Contrairement aux bâtiments, qui sont construits et relèvent donc de la production d'une branche d'activité, le sol n'est pas produit. Il correspond à une ressource naturellement disponible et dont la quantité est fixe. Les physiocrates considéraient que la source finale de la richesse d'une nation était le sol et considéraient l'impôt foncier comme la seule source légitime d'imposition. Par la suite, les économistes classiques distinguaient jusqu'à la deuxième moitié du XIXe siècle trois facteurs de production : le travail, le capital et la terre. Ils décomposaient le revenu économique en trois catégories correspondantes, le salaire, le profit et la rente. Pour Ricardo comme pour Marx, ces trois catégories correspondaient à trois groupes ou classes sociales, les travailleurs, les capitalistes et les propriétaires terriens, dont les intérêts étaient différents, voire opposés, les politiques économiques aboutissant à privilégier tel groupe au détriment de tel autre. Ainsi, la libéralisation de l'importation du blé en Grande-Bretagne, le leitmotiv libre-échangiste de Ricardo, correspondait à une demande pressante des “capitalistes” pour faire baisser les salaires, ce qui aboutissait à faire baisser les rentes foncières et lésait donc les propriétaires terriens. Les économistes néoclassiques ont progressivement éliminé la terre comme facteur spécifique de production et écarté la rente comme catégorie de revenu. Ils considèrent que la terre est un intrant capitalistique et, pour prendre en compte son caractère invariable et limité, ils admettent que la rente exprime ces niveaux relatifs de rareté, mais en soulignant que l'on peut retrouver ces phénomènes de “rente” à des degrés divers dans d'autres marchés marqués, eux aussi, par le contingentement de l'offre. La rémunération de la terre devient ainsi un cas particulier de la rémunération du capital. Le débat théorique sur les questions de la rente n'est pas pour autant épuisé, car les hypothèses de base de l'approche néoclassique s'accordent assez mal avec les caractéristiques spécifiques des sols, tant urbains qu'agricoles. En effet, les sols ou terrains ne constituent pas une marchandise au sens propre que la théorie économique attache à ce terme. Ils ne sont pas fongibles, c'est-à-dire que chaque terrain présente des particularités naturelles ou urbaines propres qui le différencient des autres, rendant malaisée leur agrégation face à une demande homogène provenant des branches de l’économie (agriculture, construction, industrie, etc.) comme il en va pour les autres marchandises, y compris les autres ressources naturelles telles que l'eau, le pétrole, etc. Même si le foncier n'est plus une catégorie à part de la théorie économique, sa spécificité est préservée dans la pratique à travers le développement des réglementations. Ce n'est pas par hasard si le sol, même s'il n'est plus considéré comme un facteur de production, est devenu sujet à des pratiques réglementaires qui en définissent et limitent les usages possibles. L’existence et la légitimité de ces réglementations contredisent l'idée même que le sol soit une marchandise comme les autres. Pour revenir aux économistes classiques, ils considéraient que les différences naturelles de qualité des sols conduisaient à produire des rentes “différentielles” correspondant aux différences de productivité des sols, les uns étant plus propices que d'autres pour l'agriculture. Si l'on passe au terrain urbain, les différences de productivité ne sont plus liées aux qualités pédologiques, mais à la situation dans la ville. De manière générale, c'est le niveau de développement économique et l'extension de l'urbanisation qui donnent leur valeur aux terrains sans que le propriétaire ne soit davantage responsable de ce développement qu'il ne l'est de la qualité pédologique du sol agricole. La propriété privée du sol conduit à valoriser ce bien en fonction de l'usage qui peut en être fait, car le sol en lui-même n'a évidemment ni utilité propre ni valeur. On retrouve donc la vieille notion de rente. La valeur d'un terrain agricole n'a aucune raison d'être différente de l'actualisation des revenus agricoles futurs, tout comme la valorisation d'un terrain urbain n'est autre que l'actualisation des revenus des projets immobiliers pouvant y être réalisés. De là découle le fait que la propriété privée du sol constitue un levier particulièrement efficace de réallocation des usages et des fonctions urbaines. Le renchérissement des terrains dans les quartiers centraux au fur et à mesure que la ville se développe les rend “trop chers” pour le logement populaire ou l'industrie qui doivent migrer vers les banlieues, alors que s'installent à leur place des constructions denses destinées aux bureaux ou aux logements de luxe. En périphérie, l'urbanisation rend l'exploitation des sols à des fins agricoles non économiques. S'il n'a pas d'usage propre, le sol constitue en revanche un intrant nécessaire à la plupart des activités économiques : agriculture, logement, commerce, services publics... À l'autre bout de la chaîne, sa valorisation découle des activités économiques qui l'entourent (même si un propriétaire terrien a décidé pour une raison non économique de préserver un potager sur une parcelle située en plein centre-ville, son terrain n'en vaut pas moins cher). Le lien entre ces deux perspectives est vite fait. Il justifie à la fois les interventions réglementaires et la fiscalité foncière. L'intervention réglementaire vise à imposer certaines utilisations jugées nécessaires pour l'ensemble de l'agglomération, même si elles sont contraires aux intérêts personnels du propriétaire (routes, places, écoles, bâtiments historiques, etc.). C’est toute l’idée des externalités et des “biens collectifs”. L'idée de réglementer administrativement des sols revient à reconnaître une validité limitée à la notion de propriété foncière, retrouvant par là les distinctions que le droit ancien opérait entre “usus” et “abusus”, ou encore celles du droit islamique entre propriété souveraine et propriété d'usage qui se déclinent dans les deux formes des terrains “mulk” et “amiri”. La fiscalité foncière vise quant à elle à récupérer une partie du surplus de richesse dont profite le propriétaire pour financer les travaux d'équipements et de préservation qui justifient et permettent d'entretenir ce surplus de richesse. Par ailleurs, l'offre de sols étant par nature limitée, la fiscalité foncière a l'avantage d'affecter directement les prix sans faire varier les quantités, ce qui n'est pratiquement le cas d'aucune autre taxe. Pour Milton Friedman, la “property tax” est « l'un des impôts les moins mauvais, car elle est appliquée à quelque chose qui n'est pas produit ». L'amalgame entre les notions de foncier et d'immobilier peut conduire à brouiller la lecture en termes économiques. Les cessions de terrains ne représentent que l'échange d'un titre de propriété foncière contre un titre financier et ne produisent donc aucune richesse pour l'économie. Les considérer comme un investissement est un abus de langage. Il en va autrement pour l'activité de construction qui implique une production et la génération de revenus. Mais là encore, il faut distinguer deux cas. D'une part, la construction de logements conduit à produire un bien de consommation (le logement) qui a pour caractéristique d'avoir une durée de vie et d'amortissement très longue, ce qui amène les comptables nationaux à l'assimiler, pour cette seule raison, à un investissement. D'autre part, la construction de locaux de production (commerces, usines, bureaux...) qui, eux, représentent un investissement effectif au même titre que l'acquisition de machines.