On dit que lorsqu’elle est en danger, l’autruche enfouit sa tête dans le sable pour éviter de voir ce qui la menace. On peut faire comme elle. 

Se féliciter d’avoir un gouvernement, “au travail” de surcroît, au lieu de dénoncer un cabinet qui réunit exactement les mêmes partis politiques depuis dix ans, avec le résultat que l’on connaît. Se féliciter de voir de nouveaux visages – plus qualifiés, plus jeunes, plus féminins – même si leurs marges de manœuvre sont minimes.

On peut voir dans la déclaration de politique générale un programme de réformes ambitieux, plutôt qu’un aveu d’impuissance. Se dire que les dizaines de mesures identifiées comme cruciales depuis des années vont cette fois se réaliser, comme par magie. Croire à la promesse de l’électricité 24 heures sur 24 « aussi vite que possible » quand ça ne fait que trente ans qu’on attend, ou celle de geler les embauches dans le secteur public quand l’État vient de recruter 5 000 agents.

Se réjouir de la volonté de « poursuivre la mise en œuvre de la stratégie de gestion des déchets ménagers approuvée par les gouvernements précédents » quand on baigne dans l’odeur de la pourriture. Se bercer d’illusions sur la fin de la corruption en espérant que le contrat attribué fin janvier, de manière opaque, à la compagnie russe Rosneft était le dernier d’une longue série. On peut aussi croire à l’un des engagements les plus révolutionnaires pris par ce gouvernement – disruptif diraient les jeunes – et énoncé parmi les “réformes structurelles” : celui d’appliquer les lois (sic). Mais la réalité finit par nous rattraper.

S’il devait tenir sa parole, et respecter la Constitution, le Conseil des ministres aurait consacré sa première réunion à l’examen du projet de budget 2019. S’il avait l’intention de lancer un chantier de réformes cohérent et salvateur, il aurait commencé par définir les pourtours du fameux ajustement budgétaire censé contenir l’emballement de la dette publique. Mais non.

Fidèle à lui-même, l’exécutif s’est octroyé le droit de collecter et dépenser l’argent du contribuable en dehors de tout contrôle, et approuvé de nouvelles dettes. Plus d’une dizaine de prêts d’institutions internationales (Banque mondiale, Agence française de développement, Fonds arabe pour le développement social… etc.) ont ainsi été envoyés au Parlement. Selon les calculs effectués par l’organisation Kulluna Irada, ces accords de financement représentent une nouvelle dette de plus de 1,1 milliard de dollars (qu’il faudra rembourser avec des intérêts) à laquelle s’ajoute une contribution de l’État libanais de 656 millions de dollars. 

La plupart des projets approuvés sont sans doute importants, mais dans quel cadre s’inscrivent-ils ? A quelles priorités répondent-ils  ? Face au risque d'une crise financière majeure, la moindre des choses est d'énoncer clairement les enjeux et les refléter dans un budget. Ou enfouir sa tête dans le sable.