Ni pétrole ni même derricks pour explorer. N’empêche que les affaires pétrolières au Liban font fonctionner la machine d’une nébuleuse de sociétés, de la petite station-service à la multinationale. Avec, tout en haut, un État qui fixe les prix, mais sans vraiment avoir une vision. Alors, qui fait quoi, et comment ? Récit inédit.

Pendant longtemps, l’importation de produits pétroliers est restée un monopole de l’État qui redistribuait ensuite la marchandise aux sociétés privées selon des quotas précis. Puis, la confusion qui a prévalu pendant la guerre a conduit les entités les plus diverses à effectuer elles-mêmes leurs achats : petites et grandes sociétés pétrolières, et milices armées. Mais depuis, bien de choses ont changé. Aujourd’hui, et de façon officielle depuis 1989, l’État n’intervient plus directement dans les importations de la plupart des produits. Et le marché est virtuellement libre, car la création d’une société d’importation de produits pétroliers ne nécessite que l’obtention d’une licence d’importation, sauf que cette autorisation est liée à la possession ou à la location d’un terminal pétrolier agréé, ce qui est une denrée rare, et limite en fait le nombre des intervenants.

Il n’empêche que neuf importateurs grossistes principaux se partagent le gâteau pétrolier, représentant plus de 85 % du volume des imports :
• Levant Oil : famille Tohmé avec une participation de Cogico détenue en partie par Walid Joumblatt.
• Coral Oil : groupe saoudien Amoudi.
• Medco : groupe Chammas.
• Total-Liban : filiale du groupe français TotalFinaElf.
• Uniterminals : groupe Unifert et les Koweïtiens du Independent Petroleum Group.
• Hypco : famille Bassatni.
• Falcon : autrefois à la famille Ghandour mais aujourd’hui récupérée en grande partie par les banques, la Société Générale en particulier, suite à des problèmes financiers.
• Arabia : famille el-Hajji (qui était à l’origine propriétaire de cuves à Tripoli).
• Et Wardieh Holdings : Mobil Oil et des Séoudiens de la famille Bakhsh.

Quelques petits indépendants comme Hachem, IPT ou South Petroleum, disposant de réseaux limités de stations-service, importent de petites quantités par le biais de ces grosses structures. «Certains importateurs n’ont pas toujours les moyens de remplir entièrement un bateau, explique Loïc Thiéblin, directeur commercial chez Total-Liban. En moyenne, un bateau transporte 30 000 tonnes de produits. Certains importateurs constituent donc des lots qu’ils vendent directement du bateau à des distributeurs locaux. Cette pratique est courante et avantage les deux parties : les petits acteurs locaux parviennent ainsi à trouver de la place dans les bateaux affrétés par d’autres, tout en restant indépendants ; et les gros importateurs rentabilisent chaque bateau».

Importateurs : 8 + 1

En réalité, la pratique de collaboration est très répandue, et même organisée. Un plan d’importation commun a ainsi été mis sur pied il y a 6 mois par les 8 autres grandes compagnies, hors Total. «Au lieu d’affréter chacun un bateau, nous nous sommes mis d’accord pour importer ensemble, indique Georges Fayad, directeur général de Uniterminals. Depuis une dizaine d’années, cette méthode était partiellement appliquée, au moins à 4 partenaires (Coral, Uniterminals, Medco, Hypco), puis nous avons fini par nous regrouper à 8. C’était en fait indispensable, puisque nous sommes dans un régime de prix fixés et réajustés chaque semaine par le ministère de l’Énergie. Nous n’avons donc pas intérêt à avoir des stocks qui dépassent les 15 jours, car le risque serait grand sur la variation des prix. En nous regroupant, nous nous protégeons mutuellement des risques du stockage. De plus, dans ces conditions, les produits sont en fait les mêmes pour tous dans une cargaison donnée, ils ont la même origine, le
même coût, et arrivent à la même date. Nous faisons entre nous au préalable une sorte d’appel d’offres interne, et le meilleur offrant à un moment donné achète une cargaison pour le compte de tous les autres».

Ce schéma fait qu’aujourd’hui au Liban il y a en réalité deux importateurs : Total et tous les autres regroupés dans ce pool. Cela n’a néanmoins rien de formel, et chacun peut choisir de se retirer n’importe quand. Puis, dès que les produits sont débarqués dans les terminaux, la concurrence reprend ses droits. D’ailleurs, selon Georges Fayad, même Total, qui importe un bateau par mois, vend une partie du produit à son voisin Wardieh (Mobil) pour rentabiliser chaque cargaison.

Devant ce schéma apparemment clair, la discrétion reste cependant de mise au niveau des parts de marché de chacun. Selon les estimations de Total, le groupe français, en première place, occuperait 17 à
18 % de parts de marché sur les essences et gasoil confondus, suivi de Coral avec 12 %, puis avec une courte tête Wardieh, Levant Oil et Medco, puis les autres.

Mais on n’est encore là qu’au début de la filière pétrole, au niveau de l’importation. Pour la suite des opérations, d’autres acteurs rentrent sur scène. Parmi nos 9 importateurs-grossistes, certains se contentent d’opérer à ce seul niveau ; d’autres assurent le processus complet, de la source à la pompe. Ainsi Total, Coral Oil, Levant Oil (par le biais de Cogico) ou Medco (par le biais de Phoenicia Oil) maîtrisent la filière de A à Z : achat du produit, entreposage, distribution par des camions-citernes et vente dans leurs propres réseaux de stations-service. Une société comme Liban Pétrole en revanche n’importe pas, mais achète ses produits aux sociétés importatrices pour les distribuer aux stations-service, jouant donc un rôle intermédiaire. Autre formule : la société Lipco achète des lots aux importateurs
pour alimenter la dizaine de stations dont elle est propriétaire. Une autre option consiste en un partenariat, fixé par contrat, entre un importateur et un réseau de stations : c’était le cas de Uniterminals, société d’import, qui collaborait étroitement avec United, installée depuis longtemps sur le terrain avec un réseau de stations et une flotte de camions.

La foire aux détaillants

Plus en aval de la filière, au niveau de la collaboration avec les stations-service, les stratégies se multiplient encore. D’un côté, certains importateurs choisissent de disposer d’un réseau clair et identifiable pour le public. Trois principaux types de collaboration sont alors mis en œuvre :

1) Certaines stations sont détenues, et gérées directement par un groupe pétrolier ; c’est partiellement la politique de Medco ou encore de Total. «Nous avons 15 stations Sur un total approximatif de 3 000 stations, il y a une moitié en gestion directe ou contractuelle et l’autre moitié tout à fait libre gérées directement par nous sur quelque 200 stations Total existant dans le pays, note Loïc Thiéblin. C’est peu en proportion (7,5 %), mais important en volume d’activité, puisqu’elles génèrent 15 % de ce volume. Ces stations ont des emplacements stratégiques, elles sont plus grandes, et ont un peu la vocation de stations-pilote. Le public s’y rend de préférence, car il est sûr d’y trouver des produits de qualité».

2) Dans le deuxième cas, la station est en gérance libre : le pétrolier possède le fond de commerce, mais c’est un gérant choisi par la société qui y est installé.

3) Enfin, dans le troisième cas – qui est en fait l’option la plus courante – les stations appartiennent à des particuliers qui passent des “accords de couleurs” avec un importateur. Un tel contrat porte alors sur l’approvisionnement et la mise en place du mobilier et de la décoration aux couleurs de la société pétrolière partenaire : fourniture des pompes, signalétique, auvent, etc. et bien sûr le carburant. Il s’agit en principe de contrats exclusifs.

Ceci dit, d’autres importateurs pétroliers préfèrent rester en dehors de la vente directe au consommateur. Elles traitent avec les stations dites “sans couleurs”. Celles-ci, n’ayant pas de fournisseur exclusif, ne sont pas tenues d’afficher une appartenance quelconque et sont libres de choisir le nom et le ou les fournisseurs qui leur plaisent. Ce qui explique la diversité et la poésie de certaines enseignes, surtout dans la Békaa et autres régions périphériques : Santa Maria Petrole, Hala Oil, etc. «Autrefois, l’État avait interdit l’ouverture de stations-service qui n’étaient pas sous contrat avec un importateur, explique
Sami Brax, président de l’association des propriétaires de stations-service. Mais depuis la guerre, n’importe qui peut ouvrir une station».

Actuellement, sur un total approximatif de 3 000 stations, il y a une moitié en gestion directe ou contractuelle, et autant de stations “sans couleurs”. Une fragmentation qui a par exemple incité Uniterminals à
mettre fin au contrat de collaboration avec les stations United en 2001, lors de l’entrée dans son capital des partenaires koweïtiens. «Nos nouveaux partenaires n’étaient pas convaincus par ce système de distribution, explique Georges Fayad. C’est que la gestion directe devient difficile et pas toujours rentable. Alors qu’avec 50 % de stations “libres”, nous avons suffisamment de clients potentiels pour ne pas avoir à faire ce type d’investissement. D’autant que la législation ne protège pas suffisamment nos droits : par exemple, une station liée par un contrat exclusif avec un importateur peut très bien, dans la pratique, continuer d’acheter n’importe où. Il est impossible d’effectuer un contrôle effectif sur l’exclusivité. Et traîner en justice le propriétaire d’une station n’est pas rentable. Revenir à l’ancienne législation ne serait donc pas une mauvaise chose».

Ainsi, les relations commerciales ou au niveau du capital entre les différents acteurs de la filière peuvent prendre des formes multiples, illustrant un certain degré d’anarchie régnant dans le secteur. Si bien que Loïc Thiéblin émet un avis peu diplomatique : «Cette variété des schémas est liée au fait qu’aucune structure juridique ne définit clairement ce que peut et ne peut pas faire une société pétrolière, ses contraintes, ses droits et ses devoirs…».

Essences, fuel, mazout et Cie...

L’appellation “produits pétroliers” couvre en fait une variété étendue de dérivés dont les usages sont aussi variés que les appellations. «La gamme comprend d’abord les produits légers comme les variétés d’essence, que l’on trouve en stations-service pour les voitures légères, détaille Loïc Thiéblin ; puis on trouve les gasoils, que l’on appelle mazout au Liban, et qui sont vendus soit en station pour les poids lourds, soit directement aux industriels ; les fuels ensuite sont des produits moins chers, essentiellement utilisés dans l’industrie ; arrivent enfin les produits très lourds comme les bitumes. En 2003, selon
Total, le marché des essences était en gros de 1 300 000 tonnes ; le gasoil était de 1 million de tonnes ; le marché du fuel de 300 000 tonnes ; enfin, 110 000 tonnes de kérosène, utilisé pour l’aviation, ont été importées». Chiffres, à peu de choses près, confirmés par Bahige Abou Hamzé, directeur général de Cogico et représentant des importateurs de pétrole.

Mais ces chiffres ne comprennent pas les importations de l’EDL, qui achète séparément du fuel et du gasoil pour ses générateurs, et ce dans de très gros volumes : 1 800 000 tonnes en 2003. L’État de son côté continue à importer du gasoil, en principe à destination de l’EDL, mais en pratique aussi pour la revente à l’industrie. «Il existe deux types de gasoil, explique Loïc Thiéblin. Le premier, un gasoil riche en soufre est importé par l’État et stocké dans les deux anciennes raffineries de Zahrani et de Tripoli. L’État le revend à l’EDL pour son usage, ou alors aux sociétés pétrolières qui le redistribuent elles-mêmes à certains industriels intéressés par son faible prix. Le deuxième, très peu soufré, respecte les normes européennes et a été introduit, en 2002, après autorisation de l’État, dans un souci de respect de l’environnement».

La question de gasoil est en fait loin d’être aussi limpide, et constitue une sérieuse source d’énervement pour les importateurs. Georges Fayad résume : «Longtemps, les sociétés pétrolières ont été empêchées d’importer du gasoil, si bien que nous avons été en Conseil d’État à ce propos, car notre travail était très touché. Lorsque le marché a finalement été ouvert aux sociétés privées, les spécifications
chimiques du gasoil propre (peu soufré) ont été mises au point et imposées par l’État. Ce carburant aurait donc dû être le seul proposé sur le marché. Or, ce n’est pas le cas, car l’État continue d’importer lui-même un gasoil polluant, non conforme à ces mêmes spécifications, sous couvert de répondre aux besoins de l’EDL, alors qu’en fait, il le vend aussi à tout le monde. N’importe qui peut aller charger un camion-citerne à la raffinerie de Tripoli, puis revendre ce gasoil à une station, en prétendant même que c’est un gasoil propre. Personne ne s’en rendra compte ! Tout cela juste pour pouvoir continuer de
payer les salaires des employés des deux raffineries ». Qui ne raffinent plus rien.

M. Fayad est d’autant plus en colère que cette concurrence bizarre accaparerait au moins 50 % des parts de marché sur les ventes de gasoil. Et les importateurs, pour être un tant soit peu compétitifs, sont obligés de s’aligner sur les prix pratiqués par le gouvernement. «Nous n’avons aucun avantage réel à importer du gasoil propre, car personne ne fait la différence, poursuit notre importateur. Dans les stations, les variétés de gasoil sont parfois mélangées dans un même bac, et il n’y a aucun moyen de les contrôler. Et le comble, c’est que lorsqu’on a imposé le gasoil propre, l’État a interdit aux vans de circuler au diesel ! À quoi cela a-t-il servi alors ?».

La grogne de la MEA

Les choses ne sont pas plus nettes au niveau des importations de fuel destiné aux industriels. «Là encore, nous sommes obligés de respecter certaines spécifications de qualité, s’emporte Georges Fayad. Même l’EDL importe du fuel à 1 % (en soufre), alors qu’il est rare d’utiliser du fuel propre pour produire de l’électricité, car il est relativement cher. Mais comme les industriels se plaignent justement que ce produit est cher, l’État les a autorisés à importer eux-mêmes leur marchandise sans spécification stricte. Certains industriels se sont donc regroupés pour louer des dépôts et importer un fuel à 2 %».

Enfin, une autre source de grogne réside dans l’approvisionnement en kérosène de la MEA et d’autres compagnies à l’aéroport de Beyrouth. Même le PDG Mohamed el-Hout s’est publiquement plaint de la cherté des produits qu’il est obligé d’acheter. «Il y a un pooling sur l’exploitation du terminal de jet à l’aéroport, clarifie Georges Fayad. Autrefois, le seul dépôt de l’aéroport était géré par 4 sociétés internationales qui importaient en pool et fournissaient du carburant à la MEA et à toutes les compagnies aériennes. Puis, pendant la guerre, l’État libanais a commencé à construire son propre terminal dans
l’enceinte de l’aéroport. Mais en fin de compte, en raison de difficultés multiples, le ministère a fini par lancer une adjudication pour louer ce terminal. Or, ce sont en gros les mêmes sociétés qui ont pris cet emplacement. Et la MEA est contrainte de passer par là».

Sauf si elle se mettait à effectuer elle-même ses propres importations, ce qui est peu envisageable vu l’investissement que cela représente. Le terminal à l’AIB est actuellement géré par 3 sociétés : Coral, Medco et Wardieh ; alors que 3 autres sociétés y louent aussi quelques petites capacités : Total, Getco et BP.

Du baril à la pompe

Bien avant d’aller se faire gentiment brûler dans le moteur d’un gros 4x4 familial, une petite goutte d’essence passe par un véritable parcours du combattant. Aujourd’hui, c’est essentiellement d’Europe qu’elle prend son départ. «Jusqu’à récemment, le Liban importait son pétrole pour moitié d’Europe (de France et d’Italie en particulier) et pour moitié de Syrie, explique Bahige Abou Hamzé. Mais depuis quelque temps, nous n’importons plus de Syrie, la production de ce pays n’étant pas suffisante pour répondre à la demande. Aujourd’hui, nous importons en gros pour 60 % d’Italie, 30 % de France et 10 % des Pays-Bas». Ce qui explique pourquoi les exportations françaises de produits pétroliers vers le Liban sont si massives depuis l’année dernière : 109 millions de dollars en 2003, soit une hausse de près de 150 % par rapport à 2002.

Dès leur arrivée au Liban, avant même d’être déchargés des bateaux, les produits sont, en principe, testés par les laboratoires du ministère de l’Énergie qui confirment, ou non, leur conformité aux spécificités techniques définies par l’État. Une fois l’approbation officielle donnée, ils sont emmenés vers les terminaux (gros dépôts) où ils sont stockés, puis écoulés au fur et à mesure. Les grandes compagnies possèdent donc leurs propres réservoirs ; les rares qui n’ont pas ce luxe louent occasionnellement des espaces aux autres sociétés. On peut actuellement compter 4 dépôts à Dora : Total, Medco, Uniterminals et Wardieh. De leur côté, Coral et Hypco stockent un peu plus au nord de Dora. Levant Oil est installé à Jiyeh. Falcon et Arabia disposent de cuves à Tripoli. Les capacités de chacun de ces terminaux varient entre 40 000 et 75 000 m3.

Chaque terminal est assorti d’un bureau de douane qui n’autorise la sortie de produits que lorsque les frais de douane et la TVA ont été réglés. Ce système vise en fait à épargner aux importateurs le paiement en une seule fois des frais de douane sur la totalité de leur cargaison, avant qu’elle ne soit écoulée. Ainsi, les dépenses sont échelonnées au fur et à mesure. «Ce système permet aussi à l’État de contrôler les quantités disponibles sur le marché», explique Abou Hamzé. Les produits sont ensuite acheminés vers les consommateurs. Certains importateurs disposent de leur propre flotte de camions-citernes, alors que d’autres sous-traitent la distribution à des sociétés de transport. «Nous travaillons en contrat avec des transporteurs tiers, signale Loïc Thiéblin. Ce marché est très éclaté : il s’agit en général de petits transporteurs qui ont un, deux ou trois camions».

L’État intervient enfin pour vérifier la qualité des installations à diverses étapes : cuves d’entreposage, stations-service, etc. «Des contrôleurs officiels viennent s’assurer occasionnellement que les stations respectent les normes, indique Sami Brax. Ils vérifient la qualité de l’essence, s’assurent qu’elle n’a pas été coupée avec de l’eau, ou avec un autre type d’essence». Mais de l’avis des professionnels, avec 3 000 stations, ce contrôle est encore trop épisodique pour être vraiment efficace.

Les prix en “structure” imposée 

Indépendamment de la polémique concernant le prix de l’essence à la pompe, il est intéressant de constater combien l’organisation du secteur est conditionnée par ce système de prix fixe. «La vente de produits pétroliers est le seul secteur dont les prix sont contrôlés par le gouvernement», observe Bahige Abou Hamzé. C’est donc le ministère de l’Énergie qui fixe les prix, transmettant, chaque jeudi matin, un document informant les professionnels des prix de la semaine. Cette “structure des prix”, comme elle est appelée par les gens du métier, est établie à partir d’une moyenne des variations des cours mondiaux au cours des 4 semaines précédentes, et en particulier du Platts, sorte de Bourse internationale des produits bruts et raffinés.

Ce document comporte plusieurs éléments déterminant le prix à la pompe : exemple de la circulaire du 2 juin, on trouve la moyenne du prix/m3 des produits à l’import : 591 000 LL/m3 pour l’octane 98, 557 000 LL/m3 pour l’octane 95, ou encore 536 000 LL/m3 pour l’octane 92. Néanmoins, ce système, qui n’est plus en vigueur en Europe depuis 25 ans, intrigue : en effet, selon que l’on importe de France, d’Italie ou de Syrie, il paraît peu vraisemblable que les coûts à la base soient les mêmes. Par ailleurs, un même produit peut être de plus ou moins bonne qualité et donc coûter plus ou moins cher à l’achat. Et étant donné les quantités concernées, même la plus infime variation au m3 représente une somme importante. C’est donc aussi pour se prémunir contre ces variations des coûts que la majorité des importateurs libanais a mis en oeuvre son plan d’importation commun, comme indiqué ci-dessus.

Total-Liban, qui fonctionne en indépendant, est d’ailleurs plus exposé. «À l’import, nos produits nous coûtent plus cher qu’aux autres, indique Loïc Thiéblin, car nous imposons des normes de sécurité strictes à nos bateaux ; le coût du fret est lui-même variable, et puis nous importons de France, ce qui coûte plus cher qu’une source comme la mer Noire, ou la Syrie. C’est bien cette “structure de prix” imposée qui fausse tout le jeu, puisqu’elle élimine la concurrence à la base Mais il nous appartient, comme il appartient à chaque société, d’essayer de se placer dans le prix fixé par l’État». La concurrence ne joue donc pas à ce niveau, mais sur le marketing, les services, la réputation de la société…

Sur le prix de la marchandise, l’importateur va bien sûr payer les taxes douanières. Seuls les gasoils ne sont pas taxés afin de ne pas alourdir les charges des entreprises et des transports en commun. «Le taux de douane, et autres impôts, représente actuellement 60 % du prix à la pompe», note Abou Hamzé ; c’est en fait la plus grosse source unique de revenu pour l’État. Sont ensuite fixés de façon forfaitaire la marge du distributeur (15 000 LL/m3), le transport (8 000 LL/m3) et la marge du détaillant (80 000 LL/m3). Là encore, on pourrait s’étonner qu’un forfait ait été fixé sur le transport par exemple. Car, selon
que la station est à Beyrouth ou dans la Békaa, les coûts de transport varient fortement ; il en va de même selon que l’importateur dispose de sa propre flotte ou doit avoir recours aux services d’un transporteur. «Il s’agit d’une moyenne, explique Loïc Thiéblin. Le prix varie surtout en fonction de la distance. Nous avons donc établi une grille de tarifs qui dépend de la localité ». Et dans l’ensemble, cela s’équilibre. Mais sans que cette activité ne soit vraiment très rentable. «De toute façon, insiste Georges Fayad, il n’y a aucun investisseur de taille sur ce créneau, juste quelques chauffeurs qui ont un ou deux camions et qui travaillent comme ils le peuvent ! Car ces 8 000 LL ne suffisent même pas à rentabiliser un vieux camion qui fonctionne à peine».

Il demeure que la structure de prix est supposée fixer un “plafond”, il est donc possible aux professionnels de proposer un prix inférieur au fatidique 23 000 LL. Mais ceci n’est jamais le cas. En réalité, c’est
bien cette “structure de prix” imposée qui fausse le jeu à la base, puisqu’elle élimine la concurrence qui règne en maître dans d’autres pays, et qu’il va falloir adopter tôt ou tard pour nous conformer aux principes de la libéralisation. Maintenant, est-ce que des compagnies pétrolières sont en train de profiter de cette rigidité étatique ? C’est toujours possible ; mais afin de casser – ou éviter – une éventuelle “cartellisation”, la logique veut qu’on commence par libéraliser le marché et imposer les conditions d’une vraie concurrence. Le boeuf, puis la charrue.

Autre, et dernière, question : est-ce que des politiques profitent également du système, comme on le dit clairement dans ce milieu ? Là aussi, c’est possible, mais dans ce cas une ponction devrait être opérée à la base, avant la tarification, au profit de quelques-uns de la classe politique…

Version gazière

Le marché du gaz, bien que plus limité, fonctionne pratiquement de la même manière que la filière pétrole. Néanmoins, en raison des potentialités commerciales moins alléchantes que pour les produits
pétroliers, les sociétés susceptibles de s’intéresser à cette activité sont moins nombreuses. Ainsi, seulement 5 compagnies importent quelque 12 000 tonnes de gaz : Sidaco, Natgaz (dans lesquelles
est associé le groupe Bahige Abou Hamzé – Walid Joumblatt), Medco, Norgaz et Unigaz. En revanche, les distributeurs sont beaucoup plus nombreux, de la grande société bien structurée au petit vendeur de quartier. Chacun se fournit directement auprès de l’un des 5 grossistes. Qui possèdent d’ailleurs souvent leur propre réseau. Ainsi, Natgaz fournit du gaz à ses propres distributeurs affiliés comme
Cogigaz, Jounoubgaz, etc. Mais pourquoi cette multiplication des enseignes, qui représentent des sociétés-soeurs ? «Pour des questions de stratégie commerciale, nous préférons avoir dans chaque région un nom différent», souligne Bahige Abou Hamzé. L’approche est donc un peu différente que celle mise en oeuvre au niveau des stations-service. Mais là encore, les prix sont fixés par le gouvernement et sont affectés par la crise internationale, atteignant 11 000 LL/bonbonne le mois dernier. Cependant, la consommation de ce produit étant relativement limitée au Liban, le public ne se sent pas particulièrement concerné.