Rappelez-vous : on les compulsait avec bonne humeur, parfois avec une sorte de mélancolie, les albums de photos de famille. Ils étaient là pour “narrer” notre généalogie. Sous la mince feuille de papier cristal jauni, se dévoilait alors son inscription dans une filiation, voire une société. À l’époque, la photo servait à garder en mémoire les “grands moments” de nos vies. Mais à l’heure du numérique, le cliché s’emploie davantage pour son instantanéité. Développe-t-on seulement encore ces images pour ensuite les compiler dans un album ? Peu s’y soumettent.

Pourtant, à regarder “Coups d’œil sur les loisirs”, la sélection de photos des années 1920 à 1960, de la collection Fouad Debbas et celle d’Alexandre Medawar, exposées au musée Sursock, on aimerait revenir en arrière. On voudrait s’inclure à nouveau dans ces “moments de vie” qui résumaient encore il y a peu nos existences. Qu’importe qu’on ne reconnaisse pas les personnages capturés. Qu’importe aussi l’esthétique de ces clichés à la qualité parfois douteuse. Leur charme est ailleurs. « Souvenir d’une vie étant vécue, cette photographie que l’on peut dire “privée” s’apprécie et se lit dans la continuité de la prise de vue, contexte dont elle a été extraite », lit-on dans la brochure dédiée à l’exposition. Ce qui attire ici, ce sont ces images du “temps du bonheur” et de l’insouciance, alors que la bourgeoisie levantine découvrait le concept de loisirs. Brutes dans leur démarche, ces images sont exceptionnelles jusque dans leur insignifiance. « Rentrer dans l’album photo d’un amateur, c’est s’immiscer sans permission dans une histoire qui n’est pas la sienne, c’est être étranger à cette vie-là, c’est s’inviter au royaume des anonymes », est-il encore écrit dans le document qui accompagne l’exposition. Face au poids du monde dans lequel nous vivons, cette insignifiance fait du bien.

sursock.museum, entrée gratuite, jusqu’au 8 octobre 2018.