Aline Tanélian Fadel  est docteure  en droit, avocate à la Cour, arbitre et enseignante  en droit commercial  à la Faculté  de droit  de l’Université Saint-Joseph.
Aline Tanélian Fadel est docteure en droit, avocate à la Cour, arbitre et enseignante en droit commercial à la Faculté de droit de l’Université Saint-Joseph.

La crise économique sans précédent par laquelle passe le Liban n’est pas de nature à encourager l’investissement. Que l’argent soit “bloqué” dans des banques libanaises, gardé au comptant dans un coffre-fort, ou déposé dans un compte bancaire à l’étranger, l’investir au Liban s’annonce de prime abord extrêmement risqué. Pourtant, il faut se rendre à l’évidence : les taux d’intérêt élevés proposés par les banques libanaises à leurs déposants ne pouvaient perdurer et il est temps de remédier aux nombreux problèmes structurels de l’économie libanaise, notamment le manque d’investissement dans les secteurs productifs. 

C’est dans cette optique qu’il faut envisager des alternatives non seulement aux dépôts bancaires, mais aussi aux investissements traditionnels privilégiés en temps de crise, comme l’or et l’immobilier. Et quel meilleur investissement “alternatif” que l’investissement direct dans les sociétés commerciales libanaises à succès, dans les domaines de l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique l’industrie du ciment, la technologie de l’information… ?

Or la réforme récente du code de commerce libanais, en vigueur depuis le 1er juillet 2019, offre un moyen d’investissement attractif : les actions de préférence, qui étaient réservées auparavant aux banques, peuvent désormais être émises par toutes les sociétés anonymes libanaises. 

La particularité de ces actions est de conférer à leurs titulaires des privilèges ou priorités (“préférence”) en comparaison avec les actions ordinaires de la société, en privant cependant leurs titulaires de certains droits, dont le droit de vote au sein des assemblées et le droit d’accès au conseil d’administration de la société. 

Les sociétés anonymes libanaises, en quête de fonds propres et de devises étrangères pour financer leur développement ou leurs importations, ont donc à leur disposition un outil qui leur permettrait de lever des fonds sans s’endetter et sans changer la répartition des pouvoirs au sein de la société. 

Les actions de préférence des sociétés libanaises pourraient séduire des investisseurs à la recherche d’un rendement financier au Liban, leurs économies bloquées auprès des banques pouvant être transférées de leur compte à celui de la société émettrice des actions ; des investisseurs intéressés par un environnement familier plus prometteur que les intérêts de leurs comptes bancaires ; ou des investisseurs qui désirent encourager l’industrie libanaise, notamment pour fabriquer les masques et autres matériels nécessaires dans la lutte contre le Covid-19.

Une protection a minima

La société émettrice doit aménager des “préférences” au titulaire de l’action de préférence par rapport à ses actionnaires ordinaires : il aura ainsi droit, au choix de la société émettrice et selon les termes d’émission des actions, à un dividende fixe (exemple : 8 % de la valeur investie) si la société réalise des bénéfices, et/ou un dividende prioritaire payé avant toute distribution de dividendes aux actionnaires ordinaires, et/ou un remboursement prioritaire de la totalité de son investissement en cas de liquidation de la société… l’éventail des préférences est large s’adaptant aux besoins et moyens de la société émettrice. 

Le législateur libanais a profité du succès rencontré par les actions de préférence émises par les banques libanaises dès 2001 pour développer la protection dont jouissent les titulaires des actions de préférence en multipliant, dans la réforme du code de commerce, les dispositions favorables à ces titulaires par rapport à la réglementation plus concise des actions de préférence des banques. 

La loi prévoit ainsi une protection a minima, appelée à être complétée par les praticiens pour instaurer le climat de transparence et de confiance nécessaire pour encourager l’investissement, tout en gardant en tête que l’investisseur visé doit être “averti”, c’est-à-dire familier avec les risques qui accompagnent généralement une souscription d’actions.

Cette protection légale gravite autour de deux points : d’une part, même si les actions de préférence sont en principe dépourvues du droit de vote, le droit de vote est exceptionnellement accordé aux titulaires des actions de préférence pour certaines résolutions de l’assemblée générale, jugées cruciales pour l’entreprise et énumérées dans la loi, comme la dissolution de la société avant son terme, le changement de son objet ou de sa forme… Le droit de vote peut aussi être récupéré par les actionnaires de préférence si la société ne respecte pas ses engagements, dans le cas par exemple d’une non-distribution du dividende fixe promis malgré la réalisation de bénéfices permettant une telle distribution. 

D’autre part, le vote des titulaires des actions de préférence réunis en assemblée spéciale est nécessaire pour toute résolution de l’assemblée générale susceptible de réduire ou menacer leurs droits. Si, par exemple, l’entreprise veut émettre une nouvelle catégorie B d’actions de préférence, dont les avantages priment sur ceux d’une catégorie A émise antérieurement, l’opération doit être validée par l’assemblée spéciale de la catégorie A. 

Pour les sociétés libanaises qui subissent une crise de liquidité sans précédent, la faculté d’émettre des actions de préférence sans droit de vote est une aubaine : pour peu que l’émission soit bien adaptée aux besoins et capacités financières de la société, elle lui permettrait de lever des fonds qui n’affectent ni les majorités en place dans la société ni la constitution de son conseil d’administration.

En effet, la loi prive les actions de préférence, sous réserve des exceptions exposées plus haut, du droit de vote au sein des assemblées générales qui pourraient augmenter le capital social, autoriser certaines opérations, élire les membres du conseil d’administration…

De plus, la loi interdit aux titulaires d’actions de préférence d’être membres du conseil d’administration, tout comme elle interdit aux membres et président du conseil d’administration, au directeur général, au directeur général adjoint, ainsi qu’aux époux et enfants mineurs de ces derniers d’acquérir des actions de préférence : les titulaires d’actions de préférence ne peuvent pas participer à l’administration de la société, ce qui peut constituer un avantage pour les sociétés émettrices qui redoutent les changements au sein de leur conseil d’administration. 

Par ailleurs, les actions de préférence simplifient l’ouverture du capital à de nouveaux investisseurs, puisque la loi dispose que les actionnaires de la société n’ont en principe aucun droit préférentiel de souscription lors de l’émission des actions de préférence, à moins que la société ne décide de leur accorder ce droit préférentiel.

En conclusion, les sociétés libanaises ont tout intérêt à lever des fonds par l’émission d’actions de préférence : il leur faut pour cela adopter des termes d’émission susceptibles d’attirer les investisseurs de toute nationalité, leur permettant notamment de cibler la diaspora libanaise.