À la tête de BLC Bank depuis avril 2008, Maurice Sehnaoui a démissionné de son poste de PDG, désormais assuré par Nadim Kassar, pour se concentrer sur le développement de la banque chypriote dont il est l’actionnaire majoritaire depuis décembre 2016. 


La banque chypriote pourrait rechercher à grandir
La banque chypriote pourrait rechercher à grandir

La démission du PDG de la banque BLC, début juin, n’était pas une surprise. Maurice Sehnaoui, qui en est également actionnaire minoritaire, avait la tête ailleurs depuis plusieurs mois déjà. À Chypre plus précisément. « Cela fait des années que je m’intéresse à l’île, depuis qu’elle est devenue européenne, raconte-t-il. Sous mon impulsion, la BLC y a acheté la banque USB en 2010. »

Pas de chance, deux ans plus tard, le pays est emporté par la crise grecque. « La crise chypriote est très différente de la crise grecque, elle n’était pas liée aux fondamentaux de l’économie, souligne toutefois le banquier libanais. Le secteur bancaire a souffert de son exposition à la dette grecque, notamment celle des deux plus grandes banques du pays dont les filiales grecques étaient devenues plus importantes que les maisons mères. La troïka a dû sauver ces banques et renforcer le cadre réglementaire, pas gérer les conséquences économiques sur tout le pays. Cet aspect-là a fait l’objet d’une politique efficace mise en place par le gouvernement. » Et qui explique, selon lui, le fort rebond de l’économie après deux années de récession.

« J’ai compris que l’île allait s’en sortir et qu’il fallait saisir les opportunités qui se présentaient. Les banques locales étaient épuisées, pour moi c’était le moment de faire de bonnes affaires et d’agrandir USB pour qu’elle puisse profiter de la reprise. »

Mais les actionnaires majoritaires de la BLC, le groupe Fransabank de la famille Kassar, ne partageaient pas cette vision. Au lieu d’investir à travers BLC Bank, Maurice Sehnaoui réunit d’autres investisseurs libanais, parmi lesquels Amal Abou Zeid et Bassam Diab, et injecte 40 millions d’euros dans la filiale chypriote de la banque grecque Piraeus, rebaptisée Astrobank.

À l’issue de cette augmentation de capital, la holding M. Sehnaoui en devient le principal actionnaire, avec 17,71 % des parts, devant Piraeus Bank (17,64 %). « Nous sommes ravis que la transaction se soit faite à travers une injection de capital plutôt qu’une acquisition de parts existantes. Les 40 millions d’euros vont nous permettre de croître, une stratégie que nous ne pouvions avoir jusque-là en raison des contraintes de notre ancienne maison mère à Athènes », se félicite à l’époque dans la presse le directeur général adjoint de la banque Marios Savvides.

Maurice Sehnaoui, lui, est prié de choisir. « En tant qu’actionnaire de référence de Astrobank, président du conseil d’administration de USB et PDG de BLC Bank au Liban, j’étais en situation de conflit d’intérêt, inacceptable à la fois pour la Banque centrale chypriote et la Banque du Liban. J’ai donc quitté le conseil d’administration d’USB en février 2017, et convenu avec mes partenaires de mon départ de la BLC l’année suivante. » Le banquier tient toutefois à souligner que ce choix ne révèle aucune “méfiance” vis-à-vis du Liban, et qu’il répond à ses aspirations. « Ce n’est pas l’argent qui me motive, c’est le sens du défi », dit-il.

« Le marché libanais est déjà très compétitif, alors que Chypre offre aujourd’hui de nombreuses opportunités de croissance. Et faire croître, c’est ce que je sais faire. Je l’ai démontré à la BLC, où les actifs sont passés de 1,750 milliard de dollars à mon arrivée à environ 5 milliards cinq ans plus tard », poursuit Sehnaoui.

Raoul Nehmé prend la direction de Bankmed

Si Maurice Sehnaoui se détourne du Liban pour Chypre, l’un de ses proches collaborateurs, Raoul Nehmé, fait le chemin inverse. Il quitte son poste de président du comité exécutif de Astrobank pour devenir directeur général de Bankmed, remplaçant Mohammad Ali Beyhum qui occupait ce poste depuis 2010. Raoul Nehmé a été directeur général de la holding M. Sehnaoui et directeur général de la BLC. Sa nomination à Bankmed s’inscrit dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouvel homme fort à la tête de la holding GroupMed, qui détient la banque. Il s’agit de l’homme d’affaires jordanien Alaa al-Khawaja, qui a racheté l’année dernière à Ayman Hariri 42,24 % des parts pour 535 millions de dollars (financés selon le site businessnews.com par un prêt de la banque Audi). Les autres actionnaires du groupe sont le Premier ministre désigné Saad Hariri (42,24 %) et la veuve de son défunt père, Nazek Hariri (15,5 %). Les actifs de Bankmed se sont élevés à près de 16,7 milliards de dollars en 2017, en hausse de 3 % en un an, avec des profits nets de 121 millions de dollars, en baisse de 14,5 % par rapport à l’année précédente.

L’homme croit fermement en l’avenir de Chypre, appelée selon lui à devenir une « plate-forme, à plus d’un titre, dans l’Est méditerranéen », avec des perspectives particulièrement prometteuses en cas de découvertes significatives de gaz ou de pétrole offshore, ou de réunification avec la partie turque de l’île, qui ouvrirait la voie vers la Turquie. À ce stade, en tout cas, l’aventure semble tenir ses promesses. « En un an le retour sur investissement est énorme », affirme l’investisseur sans donner davantage de détail.

Astrobank compte aujourd’hui 1,2 milliard d’euros de total bilan, 300 employés et 17 agences. Son objectif : « Une croissance interne et externe. » Les outils : l’innovation avec « des produits à la pointe de la technologie comme l’application de paiement mobile lancée le 12 juin », et les acquisitions. « Nous sommes ouverts à toutes les opportunités qui nous permettraient d’atteindre une taille critique. »

Le plus logique pour commencer serait le rachat de la filiale chypriote de BLC, USB, qui est deux fois plus petite qu’Astrobank avec 687 milliards d’euros d’actifs fin 2016. Cela se ferait à travers un échange de titres, sachant que l’actionnaire principal d’Astrobank, la holding M. Sehnaoui, détient 18,44 % de la banque libanaise.

Des rumeurs avaient déjà circulé à ce sujet en décembre 2017, relancées par la démission de Maurice Sehnaoui, mais à ce jour aucune des deux parties ne confirmait l’information. « Pour le moment, je reste actionnaire dormant de la BLC, dit Sehnaoui. Je pourrais céder mes parts si l’opportunité se présente, mais ce n’est pas encore le cas. »

De son côté, la responsable de la communication de Fransabank, Dania Kassar, déclare : « Il y a eu un engagement verbal entre les parties concernées dans ce sens, mais nous n’avons pas d’informations concrètes pour le moment. » Au niveau de la BLC, aucun changement majeur n’est prévu. « La banque maintiendra la politique qu’elle s’est fixé ces dernières années », affirme Dania Kassar, en soulignant que le nouveau PDG, Nadim Kassar, « occupait depuis 2008 le poste de vice-président-directeur général, et a toujours participé activement à la mise en place et l’application de cette stratégie ».

« Nous ne prévoyons aucunement une fusion de la BLC avec Fransabank. Elles resteront comme par le passé deux banques indépendantes opérant/travaillant en synergie, car rattachées au même groupe bancaire », ajoute-t-elle.