Dans son ultime tribune pour le Washington Post, écrite deux jours seulement avant son meurtre, Jamal Khashoggi s’interrogeait sur la presse dans le monde arabe. “What the Arab world needs most is free expression”, titrait-il. Cet intellectuel qui avait été l’un des parangons du pouvoir saoudien, du temps du roi Abdallah et de ses prédécesseurs, avait trouvé son chemin de Damas au moment de l’accession au trône du roi Salmane et de la montée en puissance de son fils Mohammad ben Salmane. Il pourfendait depuis lors l’aventurisme géopolitique de Riyad.

Pour ce journaliste, la presse arabe devait se libérer de sa soumission au pouvoir et de son joug à l’argent politique. Nul réflexe corporatiste ici, mais un enjeu politique de prime importance : “L’intelligibilité du quotidien” est le cœur battant du jeu démocratique. Sans connaissance égale des faits d’intérêt public par les uns et les autres, pas de cité commune ; sans un accès commun aux informations qui l’explicitent, pas de démocratie.

Se battre pour une presse émancipée, c’est donc rejeter la confiscation de la res publica par une petite élite, ceux qui prétendent savoir, quand d’autres ne pourraient – ou ne devraient – surtout jamais savoir. « Les citoyens arabes vivant dans ces pays sont mal informés ou désinformés. Ils sont dans l’impossibilité de traiter de manière adéquate, et encore moins de débattre publiquement, des problèmes qui affectent la région et leur vie quotidienne. La narration gérée par l’État domine la psyché publique, et si beaucoup n’y accordent aucune foi, une large majorité de la population est victime de cette fausse narration », faisait-il valoir.

Pourtant, il existe des centaines de journaux dans le monde arabe, mais leur diffusion s’effondre. Rien qu’au Liban, qui fut naguère la capitale d’une presse libre ambitieuse, une dizaine de titres ont disparu au cours de ces dernières années. On accuse internet, la crise économique, la déliquescence des institutions politiques à l’image d’an-Nahar, qui publiait en octobre dernier un cahier de pages blanches pour alerter l’opinion sur ses déboires.

Mais peu remettent en cause leur stratégie éditoriale et se demandent si l’information qu’ils apportent méritent simplement qu’on les achète. Une presse partisane, aux ordres de ses mandants ; un journalisme courtisan mérite-t-il d’exister ?

Jamal Khashoggi espérait qu’une nouvelle vague prendrait la relève pour que vive un printemps arabe (de la presse). À notre tour, nous devons y croire. Car une société a d’autant plus de chance de bien se porter que les citoyens font confiance à ses médias. Le centre de recherche américain Pew rappelle d’ailleurs qu’il existe une corrélation quasi parfaite entre le crédit que les citoyens d’un pays donné accordent à leur gouvernement et leur satisfaction vis-à-vis de leurs médias.