Il y avait le tabac, local ou importé, la Régie, les taxes douanières et la contrebande. Maintenant, on parle de la titrisation, pour compléter le schéma financier d’un secteur. Mise au point avec Simon Langelier

Où en est le projet de titrisation des revenus de la Régie** ?
Le projet nous a été présenté par le ministre des Finances qui nous a demandé de le commenter. Nous sommes donc au stade d’appréciation, d’autant plus que nous n’avons pas eu jusqu’à présent une expérience de titrisation dans le monde. Par ailleurs, si le but du gouvernement libanais est d’optimiser ses revenus du tabac, il y a aussi d’autres moyens : la taxe au Liban est actuellement basée sur la valeur de la marchandise, elle peut passer au montant fixe par pièce.

Pourquoi préférez-vous cette forme de taxation ?
Nous vendons des cigarettes de qualité supérieure, à prix plutôt élevé ; si les taxes ne sont pas basées sur la valeur, mais sur le volume, c’est plus intéressant pour nous. Mais aussi pour l’État, car ses recettes deviennent prévisibles : que le prix à la source augmente ou chute, les revenus restent inchangés.

Achetez-vous du tabac libanais brut ?
On achète grosso modo la moitié de la production du tabac libanais qui est de très bonne qualité. On l’utilise dans nos marques sur le plan mondial. Nous achetons du tabac partout dans le monde pour nos diverses marques. Pour garder une constance dans le goût, il faut mélanger d’une manière bien déterminée les variétés et les millésimes – un peu comme le vin.

Pourquoi ne pas investir au Liban dans une industrie de tabac ?
Je suis ouvert à toute proposition. Le cas échéant, nous ferions une étude de faisabilité. En tout cas, l’impression que je tire de cette première visite au Liban est une confiance en l’avenir. Et même si le Liban est un pays qui comporte des risques, cela ne veut pas dire pour autant que c’est un pays à ignorer au niveau de l’investissement.

Est-il nécessaire qu’un marché local soit substantiel pour y établir une industrie ?
D’une manière générale, ceci aide beaucoup pour soutenir l’investissement. Car dès qu’on parle d’exportation vers des marchés voisins, il faut prendre en considération des économies
différentes du pays d’implantation. Par ailleurs, nous avons des usines un peu partout dans le monde et nous voulons les faire tourner. Rien que dans “ma région”, nous avons quatre usines en Europe de l’Est et une en Turquie.

D’une manière générale, quelle est la tendance actuelle du marché ?
Partout, ce sont les cigarettes titrées “Light” qui attirent le plus les consommateurs avec moins de goudron et de nicotine – mais je n’affirme pas qu’elles sont meilleures pour la santé. Plus particulièrement, la Russie est un marché en pleine croissance, l’Ukraine et le Kazakhstan aussi. Dans les autres pays de l’ex-URSS, le marché est un peu plus difficile. L’Afrique aussi. Quant au Moyen-Orient, il est perturbé par les conflits, ce qui ne favorise pas une économie stable : quand les gens ont moins d’argent, soit ils arrêtent de fumer, soit ils fument des marques moins
chères. Au Liban, nous avons actuellement près de 25 % du marché.

Où en est le Liban par rapport aux normes européennes d’interdiction de publicité pour le tabac ?
Comme principe général, Philip Morris n’utilise pas la télé et la radio pour les publicités de tabac, même si celles-ci sont permises par la loi du pays. Parce qu’on estime que la télé va
directement dans les maisons et que les enfants sont facilement influencés. Nous avons aussi pris de notre propre chef certaines autres dispositions : par exemple, nous ne distribuons plus d’échantillons gratuits. Nous participons aussi avec les différents acteurs sociaux aux initiatives pour empêcher les jeunes et les enfants de fumer. Tout ce que nous demandons, c’est d’avoir les moyens de communiquer avec les adultes.

La contrebande au Liban est estimée par certaines sources à 25 % de la consommation. Comment luttez-vous contre ce fléau ?
Nous faisons beaucoup d’efforts pour connaître nos clients grossistes – et leurs clients – dans le but d’être plus ou moins sûrs que le produit destiné à un marché X va rester sur ce marché. Nous avons les moyens de savoir d’où vient un produit et, quand on peut, on aide les autorités locales à remonter la filière. De plus, depuis quelques années, un autre fléau très grave est en croissance, celui de la contrefaçon : l’aspect extérieur du produit est bien imité, mais pas le contenu. Nous prenons toutes les mesures possibles en collaboration avec les gouvernements pour lutter contre ce fléau.

(*) Président de la région Europe de l’Est, Moyen-Orient et Afrique chez Philip Morris International (Marlboro, Merit…). Il était en visite au Liban chez les Éts Kettaneh, agents de leurs produits.
(**) La titrisation des revenus de la Régie revient, pour l’État, à encaisser immédiatement des producteurs exportateurs un montant forfaitaire, qu’ils pourront récupérer par la suite grâce aux taxes prévues sur le tabac. (Les montants en jeu seraient de l’ordre de 500-700 millions $, récupérables sur 5-7 ans).