L’épidémie du coronavirus, qui intervient dans un contexte de crise sévère, plombe un peu plus les perspectives économiques, tandis que le gouvernement annonce un plan de réforme dans les prochaines semaines.  



Jamais deux sans trois, dit le dicton. Après la crise financière qui s’est muée en crise économique, le Liban subit désormais une crise sanitaire. « Il est trop tôt pour estimer le coût économique de l’épidémie du coronavirus pour le Liban. Tout dépend de la durée des mesures de confinement imposées à la population. Mais l’arrêt de l’activité d’un grand nombre d’entreprises va certainement se traduire par une baisse des revenus, voire des faillites », affirme le ministre de l’Économie, Raoul Nehmé. Et qui dit faillite, dit hausse du chômage et de la précarité dans un contexte déjà marqué par une contraction du PIB et une forte inflation. À travers une circulaire publiée le 23 mars, la Banque du Liban a promis de fournir des liquidités à taux zéro pour permettre aux entreprises de payer leurs crédits et leurs salariés durant les trois prochains mois, et éviter ainsi une explosion des créances douteuses dans le portefeuille des banques. 

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Mais les effets des crises combinées ne risquent pas de se limiter aux trois prochains mois. « Nous avons fait un appel aux dons, nous parlons avec des institutions internationales, notamment la Banque mondiale, pour un renforcement des filets sociaux, et nous réfléchissons à des mesures de soutien aux entreprises, mais nous n’avons pas d’argent », reconnaît le ministre. 

D’autant que la crise a aussi des conséquences sur les finances publiques. Si les dépenses occasionnées par l’épidémie restent à ce stade contenues, les revenus de l’État, eux, continuent de s’effondrer. «Entre le ralentissement de l’activité, la baisse des taux d’intérêt et celle des importations, qui pourraient tomber de 20 à 11 milliards cette année, les recettes fiscales devraient baisser de plus de 40 % en 2020», souligne un analyste, sous couvert d’anonymat. 

Les deux seuls postes dans le vert pour le moment sont les droits d’enregistrement des biens immobiliers et les droits d’accises sur l’essence, le gouvernement ayant décidé de ne pas répercuter la baisse des prix du pétrole à la pompe. «Avec les mesures de confinement, la consommation devrait néanmoins baisser», ajoute-t-il. 

La chute des cours est aussi une bonne nouvelle pour l’EDL dont la facture pourrait être divisée par deux, en attendant une éventuelle hausse des tarifs. Celle-ci était jusque-là conditionnée à une amélioration de l’approvisionnement à travers l’attribution de contrats de production au secteur privé, mais pour l’heure les investisseurs ne se bousculent pas. 

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Avec le moratoire annoncé le 23 mars sur le paiement des échéances de tous les eurobonds, l’État devrait néanmoins économiser le tiers du service de la dette et réduire son déficit total de l’ordre d’un milliard de dollars. «Mais avec une dette qui reste à restructurer, un secteur bancaire moribond, une économie en forte récession, qui bascule vers l’informalité, et une crise sociale terrible», souligne l’analyste précité.

Pas de quoi rassurer les créanciers, avec lesquels le gouvernement a établit un premier contact ce vendredi. 

Le plan de réforme global, lui, devait être finalisé « dans deux ou trois semaines, selon Raoul Nehmé. Il comprendra tous les volets évoqués par le Premier ministre, à savoir les finances publiques, la restructuration du secteur bancaire et les mesures économiques ». 

La crise bancaire 

Pour le directeur du Centre de consultations pour les études et la documentation du Hezbollah, Abdel Halim Fadlallah, «la priorité est d’assainir le bilan des banques et de la Banque du Liban qui sont au cœur de la crise». C’est en effet par là que tout a commencé, avec l’assèchement des liquidités en devises, qui a provoqué une dévaluation de la livre sur le marché parallèle et la contraction des importations. Or, la restructuration de la dette publique conditionne celle des banques dont l’exposition à l’État représente sept fois et demi les fonds propres. Pour ramener la dette publique à un niveau “soutenable”, et restaurer la confiance dans le système financier, le ministre des Finances, Ghazi Wazni, estime les besoins de recapitalisation du secteur entre 20 et 25 milliards de dollars. 

Où trouver l’argent ? «C’est d’abord aux actionnaires d’injecter des fonds dans leurs établissements, soit en liquidant des actifs à l’étranger, soit en rapatriant une partie des bénéfices distribués depuis 1993, qui s’élèvent à au moins 15 milliards de dollars», affirme Abdel Halim Fadlallah, en considérant que les banques doivent assumer les conséquences de leur mauvaise gestion des risques. Celles qui ne le pourront pas devront trouver des investisseurs étrangers, fusionner avec d’autres banques ou être liquidées, ajoute-t-il. La réduction de la taille du secteur bancaire permettrait, selon lui, de réduire les besoins de recapitalisation aux alentours de 16 milliards de dollars. 

Le ministre de l’Économie, lui, n’exclut pas un “bail-in”, c’est-à-dire la transformation d’une partie de l’argent des grands déposants, qui sont les créanciers de la banque et qui doivent donc assumer en partie les risques pris, en actions bancaires. 

Quant aux banques, elles estiment que seul l’État est responsable de la crise et plaident pour une structure de défaisance, dans laquelle seraient placés tous les actifs publics, comme la MEA, les réseaux de téléphonie, le Casino du Liban, etc. Cette structure émettrait des actions détenues par les banques en échange de leurs créances sur l’État. «Les dividendes versés par cette structure permettraient d’apporter aux banques les liquidités dont elles ont besoin pour relancer l’économie, par opposition au “bail-in” qui permet d’améliorer les ratios de solvabilité sans régler la crise des liquidités», souligne un banquier. «Cette solution, qui reviendrait à un “bail-out” des banques avec des actifs qui appartiennent aux contribuables, est techniquement faisable, mais moralement inacceptable, réagit un observateur. Le pays a besoin de liquidités, mais cela ne le dispense pas d’assainir son secteur financier.»

Contrôle des capitaux

Garantir un minimum de liquidités en attendant le chantier de la restructuration, c’est l’ambition de l’avant-projet de loi sur le contrôle des capitaux proposé par le ministre des Finances. En formalisant les mesures imposées de facto par les banques, les pouvoirs publics cherchent à rassurer les déposants, notamment sur le fait que le “fresh money”, c’est-à-dire les montants apportés de l’étranger ne seront soumis à aucune restriction. Le texte, qui a subi de nombreuses modifications depuis sa première présentation en Conseil des ministres, veut également garantir l’égalité de traitement des clients des banques, en fixant les plafonds de retraits de dépôts en devises, dont une partie pourrait être retirée en livres libanaises à un taux supérieur au taux officiel, et des transferts devant financer les études, le séjour ou les soins à l’étranger. Il détermine enfin, et c’est sans doute le plus important, le montant qui devra être alloué pour financer les importations en matières premières des secteurs productifs. Mais ni ce montant, qui varie de 0,5 à 1,5 % des dépôts des banques selon les versions, ni les autres ne s’appuient sur des études ou des simulations chiffrées de leur impact sur les réserves de la BDL.

Or, il faut gérer au mieux les liquidités existantes et évaluer au mieux les besoins avant de demander une aide internationale, souligne Raoul Nehmé. Il faut aussi définir les réformes que le pays veut, et surtout peut mettre en œuvre. « Le Fonds monétaire international attend le plan de réforme du Liban avant de s’exprimer sur une éventuelle aide », ajoute-t-il.

Après s’être formellement opposé à un programme avec le Fonds, le Hezbollah semble avoir assoupli sa position. «Nous ne contestons pas le FMI, qui est une institution internationale même si les Américains y ont un droit de veto, mais les moyens généralement proposés pour atteindre les objectifs fixés», confirme Abdel Halim Fadlallah. Le parti chiite a ainsi défini trois lignes rouges, sur lesquelles il affirme qu'il ne cédera pas : une dévaluation immédiate, une hausse des taxes indirectes et des coupes dans la fonction publique.

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