Traditionnellement, c’est la solidarité familiale intergénérationnelle et l’entraide volontaire qui subvenaient aux besoins des personnes âgées. L’initiative de la mise en place de systèmes de pension remonte à l’Allemagne bismarckienne à la fin de 1883. L’idée étant à l’époque de fidéliser la classe ouvrière en expansion par rapport au régime en l’écartant des revendications socialistes qui visaient à l’appropriation collective des moyens de production quitte à imposer aux capitalistes les charges nécessaires. C’était donc clairement, à l’origine, un acte politique. Son extension aux autres pays occidentaux a été progressive et jusqu’à ce jour les États-Unis ne connaissent pas de système de couverture sociale institutionnalisé. Dans les régimes socialistes marqués par la propriété étatique des entreprises, la question ne se posait pas en soi puisque l’emploi était garanti par l’État dès lors que les pensions comme les salaires relevaient finalement du même budget étatique. La nécessité d’institutionnaliser le système de manière autonome ne s’est pas posée. C’est la raison pour laquelle le démantèlement des régimes de propriété étatique des entreprises a abouti à laisser la majorité des travailleurs sans couverture qu’elle soit assurée par l’État ou par les entreprises d’État. Les anciens pays de l’Est ont dû mettre progressivement en place des institutions de retraite après la chute du rideau de fer. La plupart des pays du tiers-monde ont quant à eux mis en place progressivement dans la seconde moitié du XXe siècle des systèmes de pension plus ou moins performants imitant les modèles européens.

Schémas référentiels
On distingue traditionnellement deux modes de fonctionnement des systèmes de pension. Les systèmes par capitalisation et les systèmes par répartition. Les systèmes par capitalisation reposent sur une épargne forcée des travailleurs durant leur période d’activité en vue d’accumuler un capital qui servira à financer les pensions qu’ils recevront après l’âge de la retraite. Les systèmes par répartition fonctionnent comme un prélèvement obligatoire sur les revenus des actifs à un moment donné qui servent à financer les pensions des retraités inactifs à la même date. Il a donc un caractère directement redistributif. D’un point de vue macroéconomique, il est d’emblée évident que les systèmes par répartition sont sensibles aux changements dans la démographie et les taux d’activité, puisqu’ils dépendent du rapport entre le nombre de retraités et le nombre d’actifs à un moment donné. Les systèmes par capitalisation sont quant à eux sensibles à la stabilité financière et au rendement réel des placements. Puisqu’il faut bien que l’épargne accumulée sous forme de placement préserve sa valeur réelle sur une très longue durée. Les crises financières, qui ont secoué le monde lors de la Première Guerre mondiale, dans les années 1930, au cours de la Seconde Guerre mondiale… jusqu’à la crise actuelle, ont à chaque fois dévalorisé massivement l’épargne accumulée et conduit à donner crédit au système par répartition. En revanche, les systèmes par capitalisation, en régime normal, restreignent la consommation et permettent d’accroître l’épargne et par suite, si les fonds sont convenablement gérés, de doper l’investissement et la croissance. D’un point de vue social, il est évident que les systèmes par capitalisation entérinent non seulement les inégalités de revenus, mais aussi les inégalités dans l’emploi puisqu’un chômeur ne peut rien cotiser, sans compter les inégalités liées aux aléas de maladie, d’incapacité, etc. En revanche, les systèmes par répartition manifestent directement la notion de solidarité, qu’elle soit intergénérationnelle ou entre les classes sociales. On observe une certaine convergence entre ces deux modes référentiels avec l’engouement récent pour les formules mixtes. La Banque mondiale en particulier s’est fait l’avocate du système dit des “trois piliers”, l’un par capitalisation, le deuxième par répartition à travers des pensions minimum et le troisième laissé en option au système privé d’assurance.

Soutenabilité
Quel que soit le mode adopté, un système de retraite doit répondre au critère de soutenabilité, et ce sur une très longue durée. À court terme, les problèmes ne sont jamais évidents. Ainsi, quand on met en place un système, que ce soit par capitalisation ou par répartition, les “rentrées” dépassent de beaucoup les “sorties” de fonds. Puisque dans les systèmes de capitalisation, les premiers retraités n’apparaîtront que des décennies après le démarrage du système. Et dans les modèles par répartition, seuls ceux qui passent à la retraite après le démarrage du système sont couverts et leur effectif cumulé est au départ très faible. À plus long terme, les variables qui conditionnent la soutenabilité sont bien connues. Il s’agit du taux de rendement réel des placements financiers (rendement nominal moins inflation) pour les systèmes par capitalisation. Et, pour les systèmes par répartition du taux de croissance réelle des revenus, d’une part, et de l’évolution du ratio inactifs/actifs, d’autre part. À structure démographique constante, le système par répartition est plus efficace si la croissance réelle dépasse le taux de rendement réel des actifs financiers et inversement. Des écarts, mêmes faibles, entre les taux de croissance et de rendements financiers, peuvent être considérables sur une période de trente ou quarante ans. D’une manière générale, plus la part des revenus du travail dans le PIB tend à augmenter, plus le système par répartition est avantageux pour les retraités. Et, inversement, l’augmentation tendancielle de la part des revenus du capital favorise les systèmes par répartition, à condition bien entendu que les fonds accumulés bénéficient de la même rémunération que celle du capital en général (ce qui impose évidemment une gestion efficace et honnête de cette épargne). Historiquement, la période d’après-guerre dans les pays occidentaux a été marquée par une augmentation de la part des revenus du travail jusqu’à la fin des années 1970, pour refluer depuis avec les politiques néolibérales. La crise actuelle met à rude épreuve les deux types de système et la gestion qui en sera faite conduira à une répartition des “coûts de la crise” qui se passera plus ou moins aux dépens des revenus du travail ou des revenus du capital et influera donc différentiellement sur la soutenabilité des régimes adoptés par chacun des pays. D’une manière synthétique, la préférence pour l'un des deux modes de fonctionnement dépend de trois ordres de facteurs : la tendance de l’évolution démographique ; l’anticipation de l’évolution des parts respectives des revenus du travail et du capital ; et le degré de suffisance du taux d’épargne domestique. Dans un pays comme la Chine par exemple, où le taux d’épargne est excessivement élevé du fait de la politique monétaire en vigueur, un système par capitalisation perd beaucoup de son attrait. D’un point de vue opérationnel, la contrainte de soutenabilité conduit à distinguer deux configurations. Celle où les contributions sont définies et les pensions sont variables ; et celle où les contributions sont variables et les pensions sont définies. Les systèmes de capitalisation pure tombent dans la première configuration, puisque les cotisations sont définies en fonction du revenu (et plus spécifiquement du salaire), alors que les pensions dépendent du rendement des placements de l’épargne constituée. Les systèmes par répartition pure entrent dans la deuxième catégorie, puisque la pension est définie en fonction du revenu final ou du revenu des dernières années d’activité ainsi que du nombre d’années d’activité, alors que les contributions dépendent du taux d’activité et de l’évolution générale des revenus. En pratique, les systèmes à pension définie peuvent conduire à des déficits qui sont alors couverts par le budget de l’État, c’est-à-dire par l’ensemble des contribuables. Alors que dans les systèmes par capitalisation, ce sont les bénéficiaires eux-mêmes qui supportent les déficits éventuels à travers la dévalorisation de leur pension. Il n’existe pas de système conciliant des contributions définies avec des pensions définies.

Systèmes de pension et autres risques sociaux
Les systèmes de pension sont spécifiquement conçus pour assurer un revenu au-delà de la période d’activité. Dans la réalité, les choses sont plus complexes. Durant la période d’activité, le travailleur peut être confronté à des risques de décès, d’incapacité ou de chômage qui altèrent la régularité du mécanisme prévu de contributions et, après la période d’activité, le retraité est exposé à des risques accrus de maladie qui viennent amputer le revenu des pensions prévues. Ces effets “perturbateurs” sont d’une nature radicalement différente par rapport aux problèmes pour lesquels les systèmes de pension sont conçus. S’ils ne sont pas traités à travers des mécanismes spécifiques, ils peuvent mettre en péril sinon le système de pension dans sa globalité, du moins son utilité pour une part non négligeable des individus concernés. Cette distinction n’a pas toujours été claire dans l’esprit des concepteurs des systèmes de retraite.

Couverture
Les systèmes de pension ont été historiquement initiés pour les salariés en général et les ouvriers en particulier durant la phase d’expansion du capitalisme industriel où le salariat tendait à se généraliser et où les relations de travail au sein des entreprises étaient généralement durables. L’évolution actuelle dans les pays développés vers une précarisation du travail et le plafonnement du salariat dans la plupart des pays du tiers-monde en faveur du “travail informel” sont venus contredire les anticipations. La restriction de fait des systèmes de pension aux salariés permanents apparaît comme un impôt discriminatoire sur le travail salarié stable et favorise les formes de travail précaire ou informel au détriment des deux catégories, puisque les travailleurs précaires ou informels ne bénéficient d’aucune couverture, alors que la demande sur le travail salarié stable est handicapée. La logique même des systèmes de pension suppose qu’ils aient un caractère général ou du moins qu’ils tendent sérieusement à devenir généraux en termes de couverture. Faute de quoi, des effets pervers très graves se développent. Or, cette généralisation est loin d’être évidente en pratique. L’imposition d’une contribution forfaitaire obligatoire est la méthode la plus simple pour tous les cas où le revenu du travail n’est pas identifié sous la forme d’un salaire contractuel (travailleur indépendant, profession libérale, agriculteur, etc.). Ce forfait peut n’être qu’un plancher obligatoire, chacun pouvant, du moins dans les systèmes par capitalisation, s’engager à une cotisation supérieure jusqu’à un plafond au-delà duquel les contributions excédentaires des personnes fortunées feraient profiter indûment leur épargne des avantages de garantie, d’indexation… que le système pourvoit.

Cotisations
Vu le caractère obligatoire des systèmes de pension et leur origine liée au salariat, il a bien fallu que les lois les régissant distribuent la charge des cotisations entre patrons et salariés. Ces règles de répartition font régulièrement l’objet de débats animés sur la scène politique, syndicale et patronale. Pourtant, en termes économiques, il s’agit là d’un faux débat, car l’employeur perçoit le salaire et la part des contributions qui lui incombent comme un même coût et l’ensemble des contributions obligatoires est absolument équivalent à une taxe sur les revenus du travail.