Helen Khal, peintre et critique d’art

1923-2009

Enchères record : 72 000 dollars, Sotheby’s, Londres, 2015

Helen Khal est née en Pennsylvanie et n’a mis les pieds au Liban qu’à 23 ans. Alitée alors qu’elle est durement malade, elle commence à dessiner puis décide d’améliorer sa pratique en prenant des cours aux États-Unis d’abord, à l’Alba ensuite. Mariée au poète Yusuf el-Khal, le couple rejoint New York avant de voyager dans le monde entier. D’où une célébration tardive au Liban où sa première exposition date des années 1960. Proche d’un peintre comme Aref al-Rayess, elle choisit l’abstraction comme mode d’expression. « Je me souviens d’un jour où j’allais plus loin que l’image figurative, plus loin que le contour de la figure, l’idée de créer autre chose a surgi soudainement », citent les deux auteurs de “L’art au Liban”, un ouvrage de référence sur les artistes modernes et contemporains. De ses influences, la plus évidente est celle de l’Américain Marc Rothko : des œuvres aux couleurs intenses, mais estompées sur les contours. Par l’importance qu’elle accorde aux couleurs, par le vide qu’elle crée autour, le travail de Helen Khal ressemble en effet à celui de Marc Rothko. « Chaque couleur a son propre climat, crée son propre monde particulier ; inviolable, chaque couleur parle avec une séduction tranquille », lit-on sur le site de l’AUB. S’en dégagent des atmosphères particulières, « une certaine humeur » comme la nomment Nour Salamé Abillama et Marie Tomb dans leur ouvrage “L’art au Liban”. « En peignant, son principal intérêt est le développement de la couleur et son activité, pas les choses. » Critique d’art, elle travaille pour des publications comme le Daily Star, elle ouvre aussi la Gallery One, un centre d’art qui occupe une place prépondérante sur la scène libanaise en exposant nombre d’artistes contemporains. Malade, elle continue à peindre, acceptant tout au plus d’abandonner la peinture à l’huile, dont la térébenthine lui donne des maux de tête, pour l’acrylique. Elle décède en 2009.


Saloua Raouda Choucair, peintre et sculptrice

1916-2017

Enchères record : 353 000 dollars, Bonhams, Londres pour une sculpture sur bois

Elle avait 100 ans lorsqu’elle est décédée, un âge où normalement on se repose. Mais Saloua Raouda Choucair connaissait une “reconnaissance tardive” : depuis la rétrospective à la Tate de Londres en 2013, le monde redécouvrait l’imposant talent de cette sculptrice, pionnière de l’art abstrait. « Son sens de la ligne et des formes – issu de l’art islamique – a imposé au modernisme un nouveau langage », écrit ainsi le New York Times en 2017. Être femme, qui plus est femme artiste et libanaise, l’a longtemps reléguée aux marges. « Elle a commencé avec l’abstraction quand les Libanais, eux, découvraient tout juste l’impressionnisme. Dans les années 1960, personne ne lui prêtait attention. Lorsqu’enfin, on a commencé à s’intéresser à elle, la guerre débutait », expliquait sa fille en 2013 à la presse internationale. Saloua Choucair est née en 1916 à Beyrouth. Son père, un pharmacien, mourut pendant la Première Guerre mondiale. Attirée très jeune par la peinture, elle suit l’enseignement de Moustafa Farroukh et de Omar Onsi. En parallèle, elle étudie la biologie et développe un goût pour l’architecture. À Paris, où elle peaufine sa technique, elle se frotte à Fernand Léger, dont l’influence se ressent dans son travail. En 1951, elle rentre à Beyrouth et c’est au début des années 1960 qu’elle se tourne vers la sculpture, produisant alors des “œuvres modulaires”, comme un chapelet d’ossements, à assembler ou à désassembler selon son bon vouloir. En 2011, Saleh Barakat organise une première grosse rétrospective. Depuis le succès ne l’a plus quittée : après la Tate, elle a été présentée au Palais de Tokyo, à la Whitechapel Gallery de Londres et la Haus der Kunst de Munich…


Etel Adnan, peintre et écrivaine

93 ans, née à Beyrouth

Enchères record : 60 000 dollars, At auction, Beyrouth

Etel Adnan incarne à merveille le cosmopolitisme libanais : mère grecque chrétienne, père syrien musulman, elle parle le turc et le grec avant le français et l’arabe. À 24 ans, elle démarre des études de philosophie à la Sorbonne (Paris) où ses professeurs se nomment Gaston Bachelard et Étienne Souriau. Elle poursuit ses études à Berkeley (États-Unis) et enseigne la philosophie de l’art dans un collège californien entre 1958 et 1972. C’est à Berkeley qu’elle s’initie à la peinture en 1955 sur la suggestion d’une enseignante, qui lui confie papiers et pastels. Peu familière de l’art contemporain – ses préférences alors la portent vers la sculpture antique ou les “Nymphéas” de Monet –, elle privilégie l’abstraction, marquée en cela par l’école américaine : Clyfford Still, Richard Diebenkorn ou Hans Hofmann, un artiste dont « la construction par plans de couleurs pures n’est pas sans rapport avec la manière qu’a Etel Adnan de travailler sur la toile », relate un article du quotidien Le Monde en 2016. Etel Adnan privilégie souvent les petits formats. La raison est physique : elle souffre du dos et ne peut effectuer les mouvements amples qu’exigent des toiles plus imposantes. Son art prône la concentration et la concision. « Le paysage, puisqu’il s’agit presque toujours d’un paysage à l’origine, est réduit à une équation : algèbre des proportions entre surfaces et entre intensités chromatiques, géométrie des lignes directrices courbes ou anguleuses », lit-on encore dans le quotidien français. 


Huguette Caland, peintre

87 ans, née à Beyrouth.

Enchères record : 162 500 dollars, Christie’s, Dubaï

En 2012, Huguette Caland faisait la une de la presse française grâce à une œuvre (“Self Portrait” 1973) présentée en ouverture de l’exposition collective à l’Institut du monde arabe. Sa toile d’une infinie délicatesse montrait la “naissance des fesses” dans un rose laiteux et lumineux. Le public international découvrait alors son talent de provocatrice. Pourtant, elle n’avait rien d’une jeunette : Huguette Caland est née en 1931 dans une famille de la grande bourgeoisie maronite (son père a été le premier président de la République libanaise, Béchara el-Khoury). Pour elle, la peinture est d’abord un passe-temps : mariée, elle se consacre à ses enfants. Mais, au début des années 1970, elle plaque tout pour Paris. « Comme je ne croyais en rien et qu’il n’y avait pas de raison de ne pas partir, il n’y avait rien qui m’obligeait à rester au Liban », lit-on dans l’ouvrage de Nour Salamé Abillama et Marie Tomb “L’art au Liban”. Heureuse, cette période figure parmi ses plus fécondes. Séparée de son époux, elle vit alors une intense romance avec le sculpteur roumain George Apostu. « Elle a vécu dans un scandale permanent, échappant à la censure, sans prêter attention aux conséquences de son anticonformisme », écrit le New Yorker dans un article de 2017. Peu à peu, l’artiste se détache de la peinture à l’huile pour privilégier le dessin. « Ses œuvres presque abstraites ont une texture et des couleurs évoquant la broderie et la tapisserie », lit-on dans l’ouvrage “L’art au Liban”. En 1987, elle quitte Paris pour Venice (Los Angeles) et s’y installe jusqu’en 2013, date à laquelle elle rentre à Beyrouth pour dire adieu à son mari mourant, qu’elle n’avait jamais complètement abandonné.




Yvette Achkar, peintre

90 ans, née au Brésil.


Enchères record : 92 000 dollars, At Auction, Beyrouth, 2015

Adolescente, Yvette Achkar s’imaginait pianiste. Mais à 17 ans, alors que sa famille s’est réinstallée au Liban, elle fait la connaissance de l’Italien Fernando Manetti, qui enseigna aussi la peinture à Etel Adnan. « Je me suis alors mise à la peinture à fond », témoigne-t-elle dans une vidéo de l’Académie des beaux-arts du Liban. Elle fréquente l’Alba, dont elle sera d’ailleurs l’un des professeurs. Ses études terminées, mariée (puis divorcée), elle démarre un travail d’artiste, qui l’habite encore. Mais celui-ci se trouve en partie compromis par les contingences de la vie d’une femme. « Parce qu’il y a les enfants, d’autres responsabilités qui font qu’on n’est pas libre de disposer de son temps », relate-t-elle dans l’ouvrage “L’art au Liban” de Nour Salamé Abillama et Marie Tomb. « Que je sois femme, hermaphrodite, ça ne vous regarde pas. Pour moi, c’est la toile qui compte. Je déteste qu’on catalogue les femmes ensemble. Quand on est peintre, on est dépossédé de son sexe », lit-on encore dans l’ouvrage. Elle adopte l’abstrait dès les années 1960 alors que ce courant n’est encore qu’à ses prémices : pour elle, le sujet importe peu ; seules comptent les couleurs et les formes ; la tension que suggère son élan sur la toile. Yvette Achkar est une méticuleuse qui prend son temps pour peindre et à se satisfaire du rendu définitif. Ce qui explique que ses toiles soient rares sur le marché.