Où placer son argent en pleine tempête économique ? Alors que le pays traverse une crise financière et économique sans précédent, la plupart des banques privées, sollicitées chaque année par Le Commerce du Levant, n’ont pas souhaité s’exprimer. Quelques professionnels ont toutefois évoqué certaines options.

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Secoué par un mouvement de contestation inédit contre la classe politique et écrasé par la dette, le Liban est en défaut de paiement depuis le mois de mars et la confiance dans un secteur bancaire, jadis fierté nationale, est ébranlée. Dans ce contexte, où placer son argent ? « La pire chose à laquelle nous sommes confrontés actuellement est l’incertitude », affirme Rami Sayegh, le directeur de la banque privée de Blom. « La consolidation dans le secteur bancaire et le contrôle des capitaux sont inévitables. Mais pour le moment il n’y a aucune visibilité sur un éventuel plan de redressement financier », rappelle-t-il. Beaucoup de banques privées se préparent d’ailleurs à une consolidation du secteur et certaines pourraient voir leur activité fusionner avec le département de banque commerciale.

Au début de la crise, face au risque d’effondrement du secteur bancaire, les épargnants se sont rués vers des valeurs refuges comme l’or, ou encore les œuvres d’art. Mais très vite, avec le durcissement des restrictions bancaires et la dévaluation massive de la livre, les vendeurs se sont mis à exiger un paiement en “vrais dollars”, avec ce que cela implique comme décote par rapport aux “dollars libanais”, dont seule une partie peut être convertie au taux de 3 950 livres le dollar, ou à la livre libanaise qui s’échange désormais à plus de 8 000 livres le dollar sur le marché noir. Dans ce contexte, pour ceux qui ont placé leurs économies dans les banques libanaises, les options sont très limitées.

Où placer les “dollars libanais”

Immobilier

Malgré l’incertitude sur sa résistance à terme à la crise (voir page 42), l’immobilier continue d’être un investissement recherché, comme en témoigne une hausse des prix de l’ordre de 25 % en moyenne ces derniers mois. De nombreux propriétaires exigent désormais un paiement en partie à l’étranger, mais certaines banques, comme Blom ou FFA, continuent de proposer des terrains, des solutions commerciales ou résidentielles, payables en chèques bancaires, souvent avec une préférence pour le client pour des biens générant un revenu locatif. Selon Karl Kanaan, partenaire chez Sodeco Gestion, le rendement locatif au Liban se situe entre 2 et 2,5 %. L’idéal étant, selon lui, « de pouvoir le générer en monnaie forte ».
« Nous sommes très sollicités durant cette période pour trouver des locataires pouvant payer en “fresh money”, ce qui reste possible lorsque les locations se font par des expatriés ou des diplomates », ajoute-t-il.

Eurobonds

Depuis que le Liban a fait défaut sur sa dette extérieure, les eurobonds libanais se sont appréciés de près de 30 %, passant de 15 à 20 centimes sur le dollar en moyenne à fin juillet. Les volumes demeurent très faibles et certains investisseurs misent sur un taux de recouvrement supérieur, constate un banquier sous le couvert de l’anonymat. Cependant, cela reste un investissement très spéculatif, les négociations sur la restructuration de la dette traînent en longueur et le résultat final est très incertain, nuance la même source.

Actions Solidere

À la Bourse de Beyrouth, dominée par les actions bancaires, Rami Sayegh recommande les actions Solidere, dont le prix a plus que doublé depuis octobre 2019. Grâce à des ventes de plus de 340 millions de dollars réalisés les six premiers mois de 2020, la société a rétabli un résultat positif et consolidé son bilan, en remboursant la quasi-totalité de sa dette. Solidere a laissé entendre qu’elle pourrait reprendre en 2021 le paiement de dividendes, suspendu depuis 2017.

Placements privés

FFA Private Bank mise sur « le développement des secteurs productifs libanais, pierre angulaire de la relance de l’économie libanaise, et mobilise ses ressources et son expertise auprès des différents services (banque d’investissement, financement structuré, banque privée, etc.) pour en assurer le succès », affirme son PDG, Jean Riachi. « Une de nos dernières transactions a été structurée de manière à permettre la désintermédiation, c’est-à-dire l’accès direct des investisseurs au financement des entreprises industrielles libanaises. Cela offre aux déposants et investisseurs libanais des possibilités de diversifier leur exposition et éventuellement se faire rembourser une partie de leur investissement à l’étranger grâce au “fresh money” généré par les exportations », explique-t-il. Les investisseurs se sont ainsi vu proposer un produit de dette qui génère un rendement entre 5 et 8 % avec un profil amortissable sur 4 à 7 ans. À l’avenir, la banque pourrait proposer des produits hybrides de type convertible.

Même son de cloche chez Blom dont les départements de banque privée et de banque d’investissement travaillent ensemble pour identifier des opportunités locales, notamment sous forme de placements privés de titres de créance et de capitaux propres, dont certaines sont déjà proposées à ses clients. Malgré la crise, Rami Sayegh, se veut optimiste. « Le développement du marché des capitaux au Liban prendra certainement du temps à se matérialiser, mais c’est un tremplin qui offrirait des opportunités d’investissements prometteurs, qui pourraient être financés avec des dollars locaux », affirme-t-il.

Où placer les “dollars frais”

Les clients qui reçoivent de l’argent de l’étranger peuvent toujours investir dans des actifs basés à l’international, les services de banque privée étant assurés par des entités indépendantes de la maison mère, comme FFA Private Bank (Dubaï) Limited ou Blom Bank (Suisse) SA.

FFA Private Bank a toujours adopté une approche conservatrice avec les portefeuilles internationaux des clients disposant de comptes au Liban. « Après le 17 octobre, nos clients ont été agréablement surpris de découvrir que leur portefeuille, incluant la composante “cash”, était détenu en fiducie à l’étranger avec nos banques correspondantes. Ils ont donc pu profiter librement de leurs actifs sans aucune restriction », fait remarquer Jean Riachi. Pour investir sur les marchés internationaux, Rami Sayegh estime « qu’il est optimal de maintenir une surpondération tactique des obligations d’entreprise, et une autre plus modeste des marchés boursiers par rapport au cash et obligations d’État ». En dépit du récent resserrement des spreads de crédits et avec une politique monétaire des banques centrales toujours plus accommodantes pour maintenir les taux d’intérêt au plus bas, « les obligations de type “Investment Grade” offrent le profil risque-rendement le plus attrayant. Le segment des obligations à haut rendement “High Yield” propose également des opportunités intéressantes, mais les risques de défaut ne se sont pas dissipés. Par conséquent, la sélectivité sur la qualité de l’emprunteur reste de mise ».

Du côté des actions, les marchés boursiers devraient rester volatils, surtout avec les résultats semestriels. « Nous recommandons aux investisseurs d’adopter une approche “barbell”, en investissant dans des actions cycliques au potentiel de hausse avec le redressement de l’économie mondiale, ainsi que dans les secteurs des technologies de l’information et de la santé qui ont accusé un retard ces derniers temps, mais qui bénéficient toujours de solides fondamentaux. Enfin, nous sommes très confiants sur un certain nombre d’investissements thématiques tels que l’intelligence artificielle, la robotique, les technologies financières, le cloud, les jeux en ligne, l’éducation en ligne, le commerce électronique et les technologies de la santé, qui ont profité de la crise du Covid-19 et qui représente l’avenir de la 4e révolution industrielle », conclut-il.