-il posté sur son compte Twitter.

La question sécuritaire est primordiale dans la bataille commerciale que se livrent les compagnies de taxi privées et les entreprises VTC depuis son arrivée au Liban en juillet 2014. Uber emploie aujourd’hui 2 500 chauffeurs au pays du Cèdre qui transportent plusieurs dizaines de milliers de passagers chaque mois.

La société de transport enregistre une grande partie de sa croissance dans la région Moyen-Orien-Afrique du Nord. Elle a levé en juin 3,5 milliards de dollars auprès du fonds souverain d'Arabie saoudite, en l'échange de quoi Yasir Al Rmayyan, son directeur général, a obtenu un siège au conseil d'administration de la société.