Après l’État et les entreprises, les banques libanaises sont en train de développer une nouvelle clientèle : les particuliers. Même si la part relative des crédits aux particuliers reste relativement faible, elle augmente plus rapidement que celle des créances aux entreprises et celle des crédits à l’État : en 2010, elle est ainsi de 12,9 % du total des crédits contre 8,5 % en 2005. Par comparaison, les crédits aux entreprises représentaient 42 % du total des crédits en 2010, tandis que les crédits à l’État comptaient pour 44 %. En 2005, leur part respective était de 40 % et de 51,28 %.
Entre 2009 et 2010, l’encours des crédits aux particuliers a été de 8,8 milliards de dollars (chiffres arrêtés à novembre 2010) sur un total de 38 milliards de prêts délivrés par les banques libanaises au secteur privé. Le reste, soit 29,2 milliards de dollars, ayant été accordé aux entreprises. Les crédits aux particuliers (immobilier, auto ou prêt à la consommation) ont ainsi représenté 23 % du total des crédits consentis par les banques libanaises en 2010 au secteur privé.
« D’une manière générale, le crédit concourt au développement économique d’un pays puisqu’il favorise le pouvoir d’achat des citoyens. Dans les pays développés, on assiste à une envolée des crédits aux particuliers, même pour les ménages les plus fragiles », explique sous couvert d’anonymat un expert étranger chargé d’une mission sur le développement des crédits à la consommation auprès d’un établissement libanais.

Une progression fulgurante

Le climat mondial est pourtant à la sinistrose. La consommation des ménages – et donc le recours aux crédits pour la soutenir – a fortement été affectée par la crise financière de 2008-2009. Les encours ont reculé de 2,2 % en Europe et de 2 % aux États-Unis l’année passée. En revanche, au Liban, l’année 2010 se distingue par une progression fulgurante de 26 % au total, avec 75 440 nouveaux bénéficiaires et 1,8 milliard de dollars de crédits supplémentaires par rapport à 2009. Cette augmentation est notamment liée à la forte hausse de liquidités en livres libanaises en 2009, due aux conversions massives des dépôts du dollar vers la livre. Pour inciter les banques libanaises à les employer, la Banque centrale a mis en place des exemptions de la réserve obligatoire sur les crédits octroyés en livres libanaises qui explique en partie cette flambée (voir Le Commerce du Levant n° 5602, mars 2010).
« En général, une flambée du crédit est un indicateur inquiétant, car il peut être le signe d’une surchauffe de l’économie d’un pays. Dans le cas du Liban toutefois, la relative jeunesse du segment des crédits aux particuliers peut expliquer cette forte croissance. Cela reste cependant un indicateur à surveiller », explique Éric Mottu, représentant résident du FMI à Beyrouth.
L’engagement des banques libanaises sur les crédits aux particuliers date de leur implication dans la banque de détail au tournant des années 1990-2000. « Elles ont commencé à s’intéresser aux particuliers lorsque les salaires ont été domiciliés chez elles », précise Ronald Zirka, directeur marketing de la Banque libano-française (BLF). La première d’entre elles a été la banque Byblos, qui a ouvert un département de détail en 1991. Assez naturellement, les autres ont suivi, développant d’abord des crédits immobiliers, qui demeurent toujours leur produit phare, avant de se diversifier sur les crédits auto. Ce n’est que récemment, il y a cinq à dix ans, qu’elles ont investi le segment des crédits à la consommation.
Cet intérêt n’est pas dû au hasard. Les marges de progression du segment des crédits aux particuliers restent importantes si on compare le cas du marché des crédits libanais à celui d’acteurs plus matures. Ainsi, la France, pourtant considérée comme peu friande de crédits, représente 2,5 fois le marché libanais du crédit à la consommation, rapporté à la population et au niveau de vie. Autre point de repère : les pays du Golfe « où les créances aux particuliers atteignent 40 % du total des créances des banques », fait valoir Youssef Eïd, directeur de la branche retail de la BLC. Il faut cependant garder à l’esprit que le revenu moyen par habitant au Liban (9 à 10 000 dollars) est bien en deçà de celui des pays du Golfe (aux alentours de 60 000 dollars).
En ce sens, le nombre de crédits accordés aux particuliers entre 2009 et 2010 au Liban, soit quelque 411 612 dossiers, peut faire illusion. Rapporté au nombre de ménages (883 000 ménages selon l’enquête du Programme des Nations unies pour le développement, PNUD, de 2007), c’est presque un ménage sur deux qui a accédé à un emprunt. L’endettement moyen serait alors de 825 dollars mensuels (crédit immobilier compris) pour un revenu par famille, estimé par le PNUD à 1 500 dollars.
Mais si on regarde de plus près la répartition des crédits par montant, on se rend compte de leur hyperconcentration. Moins de 2 % des bénéficiaires (1,65 % exactement) ont reçu 73 % des crédits en valeur, tandis que 62 % des bénéficiaires se partagent un peu moins de 5 % de la valeur des crédits (4,72 % exactement). Le montant moyen des crédits aux particuliers (tous types de prêts confondus) s’élève à 32 millions de livres libanaises (21 334 dollars). Si l’on tient seulement compte des crédits immobiliers, il est de 94 millions de livres libanaises
(62 667 dollars). En d’autres termes, un nombre très réduit d’emprunteurs concentre une très grande part du crédit total. « Les banques libanaises ont un profil de risque conservateur et n’octroient pas facilement des crédits », constate Youssef Eid.

Immobilier en tête

Au cours des dernières années, ce sont les crédits immobiliers (50,35 % de l’ensemble des crédits aux particuliers) qui ont été les moteurs de la croissance des crédits aux particuliers. À eux seuls, ils ont représenté 90,4 % de la croissance totale (+1,8 milliard de dollars) entre 2009 et 2010 ; ils représentent fin 2010 quelque 4,430 milliards de dollars d’encours. Les crédits auto représentent, pour leur part, quelque 19 % de l’ensemble des crédits aux particuliers. Avec une augmentation de 20 % entre 2009 et 2010 (+269 millions de dollars). Ils totalisent à fin 2010 quelque 1,627 milliard de dollars d’encours.
Mais les banques ont perdu de l’appétit sur les crédits auto. « Les prêts automobiles ont perdu de leur profitabilité. Leur rendement, qui était de l’ordre de 4 à 5 % en taux fixe sur les voitures neuves, a considérablement baissé du fait de la concurrence acharnée qui s’est déroulée sur le marché ces dernières années. En fait, si l’on tient compte des défauts de paiements ainsi que des coûts opérationnels, ces produits ne sont plus assez rentables sauf à considérer qu’ils permettent aux banques d’acquérir de nouveaux clients », affirme Élie Abou Khalil, directeur de la banque de détail de la banque Byblos.
Les banques s’intéressent donc de plus en plus aux crédits à la consommation, dont les marges s’avèrent bien plus intéressantes que celles des prêts auto. Pour preuve, le développement récent d’offres de niche, qui ciblent une population précise (les professions libérales, les enseignants) ou des produits particuliers (i-Pad, chauffe-eau solaire). Mais il est délicat de donner une indication de la croissance du secteur. Officiellement, les crédits à la consommation représentaient en 2010 quelque 2,541 milliards de dollars d’encours, soit un peu moins de 29 % de l’ensemble des crédits aux particuliers, en recul de quelque 200 millions par rapport à 2009 (2,731 milliards de dollars) et 38,93 % de parts de marché. Ce recul statistique ne traduit cependant pas la réalité du marché. D’une part, parce que la Banque centrale a modifié entre 2009 et 2010 la définition de ce qu’elle incluait sous le terme de crédits à la consommation. Ensuite, parce que les banques intègrent toujours dans les crédits à la consommation des prêts que les définitions internationales ne reconnaissent pas comme tels. Ainsi, une banque libanaise propose-t-elle un « crédit consommation agriculture », pour l’achat de matériel agricole professionnel, qui devrait normalement être comptabilisé dans des crédits entreprises. D’autres établissements bancaires offrent de même, sous l’appellation de crédits conso, des prêts destinés aux professions libérales (médecin, architecte). « Il est vraisemblable que les montants dévolus stricto sensu aux crédits à la consommation sont très largement moins importants que ces 2,7 milliards de dollars. Mais je ne suis pas en mesure de donner un chiffre réaliste », déplore Tarek Kombarji, PDG de CFC, un établissement non bancaire de crédit à la consommation.
Parmi ces différents crédits à la consommation en vogue, les crédits revolving. En théorie, ces crédits renouvelables permettent à l’emprunteur de disposer rapidement d’une réserve d’argent qu’il dépense à sa guise, sans avoir à remplir un dossier spécifique, puisque cette ligne de crédit est adossée à sa carte de paiement, émise par la banque. Le volume de crédit disponible se reconstitue alors au fur et à mesure des remboursements effectués. Si on en croit la Banque centrale, ces crédits représentent un encours de 138 millions de dollars en 2010. « À la Banque Byblos, nous n’offrons pas de ligne de découvert sur les cartes de débit. Nous préférons proposer des cartes de crédit, avec une offre revolving, qui permet au client de mieux gérer leurs finances », précise Élie Abou Khalil.

Gestion des risques différente

S’il est un marché en expansion pour les banques, le segment des crédits à la consommation pose cependant des problèmes nouveaux en termes de gestion des risques. C’est la raison pour laquelle, dans nombre de pays développés, les “prêts conso” ou les crédits revolving ne sont pas assurés majoritairement par des banques, mais par des établissements spécialisés comme Cetelem, n° 1 européen, ou GE Capital, leader aux États-Unis. Au Liban, CFC, filiale de la First National Bank, occupe ce créneau depuis 2000 (voir article page 42).
La gestion du risque n’est en effet pas la même lorsqu’il s’agit d’un crédit à long terme destiné à financer de l’immobilier par exemple ou un crédit à court terme destiné à financer un bien de consommation. Ce qu’un banquier libanais admet, pestant contre “la masse de papier”, “le temps perdu” pour des crédits conso aux montants, au final, peu attractifs. D’autant que contrairement à un crédit automobile qui est adossé à une garantie – le plus souvent la voiture elle-même – dans la plupart des crédits à la consommation, il n’y en a aucune. « Le crédit à la consommation est un métier en soi avec une analyse très particulière des contentieux et du risque curatif, c’est-à-dire des recouvrements amiables », poursuit le spécialiste étranger.
Cette problématique de la gestion des risques est à l’origine de l’instauration en 1964 et surtout de la modernisation, dans les années 2000, du fichier central des crédits, qui centralise la majorité des prêts ainsi que les mauvais payeurs. Son efficacité reste toutefois limitée du fait des seuils imposés par la BDL, comme l’explique Ronald Zirka. « Les crédits à la consommation sont considérés comme des crédits risqués, car les banques libanaises n’ont pas une image globale du niveau d’endettement de leurs clients auprès de la concurrence. Le fichier central des crédits ne recense pas les emprunts au-dessous d’un montant minimum de 6 millions de livres libanaises (4 000 dollars). Ce qui laisse une zone aveugle pour les “petits” montants, typiques des crédits à la consommation. Ensuite, certains établissements de meubles, d’électroménagers continuent d’offrir à leurs clients la possibilité de payer par traites, qu’elles escomptent ensuite directement auprès de leur banque, et qui du coup n’apparaissent jamais dans le fichier de la centrale des risques », constate-t-il. Najib Choucair, directeur du département bancaire au sein de la BDL, qui assure également la gestion du fichier central des crédits, est conscient des imperfections de ce fichier. Il prévoit d’y remédier : la BDL vient ainsi de publier une circulaire qui exige des banques qu’elles déclarent tous les crédits au-dessus de 4 000 dollars (auparavant ce seuil était de 5 000 dollars) ainsi que, vraie nouveauté, l’ensemble des crédits non payés. Et ce quel que soit leur montant. « Jusqu’à présent, la centrale permettait aux banques de revenir jusqu’à trois ans en arrière sur l’historique de leurs clients. Nous prévoyons pour 2011 d’étendre à cinq ans en arrière. »

Surendettement ?

Les banques sont contraintes à la prudence en raison des prises de risques, parfois inconsidérées des clients, qui maîtrisent mal la notion de crédit et ses conséquences sur leur budget. Souvent, ces derniers ne voient que la faiblesse de la mensualité, puissant argument marketing, et ne se rendent pas compte des conséquences en termes d’importance des taux d’intérêt payés ou d’allongement de la durée de remboursement. Pour un crédit à la consommation, remboursable chaque mois, les intérêts oscillent entre 8 et 14 % par an, selon les offres. Mais pour un crédit revolving, il faut compter un minimum de 18 % d’intérêts et une moyenne de 24 % annuels. Compte tenu des taux pratiqués, le capital n’est alors remboursé que très lentement, l’essentiel des mensualités servant à payer les intérêts. Lorsque le client décide de réutiliser en permanence sa “réserve d’argent”, c’est-à-dire qu’il se retrouve en permanence débiteur, la banque encaisse une sorte de rente. « Des banques concurrentes proposent à un même client des crédits revolving sans maîtriser son historique bancaire », explique Élie Abou Khalil. Ce qui peut se traduire par une situation d’endettement permanent qui tourne vite au surendettement. « La limite d’un découvert ne peut dépasser le montant d’un salaire. Dans le cas d’un crédit revolving, il n’y a pas de limite légale. C’est la banque qui impose ses propres règles. Les offres représentent trois, six, voire dix fois le salaire mensuel du client. Le recours au crédit revolving peut vite devenir un cercle vicieux, dont le client ne parviendra jamais à s’extraire », dénonce Ronald Zirka.
Aucun indicateur ne permet cependant de dire si les ménages libanais sont en situation de surendettement, même si certains banquiers tirent la sonnette d’alarme. « Je suis certain qu’il existe des situations de surendettement », affirme Habib Lahoud, d’IBL Bank (anciennement Intercontinental Bank of Lebanon). « Il y a une culture du paraître social qui, couplée aux crédits, peut s’avérer très dangereuse », ajoute Donald Zirka, qui ajoute voir « trop souvent des personnes en possession de cinq à dix cartes de crédit dans leur portefeuille, toutes avec des revolving démultipliés ». En Europe, les associations de consommateurs mettent d’ailleurs en garde contre le recours aux crédits revolving qu’on retrouve souvent à l’origine du surendettement des familles.
Le réveil pourrait être difficile. Pour l’instant, il semble que le taux de défaut soit acceptable, même si les chiffres ne sont pas très transparents… La Banque centrale indique qu’en 2003, les créances douteuses représentaient 15 % de l’ensemble des crédits aux particuliers. Aujourd’hui, ce taux serait de 4 %. Quant aux crédits à la consommation ? Selon Philippe Hajj, directeur de la branche retail de la Fransabank : « Les crédits immobiliers génèrent très peu de défauts de paiement. Les voitures un peu plus, les prêts à la consommation encore un peu plus. » Pour y pallier, les banques libanaises indiquent toutes avoir mis en place des procédures de rééchelonnement lorsque l’un de leurs clients rencontre des difficultés. Et affirment qu’un prêt non remboursé devient une créance douteuse, inscrite au passif des banques, dès le troisième mois d’impayés.


Glossaire
Le crédit aux particuliers est un crédit destiné aux particuliers pour financer leurs projets personnels. On en distingue plusieurs types.
D’abord, les crédits immobiliers. C’est un emprunt de longue durée, destiné à couvrir tout ou une partie d’un achat immobilier, d’une opération de construction immobilière, ou des travaux d’aménagement sur un bien immobilier déjà existant.
Ensuite, les crédits automobiles (prêt “auto”). Ils sont accordés en vue de l’achat d’une automobile neuve ou d’occasion. On intègre parmi les crédits aux particuliers, les crédits à la consommation qui financent des biens d’équipement courants (meubles, équipement hi-fi ou électroménager) mais aussi des voyages, des mariages, etc. Même si la plupart de ces crédits ne sont pas liés à un acte d’achat standard. Parfois, les statistiques comptabilisent les prêts auto parmi les crédits à la consommation.
Enfin, le crédit revolving ou renouvelable  est considéré comme un crédit aux particuliers. C’est un crédit permanent avec la mise à disposition d’une “réserve” d’argent dont le montant est défini d’avance avec la banque ou l’établissement spécialisé. Si l’argent est utilisé, chaque remboursement effectué par l’emprunteur reconstitue la réserve disponible. Ses facilités ont une contrepartie financière : un taux d‘intérêt largement supérieur à celui d’un crédit consommation classique. Ces crédits se distinguent des crédits aux entreprises (ou corporate) qui sont destinés à aider les entreprises à financer leurs opérations commerciales ou des projets comme la construction d’usines, l’achat de biens professionnels ou la reprise d’un concurrent.
Attention, le prêt personnel est un prêt accordé à une personne physique pour financer tout objet autre qu’immobilier. En ce sens, il inclut les crédits auto, les crédits à la consommation et les crédits revolving.