Du négoce de la soie en 1868 à un conglomérat multinational, le parcours du groupe reflète l’esprit d’entreprise de la famille Pharaon.

L’hymne national interprété par des musiciens postés  sur les balcons de l’immeuble, place de l’Étoile,  lors de l’inauguration du banc artistique, le 28 septembre 2019.
L’hymne national interprété par des musiciens postés sur les balcons de l’immeuble, place de l’Étoile, lors de l’inauguration du banc artistique, le 28 septembre 2019. M.S.

Le groupe Pharaon, qui emploie aujourd’hui plus de 2 000 personnes dans 14 pays, dans des domaines aussi variés que le secteur pharmaceutique, l’assurance et le commerce, fête ses 150 ans. Un siècle et demi de longévité qui lui confère une dimension historique. L’aventure du groupe, fondé par les frères Mikhaël et Raphaël Pharaon, est en effet indissociable des chamboulements économiques et géopolitiques qui ont marqué la période, aussi bien localement que mondialement, de l’essor de l’industrie de la soie à l’accélération de la mondialisation. Témoin de son temps, le groupe Pharaon en est aussi à l’avant-garde.L’histoire de l’entreprise commence en 1868 avec le négoce de la soie, à une époque où la demande des industries européennes explose et où les échanges entre la région et le Vieux Continent sont dopés par l’ouverture du canal de Suez. En 1877, l’entreprise se dote de sa première usine de filature de la soie, dans le Akkar. C’est donc dans le secteur industriel que la famille Pharaon connaît ses tout premiers succès. À l’image des grandes maisons de soie européennes, l’entreprise cumule les fonctions d’industriel, de commerçant et de banquier, et s’impose parmi les acteurs principaux du commerce de la soie. À la veille de la Première Guerre mondiale, les frères Pharaon sont les premiers filateurs du vilayet de Beyrouth et représentent 12 % des exportations. Un succès qui fait de l’entreprise la digne représentante de son époque : en 1895, le secteur de la soie représente 45 % du revenu national.

Mais l’ambition des Pharaon ne se limite pas à l’industrie. Les deux frères diversifient leurs activités, d’abord dans le secteur bancaire en 1882 avec la création de la banque Pharaon et Chiha, puis dans le commerce de la houille, importée de Grande-Bretagne, à bord de leur propre bateau à vapeur.

En 1892, Mikhaël Pharaon est nommé membre du conseil administratif de la province de Beyrouth, initiant l’engagement de la famille dans la politique libanaise.

Tournant du siècle et diversification

La deuxième génération des Pharaon fait ses premiers pas dans le commerce au tournant du siècle, sous le nom de Raphaël Pharaon et fils, officialisée en 1901. L’entreprise s’adapte aux chamboulements d’après-guerre. Elle commence à se retirer du négoce de la soie en 1912, avant l’écroulement du secteur au lendemain de la Première Guerre mondiale. En 1925, la famille tourne définitivement la page de l’industrie.Alors que la région est durement impactée par le conflit mondial, l’entreprise continue de se développer. À côté du commerce de la houille et des services financiers, Raphaël Pharaon et fils se lance dans les services portuaires, anticipant l’essor du transport maritime. L’entreprise rencontrera un succès important en Palestine, dans le port de Haïfa, où elle sera en charge de la manutention de la houille pendant plus de 20 ans.

En 1926, après avoir séparé les activités commerciales et financières en deux pôles, Raphaël Pharaon et fils se lance dans l’assurance et devient ainsi l’agent de plusieurs compagnies étrangères. En parallèle, l’entreprise introduit sur le marché local la bonbonne de gaz butane et le réfrigérateur.

L’avènement de la société de consommation

En 1943, l’indépendance du Liban, dont le ministre Henri Pharaon fut l’un des acteurs, marque le début d’une ère nouvelle, celle du commerce et de la société de consommation. Raphaël Pharaon et fils s’engage alors dans la distribution de produits pharmaceutiques et électroménagers. En 1947, l’entreprise, qui représente Bayer, crée un département pharmaceutique ainsi qu’un département pour les insecticides. À partir de 1965, le groupe crée une société anonyme qui importe, distribue et commercialise la gamme complète des produits Frigidaire, tandis que la distribution de butane est assurée par Natgaz, dont la part de marché atteint 22 % en quelques années.

Les autres secteurs d’activité connaissent un essor similaire. Après un départ brutal de Palestine en 1948, le département maritime se recentre avec succès sur le port de Beyrouth. Quant aux services d’assurance, ils sont regroupés sous la marque Libano-Suisse en 1971.

L’internationalisation du groupe

Durant la guerre civile, la famille redouble d’ingéniosité pour survivre. Elle établit de nouveaux bureaux de liaison, dont un à Chypre, pour ses agences maritimes, et relocalise ses points de vente au Liban, ainsi que ses bureaux, situés jusque-là place de l’Étoile. Mais elle continue de développer son portefeuille. En parallèle, l’entreprise trouve de nouveaux débouchés à l’étranger, notamment dans les pays arabes.

La fin de la guerre marque une nouvelle donne géopolitique. Avec la chute de l’URSS et l’accélération de la mondialisation, de nouvelles opportunités se créent et le groupe Pharaon regarde résolument vers l’international. Le pole pharmaceutique part à la conquête des marchés de l’Est, en créant notamment une filiale en Roumanie en 1995, puis se développe en Asie centrale et en Afrique.

Suivant la même dynamique d’internationalisation, la société d’assurances du groupe, la Libano-Suisse, se tourne vers l’Afrique et le monde arabe. Elle crée un administrateur de tierce partie, MedNet, qui s’exporte lui aussi sous le nom de GlobeMed à partir de 2001. Enfin, le groupe ne manque pas le phénomène Dubaï et capitalise sur l’essor de l’émirat avec la création de plusieurs sociétés dans des secteurs aussi variés que l’informatique, l’hygiène ou l’eau.

Aujourd’hui, le groupe Pharaon symbolise à la fois la modernité d’un groupe parfaitement mondialisé et l’esprit d’initiative d’une famille libanaise, qui n’a jamais cessé d’entreprendre depuis le milieu du XIXe siècle. Une dimension à laquelle l’artiste Anastasia Nysten a rendu hommage par la réalisation d’un banc public, place de l’Étoile, offert par le groupe à la ville de Beyrouth.