Les RG et la justice soupçonnent certains achats immobiliers effectués par des Russes de dissimuler du blanchiment.

La Côte d’Azur ne manque pas de flambeurs.
Pourtant, ce mariage-là continue
à faire jaser. Rien n’était visiblement trop
beau pour les noces d’Andreï Melnichenko,
milliardaire russe de 33 ans, qui a épousé en
grande pompe, début septembre, la séduisante
Miss Yougoslavie 2002. La réception s’est
déroulée trois jours durant à la villa Altaïr, l’une
des somptueuses propriétés du marié au cap
d’Antibes. Andreï Melnichenko, administrateur
d’une entreprise produisant un tiers du charbon
russe, n’a pas lésiné : plusieurs centaines
d’invités, des trapézistes pour assurer l’animation
et un bal ouvert par la chanteuse américaine
Whitney Houston. Coût de la fête :
autour de 20 millions d’euros, selon des
sources policières.
L’entrée du domaine ne trahit rien de ces soirées
fastueuses. Seul s’offre au regard un
bout de chemin goudronné, bordé de pins
bien taillés, qui disparaît rapidement dans un
virage. De temps à autre, le haut portail électrique
s’ouvre pour laisser passer un bolide ;
un Range Rover gris métallisé avec au volant
un jeune homme aux cheveux noirs luisants,
chemise bleue soignée et regard hostile.
Quelques instants plus tard, c’est un coupé
Lancia qui s’élance en trombe vers la plage.
La présence grandissante
sur la Côte
d’Azur de ces Russes
aux fortunes aussi
rapides que colossales
ne manque pas
d’éveiller la suspicion.
Au point que les
Renseignements
généraux (RG) ont
publié en avril une
note sur ces nouveaux
«émirs venus
du froid», que
L’Expansion s’est procurée.
«Ce sont des investissements
de plaisir avec des points d’interrogation
», commente laconiquement
un des auteurs du
document. D’après ce texte,
238 millions d’euros ont été
investis depuis 2001 par des
ressortissants de l’ex-URSS
dans l’immobilier de luxe sur la
Côte d’Azur. Et la tendance est
ascendante. «Les Russes
achètent dans la région de Nice
au moins deux villas par mois,
d’une valeur minimale de 3,5 millions d’euros
», assure un gradé de la police locale.
Impossible d’affirmer à ce stade s’il s’agit ou
non de blanchiment. En revanche, il ne fait
aucun doute que la Côte d’Azur fait figure d’eldorado
pour les anciens citoyens soviétiques.
«Il y a quinze ans, sur la Côte, on ne savait
même pas à quoi ressemblait un Russe,
raconte le député UDF niçois Rudy Salles.
Aujourd’hui, de Menton à Saint-Tropez, sur les
plages, dans les boutiques et les hôtels, on
parle russe partout».
Antonie Van Wouwe connaît bien cette nouvelle
clientèle. «Les Russes détiennent 80 %
des propriétés donnant
sur la baie des
milliardaires du cap
d’Antibes, où les prix
peuvent atteindre 50
millions d’euros»,
précise cet agent
immobilier néerlandais.
Parmi ces opulentes
demeures
figure le château de
la Croë, propriété de
Roman Abramovitch,
l’une des plus
grandes fortunes de Russie et
patron de Chelsea, le club de
football londonien. Au bout
d’une impasse plantée d’oliviers,
un permis de démolir
est accroché à un mur surmonté
de barbelés. On y
découvre la surface du terrain
du château : 76 650 mètres
carrés... Un peu plus loin,
c’est l’ancien palais provençal
de l’Agha Khan qui, lui aussi,
a été acheté début 2005 par
un Russe (7 millions d’euros
plus 15 de travaux). Idem pour la villa familiale
des Quandt, propriétaires de BMW, cédée
pour une misère (2,6 millions d’euros).
Pour l’instant, les suspicions de blanchiment
n’ont conduit à des mises en examen que
dans deux dossiers, dont l’un concerne un
Français soupçonné de servir de paravent à
un magnat russe bien connu sur la place internationale.
L’enquête, confiée à la juge de
Marseille Béatrice Del Volgo, vise à faire la
lumière sur les circuits financiers de certaines
fastueuses acquisitions immobilières sur la
Côte d’Azur. Mais dès que l’on parle de blanchiment,
on se heurte à un problème de taille.
«Pour retenir la qualification de blanchiment, il
faut prouver que l’argent provient d’infractions
pénales dans le pays d’origine. Seules les
autorités russes sont habilitées à les établir»,
explique Gilles Accomando, vice-procureur du
tribunal de grande instance de Nice. Les juges
français peuvent donc avoir des soupçons
mais, sans une étroite collaboration des services
russes, il leur est très difficile de prouver
qu’il y a délit de blanchiment. D’autant plus,
souligne un magistrat, que «l’argent qui arrive
ici est déjà passé par plusieurs lessiveuses,
plusieurs comptes bancaires».
Au-delà de ces zones d’ombre, les Russes
Les belles demeures du cap d’Antibes sont
essentiellement détenues par des milliardaires
russes. Ils ont assisté, début septembre,
au feu d’artifice donné pour le
mariage d’Andreï Melnichenko, qui possède
plusieurs maisons sur le cap. Elles jouxtent
le château de la Croë, propriété de
Roman Abramovitch, l’une des plus
grandes fortunes de Russie. Non loin de là
se trouve le domaine de la Garoupe. La justice
cherche à savoir qui possède cette
demeure, détenue par des sociétés susceptibles
d’être contrôlées par Boris
Berezovski.
Le cap d’Antibes colonisé n’a cessé de recevoir ces nouveaux Russes à
l’affût d’affaires. Pourtant, il ne les porte plus
vraiment dans son coeur. «Ils arrivent en
conquérants», soupire-t-il sur sa terrasse avec
vue imprenable sur la baie des Anges. Un
Russe trentenaire est récemment venu le voir
à bord d’une Rolls-Royce rose bonbon.
William Caruchet n’en revient toujours pas : «Il
m’a demandé de lui dénicher 1 000 gilets
pare-balles»...
de 500 euros», se félicite un responsable de
l’établissement.
Mais tout cela n’impressionne pas William
Caruchet. La Russie et lui, c’est une longue
histoire. Son père a hébergé Léon Trotski à
Nice pendant sa fuite vers le Mexique.
Communiste de toujours, cet ancien des
Brigades internationales, âgé de 82 ans, fut
pendant longtemps l’avocat de l’ambassade
d’URSS en France. Ces dernières années, il
constituent une manne pour la région. Le
nombre de touristes russes sur la Côte d’Azur
a doublé cet été. Les hôteliers s’en félicitent.
Michel Tschann, directeur du Splendid (4
étoiles), note qu’ils représentent désormais
20 % de sa clientèle, plus que les Français !
Les retombées se font sentir à tous les
niveaux, notamment au Casino Ruhl de Nice.
«Il est courant de voir des Russes jouer 5 000
euros par soir, alors que la mise moyenne est