Ali Fawaz

Fin juin, le Parlement avait approuvé la loi dite “de lutte contre la corruption dans le secteur public”. Parmi ses mesures phares était prévue la création d’une Commission nationale de lutte contre la corruption. Mais sa mise en oeuvre semble remise aux calendes grecques : le président de la république, Michel Aoun, qui devait la signer, a choisi de la renvoyer devant le Parlement pour discussion. 

«Cette nouvelle instance complétera l’arsenal de lois existantes», explique l’ancien parlementaire Ghassan Moukheiber, qui défend l’idée d’une telle commission depuis un projet de loi présenté au Parlement il y a une dizaine d’années.

Sur le papier, les pouvoirs de cette nouvelle commission sont importants : elle est d’abord censée recueillir les plaintes pour corruption, déférer les suspects aux autorités compétentes et suivre l’avancée des dossiers. Elle doit ensuite protéger et récompenser financièrement les lanceurs d’alerte. «Elle agit également comme une instance de recours, notamment lorsqu’une administration ne fournit pas les documents demandés dans le cadre de la loi sur le droit d’accès à l’information», précise Ghassan Moukheiber. La commission sera aussi le dépositaire unique des déclarations de patrimoine des employés des autorités publiques concernées. Enfin, elle assurera un rôle de vigilance et de sensibilisation, grâce à la publication de rapports annuels sur l’état de la corruption au Liban, et pourra proposer des réformes en conséquence. «En théorie, c’est donc une grande avancée», se félicite Julien Courson, directeur exécutif de la Lebanese Transparency Association (LTA).

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Mais des associations mettent en garde contre ses modalités d’application, pointant du doigt en particulier le système de nomination choisi pour ses six membres. Si deux de ses experts seront sélectionnés par le corps de la magistrature parmi des juges à la retraite, quatre – un avocat, un expert-comptable, un spécialiste de la Commission de contrôle des banques et un expert du ministère d’État pour le Développement administratif – seront nommés, eux, par le Conseil des ministres, après avoir été présélectionnés par leur instance d’appartenance.

«L’aval du Conseil des ministres risque de facto de favoriser des proches du pouvoir politique», déplore Assaad Thebian, fondateur de Gherbal Initiative, une société à but non lucratif qui prône une meilleure application de la loi d’accès à l’information.

Cette critique, Ghassan Moukheiber la réfute : «La désignation des sages se fera avec un minimum d’interférences politiques. Choisir des experts en fin de carrière, qui ne seront éligibles à aucun autre poste administratif pendant et six ans après leur mandat, est un moyen supplémentaire de s’assurer qu’ils n’aient pas de profit quelconque à tirer de leur position.»

Subsiste également une lourde incertitude quant au budget qui sera alloué à cette nouvelle commission. Dans celui de 2019, voté fin juillet, rien n’a été prévu pour lui permettre de fonctionner.