L’époque où l’entreprise reste l’otage de la famille est révolue ; si elle n’est pas ouverte au public, elle dépérit avec la famille. Telle est la doctrine de la deuxième génération des Bou Khalil.

«À l’horizon de 1995-1996, il y a eu des décisions cruciales à prendre et des structures à mettre en place, pour se doter de résister à la pénétration de grands groupes internationaux sur le marché», explique Nabil Bou Khalil, directeur général adjoint du holding BK Markets. À l’époque, le groupe Bou Khalil avait le statut d’une SARL exclusivement familiale ; actuellement, l’entreprise est devenue une SAL avec ses actions cotées à la Bourse de Beyrouth. La capitalisation du groupe a conservé, au début de l’opération, 75 % des actions pour la famille Bou Khalil et cédé 25 % au public. Mais comment on en est arrivé à ce précédent dans le monde des entreprises familiales libanaises ?
C’est en 1935 que Youssef Gergi Bou Khalil ouvre une petite épicerie dans le souk de Baabda. Ses affaires ayant prospéré, il achète les boutiques adjacentes à son épicerie qui devient un minimarché. Ensuite, en 1980, le premier supermarché Bou Khalil est inauguré à proximité. De plus, la guerre oblige Youssef Bou Khalil à établir une succursale à Feytroun en 1986. Cette même année, Georges, le fils aîné, décide de se joindre à son père. Par la suite, ses frères le suivent l’un après l’autre jusqu’à ce que les cinq fils et la fille de Youssef Bou Khalil soient tous impliqués dans l’entreprise familiale. Malgré leurs formations très divergentes – Nabil a son bureau d’architecture, Wajdi est architecte d’intérieur et Wajih informaticien –, la fibre familiale les a regroupés et chacun a trouvé sa place dans cette affaire en expansion continue. Jusqu’à devenir le numéro un de la grande distribution au Liban, la Coop mise à part.`

Un pacte de famille

«Quelque 7 décennies plus tard, le conseil d’administration se trouve donc constitué des frères Bou Khalil avec pour unique représentant des intérêts du public, l’émir Fayez Chéhab, actionnaire sans rôle opérationnel. Georges a été nommé président-directeur général, tandis que les autres frères ont chacun occupé la fonction correspondant le mieux à ses affinités», explique Nabil Bou Khalil. Toutes les décisions majeures concernant les orientations futures de l’entreprise sont prises par la famille lors du conseil d’administration.
De plus, selon Nabil Bou Khalil, «un contrat moral a été signé au moment de l’ouverture au public afin de garantir la pérennité de la famille, dans la société, concernant la transmission du savoir-faire et pour conserver l’âme de l’entreprise». Ainsi, les actions A constituent un bloc appartenant au holding de la famille et représentent au minimum 60 % des actions, alors que le reste (actions B) sera proposé au public. Et tout membre de la famille désirant se désister de ses actions peut les vendre, pourvu que la priorité soit donnée à la famille.
En outre, pour suivre les tendances de globalisation, Bou Khalil n’est pas défavorable à l’entrée d’un partenaire stratégique, en vue de grandir en force contre les géants internationaux.
Les Bou Khalil se sont d’ailleurs structurés de la sorte pour faire face justement à ces grands groupes, «sinon nous serions restés de simples épiciers».
Maintenant que le modernisme de Bou Khalil a été inculqué au système, il s’agit d’embaucher des personnes compétentes si elles ne se trouvent pas au sein de la famille. Le groupe comprend effectivement des cadres supérieurs extrafamiliaux. Et il ne s’agit pas seulement de nominations de pure forme. Les plans de carrière sont discutés avec les membres du personnel qui présentent un bagage propice pour un poste de directeur de magasin, de responsable de département ou de chargé de mission.
«Nos enfants nous ont tellement vus nous fatiguer au travail qu’ils ne sont pas très encouragés de prendre la relève, les miens font l’un la psychologie et l’autre la civilisation américaine», raconte Nabil Bou Khalil. La troisième génération est constituée de 17 personnes dont seulement 3 ont suivi jusqu’à maintenant le chemin de leurs parents.
Les frères Bou Khalil, observant l’histoire des familles européennes, ont refusé de voir le sort de leur entreprise fragilisé par une multitude d’héritiers qui peuvent avoir ou non de mérite dans le commerce. En laissant à la troisième génération des actions pour héritage, on donne le choix aux petits-enfants de Youssef Bou Khalil entre adhérer au groupe, vendre leurs actions ou en acheter. De plus, il s’agit de savoir que les enfants Bou Khalil déjà actifs dans la société sont traités comme les employés, à poste équivalent, et ils ne participent pas encore à la prise de décision. Ils auront à gravir les échelles comme tout autre employé désirant faire ses preuves.

Conflits de culture

Les conflits au sein du groupe Bou Khalil ne se situent pas au niveau des générations, ce sont des conflits de “culture”. Plusieurs générations sont actives dans le groupe, et l’âge de la descendance s’étale sur plus de 30 ans. «Lorsque le directeur et ses assistants ont des formations et des cultures différentes, la mise en place d’une technique unifiée devient difficile à cause des multiples approches», raisonne Nabil Bou Khalil. Certains ont acquis leur bagage à la fac, mais ne peuvent l’appliquer sur une société déjà bien installée, tandis que d’autres apprennent sur le tas. Ce frottement quotidien rend parfois le travail de terrain pénible et demande une expertise hors pair.
À Nabil Bou Khalil de conclure : «Pour cette raison, je répète ma conviction que la continuité peut être assurée par une équipe rodée de personnes passionnées du métier pouvant rendre service à l’entreprise, plus que sa propre famille».