La personnalité de Samir Khatib semble aujourd’hui faire consensus au sein de la classe politique pour succéder à Saad Hariri au poste de Premier ministre. Le président de la République a fixé à lundi la tenue des consultations parlementaires à l’issue desquelles les rênes du Conseil des ministres, cœur du pouvoir exécutif libanais, devraient être confiées à l’homme d’affaires sunnite.

Pourtant, malgré les lourdes responsabilités qu’il pourrait être amené à assumer, alors que le Liban s’engouffre dans une grave crise économique et de liquidité, Samir Khatib reste méconnu de la plupart des Libanais. Son nom était jusqu’à il y a quelques jours très peu cité dans les médias.

Samir Khatib n’a en effet jamais exercé la fonction publique, ni qui plus est un poste de haut fonctionnaire ou d’élu. L'ingénieur a passé toute sa carrière dans le secteur privé, dont la plus grande partie au sein du cabinet de conseil en ingénierie Khatib & Alami, fondé en 1964 par son beau-père Mounir Al Khatib. En 1983, il devient actionnaire et accède au conseil d’administration de l’entreprise, dont le chiffre d’affaires est estimé à 400 millions de dollars. Il occupe aujourd’hui le poste de vice-président, également en charge des opérations commerciales au Levant et au Qatar.  

"Un habitué du Grand Sérail"

Bien que Liban ne représente pas plus de 5% de l’activité de Khatib & Alami, qui réalise une grande partie de ses revenus en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et en Egypte, l’homme d’affaires y dispose d’un bon carnet d’adresses, notamment auprès du secteur public. « C’est un habitué du Grand Sérail », pointe un observateur, sous couvert d’anonymat. Proche de Saad Hariri et autrefois de son père Rafic Hariri, il est également parent par alliance du directeur général de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, dont le fils a épousé sa fille. 

En septembre 2018, en plein désaccord sur la formation du gouvernement, Samir Khatib était parvenu à rassembler un grand nombre de représentants politiques libanais lors d’un dîner en l’honneur de l’ambassadeur des Émirats arabes unis Hamad al-Chamsi dans sa résidence à Mazboud, à Iqlim al-Kharroub. « Je remercie tout le monde d'être présent ici dans la résidence de Samir Khatib qui nous rassemble toujours lorsque nous avons des divergences », avait alors déclaré le premier ministre sortant et aujourd’hui démissionnaire Saad Hariri.   

Des dizaines de marchés publics

Sous sa houlette, Khatib & Alami a décroché des dizaines de marchés publics, dont l’un des plus importants est un partenariat public-privé dans la distribution électrique à Beyrouth et dans la Békaa, au travers de KVA, une joint-venture créée avec la société Arabian Construction Company. Le contrat a été signé en 2012 pour un montant d’environ 260 millions de dollars sur quatre ans, puis renouvelé aux mêmes conditions en 2016. Le cabinet a également pris part à la deuxième phase du projet de construction du centre de formation de la compagnie nationale Middle East Airlines (MEA), inauguré en novembre 2017, pour un montant d’environ 45 millions de dollars. 

Le cabinet a réalisé de nombreuses études pour plusieurs administrations, comme le Haut Comité de Secours, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), ou les différents ministères. En 2018, celui de l’Energie lui a confié l'étude d’impact sur l’environnement du projet polémique de carrières à Tannourine, au profit de la construction du barrage de Balaa. Khatib & Alami a également été chargé de mettre en place un système d’informations géographiques pour l’ensemble des équipements pétroliers au Liban.

"Le service de la patrie"

Dans une rare interview accordée à Mashareea Magazine en novembre 2018, Samir Khatib déclarait avoir contribué à la préparation de plusieurs projets présentés dans le cadre de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE). « Il est normal que notre entreprise joue un rôle essentiel dans l’étude et la gestion d’un grand nombre de ces projets ».

Interrogé sur ses ambitions politiques, il avait répondu : « Le service de la patrie ne se limite pas à une fonction publique ou un portefeuille ministériel. Bien que Khatib & Alami soit devenu une entreprise mondiale, nous veillons à ce que le siège principal reste au Liban. Cette expansion est un moyen de servir le pays, car avec l’expérience acquise [dans nos 35 branches à l’étranger] nous améliorons les projets au Liban » avait-t-il déclaré. Le siège juridique de la maison mère, K&A Holding, a néanmoins été transféré du Liban à Singapour en juillet 2018.