Quel est le point commun entre l’hôtel Atlantis des Bahamas, le ministère turkmène du Tapis et l’hôtel Four Seasons de Charm el-Cheikh ? Ils ont tous été en partie aménagés par Elcir, une entreprise familiale libanaise. Portrait.
 

Vous souvenez-vous du magnifique hôtel des Bahamas dans le remake de Casino Royal dans lequel James Bond/Daniel Craig loue une villa ? Il s’agit de l’hôtel One & Only Ocean Club, dont les portes en bois et en verre, les armoires, les moulures, les rails d’aluminium, les baignoires en marbre... sont l’œuvre d’Elcir, une société libanaise de second œuvre et d’agencement, spécialisée dans la construction haut de gamme.
L’histoire commence en 1956, lorsque René Ingea construit une usine de traitement de bois à Mkallès. Très vite, la société se fait un nom sur le marché libanais et ses stores roulants fleurissent sur les fenêtres des immeubles cossus de Beyrouth. Si le bois est le cœur de métier de l’entreprise, baptisée Elcir (pour Établissements libanais pour le commerce et l’industrie réunis), celle-ci se diversifie également dans la menuiserie aluminium, l’ameublement, les travaux en inox, etc. Bref dans tout ce qui relève de ce qu’on appelle le second œuvre, ainsi que dans l’agencement.
En 1976, en pleine guerre du Liban, l’usine est ravagée par un immense incendie. « En l’absence d’assurances, qui ne couvrent pas les dégâts dus aux conflits, raconte Jean-Marc Ingea, mon père a démarché 14 banques pour obtenir les fonds nécessaires à la reconstruction d’une usine, et il en a bâti une nouvelle trois fois plus grande que l’ancienne. » L’entreprise consacre alors ses efforts sur le Moyen-Orient, en raison de l’instabilité chronique et le ralentissement de l’activité au Liban. Des contrats sont signés en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, en Irak… Les dettes sont rapidement remboursées et la société prospère.
Mais le destin s’acharne sur l’usine de Mkallès : le 13 octobre 1990, soit le dernier jour de la guerre, un bombardement intensif la met à terre. « Mon père avait déjà 60 ans, se rappelle Jean-Marc Ingea, aujourd’hui PDG de l’entreprise. Il trouvera quand même le courage de la reconstruire. »
Aujourd’hui, les bâtiments ont une superficie de 13 000 mètres carrés sur un terrain de 7 000 mètres carrés. Elcir importe son bois, en fonction des essences, d’Afrique, du Canada, du Brésil, de Malaisie, ou de Russie. La société a trois métiers principaux : la conception, avec une dizaine d’architectes et décorateurs chargés de concevoir des plans détaillés pour faciliter la bonne exécution du projet ; l’industrie, avec l’usine contenant près de 2 millions de dollars de machines-outils ; et enfin les services, avec la pose du matériel sur les chantiers. « Plus le chantier est loin, plus les barrières à l’entrée sont fortes, explique Jean-Marc Ingea, car dans la mesure du possible, nous faisons voyager notre équipe libanaise. » Elcir a des projets au Liban, au Moyen-Orient (Jordanie, Qatar, Égypte..), en Europe, en Asie (au Turkmenistan notamment) et aux Caraïbes. Elle emploie environ 150 personnes, dont près de la moitié au Liban. « Nous avons pour stratégie de fournir des projets clés en main, précise le PDG. Nous avons donc recruté des doreurs, des menuisiers, des vernisseurs, des tapissiers, des ferronniers, des métalliers, des architectes, des décorateurs, etc. » En 2010, le chiffre d’affaires de la compagnie tourne à 10 millions de dollars environ, dont 60 % issus de la menuiserie bois et de l’agencement.
Au Moyen-Orient, Elcir a participé à la construction de nombreux hôtels de luxe. C’est ainsi qu’elle y a été repérée par des clients anglais, français, canadiens, qui l’ont sollicitée par la suite pour des projets dans les Caraïbes. « Rien qu’aux Bahamas, affirme le directeur, nous avons facturé 23 millions de dollars ces trois dernières années. Pour l’Atlantis, qui avec ses 3 000 chambres est le plus grand hôtel des Caraïbes, la facture aérienne seule a totalisé un million de dollars, auxquels il faut rajouter le prix de 40 conteneurs marins. » L’histoire est similaire pour le Turkmenistan, où la compagnie libanaise a été sous-contractée par Bouygues, avec qui elle avait coopéré à Haïti par le passé, pour la construction de divers ministères et bâtiments officiels. « L’essentiel de notre chiffre d’affaires en 2009-2010 provient du Turkmenistan. En 2011, il proviendra peut-être du Liban, qui est en plein essor », explique Ingea.
La diversification géographique permet à l’entreprise de minimiser les risques. Et sur chaque marché où elle s’introduit, Elcir combat la concurrence avec des armes différentes. « Face aux Turcs, Chinois, Égyptiens… nous offrons une meilleure qualité de produits et services à des prix abordables ; pour contrer les Européens, Américains, Canadiens, nous misons sur une qualité égale à moindre coût. »
Aujourd’hui, la société, au capital de 500 000 dollars, est toujours détenue par son fondateur René Ingea, et ses trois enfants : Jean-Marc, son frère Paul et leur sœur Carole.
Pour l’avenir, Elcir mise sur le renforcement de la part du Liban, aujourd’hui inférieure à 25 %. « Nous y avons actuellement huit projets, dont Versace Home avec Damac et un complexe hôtelier à Jbeil. » Elle souhaite également augmenter ses ventes de détail, qui représentent moins de 2 % du chiffre d’affaires, afin d’offrir de meilleures solutions clés en main à ses clients ; elle songe même à ouvrir un nouveau showroom pour cela. Et elle continue à développer sa présence à l’international : « Maintenant que pour les Européens et Américains le cap psychologique de travailler avec une entreprise libanaise est passé, les contrats viennent plus facilement. Nous suivons nos clients, ce sont eux qui nous recherchent plutôt que l’inverse. »

Quelques projets d’Elcir (achevés ou en cours)

• Bahamas : Hôtel Atlantis The Love, Banque Rothschild, Hôtel Ocean Club, Bahamas
• Barbades : Hôtel Sandy Lane,
• Haïti : Banque centrale (un des rares bâtiments qui a résisté au tremblement de terre de 2010)
• Jordanie : Hôtel Mövenpick, (mer Morte), Hôtel Four Seasons (Amman)
• Égypte : Hôtel Four Seasons (Charm el-Cheikh et Le Caire), Hôtel Grand Hyatt (Le Caire-anciennement hôtel Méridien)
• Qatar : Hôtel Ritz Carlton, (Doha)
•France : Îlot Hachette (Paris)
• Turkmenistan : ministère
du Tapis, palais présidentiel, ministère des Affaires
étrangères
• Liban : Aidi Tower (Achrafié), Byblos Sud (Jbeil), Hôtel Mzaar InterContinental