Qu’est-ce qu’un partenariat public-privé ?

Il n’y a pas de définition unanime du PPP. La Banque mondiale le décrit comme « un contrat de long terme entre une partie privée et une entité gouvernementale, pour la fourniture d’un bien ou d’un service public, dans lequel la partie privée supporte un risque significatif et une responsabilité managériale, et dans lequel la rémunération est liée à la performance ». L’institution précise, qu’en général, chaque pays définit ce partenariat dans sa législation en fonction de ses particularités institutionnelles et légales.
Au Liban, un projet de loi soutenu par le Haut Conseil de la privatisation (HCP), mais qui n’a pas encore été adopté, définit le PPP comme « un projet public de nature économique dans lequel le secteur privé contribue au financement, à la gestion et au moins à l’une des activités suivantes : construction, développement, restauration, équipement, maintenance, réhabilitation et opération ».

Qu’est-ce qui différencie ces partenariats des marchés publics ?

Ce type de contrats administratifs se caractérise par son caractère global, et la notion de partage du risque entre le secteur public et le privé. « Lorsque l’État veut faire appel au privé, il peut décider d’assumer l’ensemble des risques du projet – c’est le cas lorsqu’il octroie des contrats de construction ou de gestion – ou au contraire n’en supporter aucun en privatisant le projet, et en se contentant de réguler le secteur. Tout ce qui existe entre ces deux extrêmes relève du PPP », explique le secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation, Ziad Hayek. Pour une centrale électrique par exemple, l’État peut financer le projet et en confier la construction à un opérateur privé pour un prix donné. Le risque d’une augmentation des coûts de l’acier ou des taux d’intérêt durant l’exécution sera assumé par l’entité publique. Dans le cas d’un PPP, le privé assure le financement, la construction et la gestion de la centrale sur une période relativement longue. Il partage ainsi le risque avec le partenaire public en échange d’une rémunération échelonnée sur toute la durée de l’exploitation, selon des critères de performances prédéfinis. Cela implique une approche différente : l’État n’achète pas la centrale, mais le kilowattheure produit par cette centrale.
Au Liban, contrairement à d’autres pays, les entreprises privées impliquées dans ces partenariats ne peuvent pas vendre un service directement au consommateur final, car cela relèverait du régime de la concession, hérité de la législation française. « Selon l’article 89 de la Constitution libanaise, l’État ne peut accorder à une société privée la prérogative de fournir directement un service au citoyen, comme l’électricité de Zahlé par exemple, qu’à travers une loi spécifique, souligne Ziad Hayek. C’est pour cela que nous avons restreint le PPP à la fourniture d’un service au secteur public. L’opérateur privé pourra toutefois collecter certains frais pour le compte de l’État. »

Pourquoi les PPP ont-ils le vent en poupe ?

Introduits dans les années 1990, et soutenus par les institutions internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Banque européenne d’investissement ou la Banque mondiale, les PPP sont très répandus dans les pays en développement et développés. En Grande-Bretagne, où cet instrument a été banalisé dès 1992 à travers la “Private Finance Initiative”, 10 à 15 % des investissements publics sont réalisés à travers des partenariats public-privé. Sur son portail d’information sur les PPP, la Banque mondiale relève même un regain d’intérêt pour ce type de contrats dans le monde depuis la crise financière de 2008. Car l’un de leurs principaux avantages est de permettre aux États soumis à des contraintes budgétaires d’investir dans les infrastructures publiques, et donc de stimuler la demande, sans avoir à les financer en amont. « L’étalement dans le temps de la dépense d’investissement permet d’accélérer la réalisation d’investissements publics et de bénéficier d’effets d’échelle ou de série sur les coûts de réalisation », lit-on dans un rapport publié par le Sénat français en juin 2014. Cet argument est d’autant plus valable au Liban « où la capacité de financement de l’État est très limitée alors que les besoins en infrastructures sont très importants et constituent l’un des principaux freins à la croissance », souligne Ziad Hayek.
Chargés de dresser le bilan de ces partenariats dix ans après leur introduction en France en 2004, les sénateurs français, Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, mettent également en avant d’autres avantages. Le caractère global du contrat « permet à la personne publique de n’avoir qu’un seul interlocuteur pour son exécution, gage de simplicité pour elle. L’association de la conception et de la réalisation est censée également lui permettre de mieux maîtriser les délais d’exécution et générer des économies, le projet étant conçu, dès l’origine, dans la perspective de son exploitation et de son entretien. En outre, les coûts sont prévisibles dès la conclusion du contrat et le partage des risques mieux assuré », écrivent-ils. Mais si la formule est « a priori séduisante », elle peut aussi être « fallacieuse pour la personne publique », préviennent-ils.

Quelles sont les principales critiques formulées à l’égard de ces partenariats ?

Les opposants aux PPP reprochent le plus souvent à ces contrats de masquer la dette publique et dénoncent les retours sur investissement trop élevés que s’octroie le privé. Dans leur rapport, les sénateurs français mettent, eux aussi, en garde contre la transformation de ces projets en « bombe à retardement budgétaire ». Selon eux, les PPP « rigidifient la dépense publique, car les loyers sont des dépenses obligatoires, ce qui provoque un effet d’éviction sur les autres dépenses de fonctionnement ». « Le paiement différé peut également conduire la personne publique à surestimer ses capacités d’investissement », poursuivent-ils, en soulignant que le coût final du projet peut parfois « évoluer au gré de l’exécution du contrat, malgré l’évaluation préalable ». Ces contrats sont d’autant plus dangereux que « les collectivités territoriales, en particulier les plus modestes d’entre elles, ne disposent pas des ressources internes suffisantes pour négocier avec de grands groupes : la situation est asymétrique », ajoutent-ils.
Au Royaume-Uni, un bilan dressé en 2008 par le National Audit Office est lui aussi mitigé. Il a montré que les budgets ont été respectés dans 80 % des cas et les délais dans 70 % des chantiers, soit trois fois mieux que dans le cadre d’une gestion classique. Sur le coût final, les PPP ont permis des économies substantielles dans les opérations simples et moins spectaculaires dans les projets complexes.
Mais d’un autre côté, le rapport souligne que les charges annuelles de remboursement se sont révélées, sur le long terme, très lourdes, notamment pour le secteur hospitalier qui a été le principal bénéficiaire de ce type d’initiatives, et que les taux d’intérêt des emprunts sont supérieurs aux taux qu’aurait pu obtenir l’État britannique s’il avait choisi d’utiliser l’emprunt. En 2012, les pouvoirs publics britanniques ont donc lancé une nouvelle approche du partenariat public-privé, la “Private Finance 2” (PF2), afin de modifier le périmètre des contrats et de réduire la part de financement d’origine bancaire dans les fonds privés investis.
« Le coût de financement par le privé peut être supérieur à celui qu’aurait encouru l’État, reconnaît Ziad Hayek. Mais pour évaluer le coût total d’un projet, il faut prendre en considération tous les risques associés. » Dans le cadre d’un PPP, l’opérateur privé et ses banquiers exigeront des retours sur investissement et donc une rémunération, couvrant l’ensemble des risques pris, d’où l’importance de les évaluer correctement et de bien les répartir entre le public et le privé.
À cet égard, le secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation souligne que « dans la plupart des marchés publics classiques, l’État libanais finit par payer jusqu’à 170 % du prix annoncé lors de l’ouverture des plis, car il a mal évalué les risques ». En général, « les entreprises privées qui participent aux appels d’offres publics proposent des prix très bas pour remporter le marché, en comptant sur leurs relations avec les ministres concernés pour être compensés durant l’exécution », ajoute-t-il.
Le secrétaire général du HCP ne prône pas pour autant un recours systématique aux PPP, « ce n’est qu’un outil parmi d’autres, mais il est essentiel qu’il soit bien encadré ».
Un avis partagé par la Banque mondiale qui souligne que la complexité de ce type de contrats, et leur nature de long terme, nécessite de la part des gouvernements le recours à « une expertise, que ce soit à travers une agence spécialisée et/ou un régulateur » et la mise en place d’« un cadre réglementaire et légal clair ». Or pour le moment, ce cadre est inexistant au Liban.

Pourquoi faut-il une loi pour encadrer les PPP au Liban ?

Des ministères ou des entités publiques ont déjà conclu ce type de contrats avec le privé, directement ou à travers la direction des adjudications. « Mais aucune expérience ne s’est révélée concluante, en raison du manque de transparence et de compétences au niveau de l’élaboration des cahiers des charges », explique Ziad Hayek. Cet historique n’encourage pas les grandes entreprises ou les investisseurs étrangers à participer aux appels d’offres publiques. Pour lui, « l’intérêt d’une loi est d’imposer un cadre qui garantisse la transparence et l’efficacité du processus d’attribution ».
Un projet de loi, actuellement dans les tiroirs, oblige toutes les personnes publiques souhaitant conclure un PPP à passer par une unité spécialisée au sein du HCP, rebaptisé Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats. Cela s’applique aussi aux projets dans les secteurs de l’énergie et de l’aviation civile, censés relever des autorités de régulation propres. Étant donné l’autonomie juridique dont elles disposent, les municipalités et les fédérations des municipalités, en revanche, ne sont pas tenues de se conformer à cette loi.
L’unité de PPP « mobilisera toutes les compétences requises, avec des experts financiers, juridiques et techniques, pour préparer les contrats, évaluer les coûts et les risques, définir les critères de performances à imposer au secteur privé, etc. », affirme Ziad Hayek. Elle permettra également de « centraliser et coordonner les différents projets d’infrastructures publiques selon un programme défini et d’envoyer un signal positif aux investisseurs », ajoute-t-il.

Comment garantir la transparence dans l’attribution des contrats ?

Le texte impose l’implication de plusieurs fonctionnaires, issus de différents ministères ou corps de l’État, dans l’ensemble du processus. « L’idée est d’éviter, comme c’est souvent le cas, l’élaboration de cahiers des charges sur mesure visant à favoriser telle ou telle société », répond Ziad Hayek. De plus dans les projets PPP, « les contrats finaux sont inclus dans le cahier des charges. Ils peuvent donc être consultés par les différentes parties, contrairement aux contrats très opaques conclus parfois par certaines entités publiques ».
Comparés aux contrats de gestion, les PPP ont aussi l’avantage d’être conclus sur du long terme, ce qui limite les risques de corruption à chaque prolongation, selon Ziad Hayek. Le fait que le secteur privé soit propriétaire et responsable du projet réduit également les risques d’emplois fictifs ou clientélistes au profit de la classe politique.
Ces raisons expliquent sans doute le manque de volonté politique de légiférer.

Où en est le projet de loi ?

La première mouture du texte a été rédigée par le Haut Conseil pour la privatisation en 2007 et approuvé par le gouvernement de Fouad Sinora. Mais il faisait partie du paquet de projets de loi refusés à l’époque par le chef du Parlement, Nabih Berry, jugeant le gouvernement pas légitime du fait de la démission de tous les ministres chiites. En 2010, le texte est réapparu sous la forme d’une proposition de loi soumise par le député Ali Hassan Khalil, mais il n’a pas été examiné en commission parlementaire, une partie de la classe politique considérant qu’il faisait doublon avec le projet de loi du gouvernement Siniora.
En 2011, un comité d’experts réunis par le HCP prépare un nouveau texte présenté au gouvernement de Nagib Mikati. Les ministres du Courant patriotique libre expriment des réserves, et une nouvelle mouture est élaborée juste avant la démission du gouvernement Mikati.
Après l’arrivée de Tammam Salam et la formation du cabinet actuel, le HCP assure avoir rallié les différents ministres au projet. Mais le texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour, car le secrétaire général du Conseil des ministres estime que le texte initial du gouvernement Siniora doit auparavant être officiellement retiré.


La loi sur les partenariats public-privé a été finalement votée le 16 août 2017 au Parlement