Conseiller financier auprès de l’incubateur Berytech, Constantin Salameh possède une longue expérience dans le financement, le soutien et le développement des start-up. Depuis novembre, il anime des ateliers de gestion de crise gratuits à destination des entrepreneurs. Pour lui, les défis que rencontrent actuellement les start-up sont de taille, mais pas insurmontables.

Constantin Salameh est conseiller financier auprès de l’incubateur Berytech
Constantin Salameh est conseiller financier auprès de l’incubateur Berytech

Quel est l’impact de la pandémie du Covid-19 sur le secteur ?

La difficulté spécifique à l’écosystème libanais est la gestion de deux crises simultanées, l’une économique et l’autre sanitaire. En Europe, des sommes colossales ont été mobilisées pour le secteur privé alors qu’au Liban, l’État n’a clairement pas les moyens de mettre en place un fonds d’urgence pour aider les start-ups. Sans un soutien financier, l’impact de la crise sanitaire sur l’écosystème sera important et risque de se prolonger sur une période de trois à six mois. Les organisations internationales auront certainement un rôle à jouer pour aider à passer le cap.

Dans un contexte d’urgence, les start-up devaient recentrer leur activité sur les compétences de base, identifier les fonctions-clés, et communiquer avec les clients et fournisseurs les plus stratégiques pour adapter les opérations. Mais il était peut-être plus facile pour elles d’adopter un modèle de fonctionnement flexible à distance, car des pratiques comme le télétravail ou les réunions en ligne étaient déjà répandues dans le milieu.

Quels sont les défis liés à la crise financière et économique que traverse le pays ?

Il y a d’abord un problème majeur de financement. Les fonds disponibles sont désormais très limités, ceux garantis par la circulaire 331 de la BDL sont gelés. Pour les fonds de capital-risque, la priorité est de préserver le portefeuille existant et protéger l’écosystème bâti ces cinq dernières années, au moment où de nombreuses start-up risquent de mettre la clé sous la porte. Les investisseurs sont ainsi contraints d’être stratégiques et se concentrer sur les 10 % ou 20 % de leurs jeunes pousses qui ont les moyens de survivre la crise.

Dans ce contexte, certains investisseurs n’ont pas pu tenir leurs engagements et participer notamment à de nouveaux tours de table. Les start-up qui comptaient sur l’obtention de ces fonds se sont ainsi retrouvées sur le carreau, du jour au lendemain.

À cela s’ajoutent des problèmes liés à la crise des liquidités, qui touche toutes les entreprises : difficultés d’accès au dollar, inflation, gestion de la trésorerie…

Enfin, il y a le défi de retenir les jeunes talents, tentés de fuir la situation économique.

Y a-t-il des alternatives aux financements de la 331 pour les start-up ?

Il faut miser sur les business angels et la diaspora libanaise, dont une partie de la fortune est coincée dans le secteur bancaire libanais. De fait, pour ces derniers, investir dans des fonds d’investissement ou directement dans les start-up est un moyen de sortir leur argent des banques et de diversifier leurs avoirs, au même titre que d’autres catégories d’actifs comme les obligations, l’or ou l’immobilier.

D’autre part, certains bailleurs internationaux, comme des agences de développement ou des ONG internationales, ont manifesté de l’intérêt pour la structuration de nouveaux fonds. Ils pourraient par exemple se porter garants des investissements.

Aussi bien les investisseurs libanais que les bailleurs internationaux sont conscients de l’importance du secteur, et du gâchis que ce serait d’abandonner un écosystème riche en innovation. Il faut tout faire pour que les start-up puissent garder une partie de leurs services et équipes au Liban.

Dans l’immédiat, quelles sont les solutions que vous préconisez pour limiter les effets de la crise ?

Il existe une série de mesures à prendre. Pour contourner les restrictions sur le dollar par exemple, l’ouverture d’un compte en banque à l’étranger est une priorité, c’est un service que proposent déjà plusieurs banques aux entreprises libanaises, notamment à Chypre ou à Dubaï. C’est absolument nécessaire pour pouvoir être payé par la clientèle résidant hors du Liban et régler les fournisseurs à l’étranger.

Viser les marchés internationaux est aussi un moyen d’obtenir des liquidités en devises. Le marché local était de toute façon limité, avec une croissance annuelle de l’ordre 1,5 % ces huit dernières années, et il est aujourd’hui en pleine récession. Cela peut être fait soit à travers un distributeur, une franchise, une joint-venture ou encore la création d’une succursale.

Il faut par ailleurs réussir à compresser les dépenses, en convertissant par exemple une partie des coûts fixes (salaires, loyer) en coûts variables en fonction du chiffre d’affaires ou en remplaçant autant que possible les produits importés par des produits locaux.

Enfin, pour inciter les talents à rester malgré la crise, il est par exemple possible de convertir une partie de leur salaire en actions fantômes, permettant aux employés de profiter de l’appréciation de la valeur de l’entreprise sans effectuer de transfert de propriété. C’est un moyen idéal pour retenir les employés et les impliquer dans la création de valeur.

L’important c’est d’avoir une gouvernance transparente et d’établir un plan de communication claire sur la gestion de crise. Aussi difficile qu’elle puisse être, une crise est l’occasion de se réinventer en tant qu’entrepreneur.

Quelles sont les start-up les mieux équipées pour faire face à la situation ?

Les start-up, qui emploient une main-d’œuvre locale, produisent au Liban tout en exportant leurs biens ou services, sont dans une situation plutôt avantageuse, puisqu’elles bénéficient de la dépréciation de la livre face au dollar. Et le Liban n’en manque pas : parmi les jeunes pousses financées à travers les différents fonds et accélérateurs de Berytech, certaines réalisent plus de 95 % du chiffre d’affaires à l’étranger.

Celles qui travaillent dans des secteurs plus innovateurs que d’autres, comme la fintech, l’agritech et la cleantech, sont également mieux placées. Enfin, dans un contexte de crise, les bailleurs regardent de près l’impact social des start-up.

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Mais si certaines start-up arrivent à s’en sortir, ce n’est pas le cas pour toutes. Celles qui importent pour vendre sur le marché local sont touchées de plein fouet par la dépréciation de la monnaie et n’ont plus de marge de manœuvre. Certaines d’entre elles ont déjà dû mettre la clé sous la porte.

Quel avenir pour le secteur ?

Je suis convaincu que les start-up ont un rôle primordial à jouer dans l’économie, aujourd’hui comme demain. La technologie est un secteur économique indispensable, c’est un catalyseur de changement qui pousse l’innovation dans tous les secteurs, c’est elle qui nous permet d’avoir une vraie valeur ajoutée dans nos produits.

Je reste donc optimiste quant à l’avenir de l’écosystème. Nous avons les talents qu’il faut. Nous sommes au cœur de la crise, mais nous ne sommes pas le premier pays de la région à être passé par là. La crise finira par passer, il faut se préparer pour la suite.