L’arithmétique de la dette
Dans une première lecture arithmétique, en considérant que l’État est un agent économique dont les exercices annuels conduisent à des déficits ou à des excédents, la dette publique se constitue du fait de l’accumulation des déficits des finances publiques (et se rembourse par leurs excédents).
La variation annuelle de la dette se décompose en deux parties : le solde primaire de l’année (qui peut être déficitaire ou excédentaire, voir Lexique dans Le Commerce du Levant de février 2007) et les intérêts dus sur le stock de la dette.
Comme toute dette, la dette publique est donc soumise à un mécanisme d’accumulation dont il devient de plus en plus difficile de se dégager à mesure qu’elle prend de l’ampleur. Cette dynamique est accentuée par le fait que les taux d’intérêt, censés refléter le risque, tendent eux aussi à augmenter avec le niveau de la dette, c’est la fameuse spirale de la dette et du déficit : une dette qui s’alourdit conduit à des déficits de plus en plus lourds qui aggravent, à leur tour, la dette.
C’est la raison pour laquelle des “gendarmes internationaux” se préoccupent tout particulièrement de ce qu’on appelle la soutenabilité de la dette, ou encore de la “stabilité macroéconomique”. Ce souci est au cœur de la mission du Fonds monétaire international à l’échelle de la planète et du pacte de stabilité (critères de Maastricht) qui impose des plafonds aux déficits publics et aux niveaux de la dette publique dans chacun des États de la zone euro...
Si l’on poursuit l’analogie avec les dettes privées, la mesure de la dette n’a de sens qu’en proportion du cash-flow du débiteur. Le cash-flow de l’État serait alors son solde primaire. On préfère cependant rapporter la dette publique au PIB, car les recettes (et les dépenses) d’un État dépendent généralement de la taille de l’économie dont il peut, par l’impôt, tirer ses revenus et qu’il doit soutenir par ses prestations. Pour plus de raffinement, les pays disposant d’appareils statistiques évolués rapportent la dette non pas au PIB courant, mais au PIB tendanciel pour éviter que les fluctuations conjoncturelles de l’activité ne brouillent l’évolution du ratio dette sur PIB.
Mais contrairement aux débiteurs privés, l’État est “éternel”, l’échéance de ses dettes n’est pas déterminée par des raisons liées à une fin de vie active ou de cycle de production. Il n’y a pas de raison financière stricte qui justifie de “rembourser” la dette publique, il suffit qu’elle soit “soutenable”. On peut alors dire qu’une dette publique reste soutenable tant que sa valeur (en ratio du PIB) n’excède pas la valeur actuelle, escomptée, des excédents primaires futurs (exprimés eux aussi en ratio du PIB). Cette approche exprime la solvabilité à long terme de l’État comme débiteur.
L’actualisation doit se faire à un taux qui n’est pas le taux d’intérêt, comme cela aurait été le cas pour une dette privée, mais à la différence entre le taux d’intérêt et le taux de croissance du PIB car, en retenant comme unités de mesure les ratios au PIB, on admet implicitement que la croissance du PIB conduira à une augmentation proportionnelle des excédents primaires(1). Comme, par ailleurs, la dette publique, à l’image des dettes privées, est nominale (les cas d’indexation étant exceptionnels), la différence entre taux d’intérêt et taux de croissance incorpore les effets de l’inflation : une inflation forte s’additionne à la croissance réelle pour produire une croissance nominale plus importante ; quand on retranche le taux de croissance nominale du taux d’intérêt (nominal aussi), on réduit d’autant le taux d’actualisation et on augmente la valeur actuelle des excédents futurs.
L’inflation est un moyen classique de réduction des dettes. Son effet est d’autant plus important que la dette est plus lourde. En termes réels, c’est tout le stock de la dette qui se trouve réduit dans la proportion de l’inflation.
Il suffit en particulier que le taux d’intérêt (réel) soit inférieur ou égal au taux (réel) de croissance pour que, la dette croissant moins vite que l’économie, toute dette soit soutenable, sans limite, dans une cavalerie où l’État pourrait toujours s’endetter pour payer ses intérêts. Bien que censée dénoter l’inefficacité de l’économie, cette situation se présente quelquefois dans la réalité.

La dette en termes financiers
L’approche arithmétique reste cependant insuffisante pour cerner les mécanismes financiers qui régissent l’évolution de la dette publique. Car la dette publique n’est qu’un élément dans ce que l’on pourrait appeler le “bilan” de l’État et, en termes financiers, ce poste n’évolue pas indépendamment des autres.
En termes formels, la dette publique représente les “engagements financiers des administrations publiques”, lesquelles se définissent, aux yeux de la Comptabilité nationale, comme “l’ensemble des unités institutionnelles dont la fonction principale est de produire des services non marchands ou d’effectuer des opérations de redistribution du revenu et des richesses nationales... Elles comprennent les administrations publiques centrales, les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale”.
À l’intérieur du passif de l’État, le terme d’engagements financiers se prête à des interprétations plus ou moins restrictives qui donnent une extension variable à la dette publique :
• Il y a d’abord la dette visible, consignée dans les statistiques officielles et qui correspond aux titres de dette émis sur les marchés, qu’il s’agisse de bons du Trésor ou d’eurobonds et à l’encours des prêts contractés. C’est cette partie de la dette qui est généralement porteuse d’intérêts.
• Il existe aussi une dette non contestée, mais cachée, qui englobe les arriérés de l’État (dette forcée et non rémunérée), les garanties de droit ou de fait que le Trésor apporte à telle ou telle entité ou opération publique, tout en sachant pertinemment qu’il devra honorer sa garantie du fait du caractère structurellement déficitaire des activités couvertes...
• Il existe de plus des formes contingentes de dette qui peuvent rester occultées pour le public et qui n’apparaissent que de façon décalée comme des déficits futurs quand il faudra les régler, ou en cas de problème financier méritant l’appellation de “cadavres dans les placards”. Cette notion couvre les pertes des entreprises publiques, leurs mauvaises créances, les déficits des réserves des caisses de sécurité sociale, les indemnités non provisionnées des fonctionnaires, etc.
• Il existe enfin des formes de dette plus insidieuses découlant de leur report du Trésor sur la Banque centrale : cette dernière peut être amenée à avancer des fonds à des entreprises publiques défaillantes, diminuant d’autant les dépenses budgétaires, elle peut emprunter des fonds et les replacer en titres de dette publique à des taux qui ne couvrent pas le coût des ressources empruntées, masquant une partie du service de la dette, elle peut être amenée, sous des prétextes divers, à annuler une partie des créances qu’elle détient sur l’État, diminuant d’autant le stock apparent de la dette... Ces reports se traduisent en finalité par l’accumulation de pertes dans le bilan de la Banque centrale.
Les ministères des Finances des pays les plus endettés n’ont pas manqué d’inventivité pour masquer la dette publique. Le Liban est un bon exemple dans ce sens, mais il n’est pas le seul, la Commission européenne a épinglé plusieurs pays européens qui s’étaient livrés à des manipulations de comptes publics.
Mais, en bonne orthodoxie comptable, la dette, élément du passif de l’État, ne peut être regardée qu’en relation avec l’actif. Ce n’est que dans cette perspective que l’on peut apprécier la situation des finances publiques, que ce soit en termes de solvabilité ou même de liquidité, et que l’on peut se faire une idée de ce à quoi la dette a servi.
• Une première étape consiste à déduire des “engagements financiers sur l’État”, ses “avoirs financiers”, c’est-à-dire essentiellement ses avoirs liquides : dépôts auprès de la Banque centrale et d’autres organismes financiers et excédents de liquidité des caisses de sécurité sociale ou d’autres administrations. C’est ce que l’on appelle la “dette nette” par opposition à la “dette brute”. Si c’est bien la dette nette qui évolue en fonction des déficits et non pas la dette brute, c’est par contre cette dernière qui induit les charges d’intérêts, car il est d’usage que les comptes créditeurs de l’État soient auprès de la Banque centrale et ne soient pas rémunérés(2).
• À un niveau moins formel, les dépenses d’investissement se traduisent en accumulation de “capital public” (voir Lexique Infrastructures, Investissement et capital publics dans Le Commerce du Levant de mai et juin 2008) et la dette ne se traduit pas par un “appauvrissement” de l’État. D’une manière symétrique, la “privatisation” réduit de manière équivalente l’actif “physique” de l’État et son passif “financier”, elle ne l’appauvrit donc ni ne l’enrichit.
Nous avons déjà relevé les conséquences du fait que l’État, comme débiteur, était “éternel”, mais il présente aussi une autre caractéristique, celle d’être souverain, du moins dans certaines limites.
Cela signifie qu’on ne peut pas saisir ses biens (en tout cas pas si l’on est un citoyen lambda). De même l’État peut battre monnaie, celle-ci étant libératoire et servir à tous les paiements domestiques. La création monétaire ne passe que pour une infime partie par l’émission de papier-monnaie, son canal principal est le financement par la Banque centrale de l’État, soit directement par des avances et des souscriptions aux bons du Trésor, soit indirectement à des entités publiques déficitaires. Ce pouvoir régalien est un moyen pour l’État de rembourser sa dette ou de financer ses dépenses et de réduire d’autant sa dette.
C’est au regard de la souveraineté de l’État que la distinction entre dette externe et dette interne prend son sens. Une dette libellée dans la devise nationale peut être (partiellement ou totalement) éteinte par la création monétaire qui est un des attributs de la souveraineté. Mais la différence ne se résume pas à la monnaie dans laquelle est libellée la dette publique. En termes économiques, une dette libellée en devises est interne si le créancier est local, puisqu’elle mobilise une épargne domestique. Mais en cas de problème et en termes juridiques, c’est la capacité d’un État à exercer sa souveraineté sur les créanciers qui constitue le critère de différenciation entre dette interne et externe(3). Ce sont donc trois critères qui doivent être pris conjointement en compte pour distinguer utilement dette interne et dette externe : la monnaie, la nationalité du créancier et la juridiction compétente dans la gestion de la dette.

Les effets économiques de la dette publique
Les considérations financières et notamment celles liées à la soutenabilité de la dette tendent souvent à en occulter la portée économique.
Si on laisse de côté les cas intéressants mais atypiques des économies, où les recettes publiques ne proviennent pas de la fiscalité (les économies pétrolières par exemple mais aussi les États assistés par l’extérieur pour des raisons géopolitiques ou autres), on doit, pour comprendre la dette publique, revenir aux spécificités de l’État comme agent économique.
Contrairement aux entreprises ou aux ménages débiteurs qui tirent leurs revenus d’activités déterminées, les recettes de l’État ne proviennent pas d’activités propres – encore que le patrimoine propre de l’État puisse participer au service de la dette –, mais de prélèvements qu’il réalise sur l’ensemble de l’économie, à travers la fiscalité. Dans ce sens, la dette publique apparaît comme une dette sur l’économie nationale, gérée (et contractée) par l’État. On comprend mieux ainsi l’usage de mesurer la dette publique en la rapportant au PIB (ou au revenu par tête) et non en valeur absolue. L’État est dans ce sens “transparent”. Si, de plus, la dette publique est détenue par des agents résidents, c’est l’économie domestique qui se retrouve à la fois créditrice et débitrice, à travers la dette publique.
Cette situation paradoxale a alimenté un des débats les plus vivaces des sciences économiques depuis David Ricardo qui s’interrogeait, à l’occasion des guerres napoléoniennes, sur le moyen le plus judicieux pour la Grande-Bretagne de financer la guerre : par l’impôt, par une dette dont le remboursement serait programmé, ou par une dette perpétuelle dont l’impôt ne servirait qu’à payer les intérêts. La thèse de “l’équivalence ricardienne” (4) stipule qu’ils sont indifférents. Elle considère que toute baisse des impôts aujourd’hui, à dépense publique constante, conduira à un supplément de dette qui induira, pour respecter la contrainte de solvabilité de l’État, une augmentation des impôts demain. Les agents économiques, étant rationnels et connaissant par avance les effets de la dette et étant soucieux du bien-être de leurs descendants, ajusteront leurs comportements en conséquence : ils augmenteront leur épargne pour couvrir le surplus d’impôts qu’ils (ou leurs descendants) devront payer et maintiendront leur consommation au même niveau, car elle dépend du revenu permanent. La baisse d’impôts et l’augmentation de la dette ne produisent donc aucun effet économique ni à court ni à long terme.
Malgré son caractère stimulant, cette thèse est fortement contestée.
La théorie économique dominante considère qu’un accroissement du déficit public (qu’il soit dû à plus de dépenses ou à moins d’impôts) conduit, à court terme, à un dopage de la consommation, car les ménages sont myopes (ils n’anticipent donc pas les effets à long terme de la dette sur la fiscalité et leur consommation dépend de leur revenu courant) et l’offre réagit plus rapidement que les prix au surplus de demande. Cet accroissement de la demande se traduit donc (avec un effet multiplicateur) par une augmentation de la production et l’augmentation de la dette publique conduit bien à une richesse nette.
La théorie dominante considère aussi qu’à plus long terme, l’accroissement de la dette publique, en faisant appel à plus d’épargne, amène une hausse des taux d’intérêt qui pénalise les investissements privés et ralentit la croissance. C’est ce que l’on appelle “l’effet d’éviction” ou “crowding-out”(5) et c’est la principale raison pour laquelle la politique de relance fiscale est censée ne pas dépasser le cadre conjoncturel de court ou de moyen terme sans accumulation de dette, le ratio dette sur PIB restant dans des limites définies (60 % pour le traité de stabilité de Maastricht).

Origine, effets et sorties de la dette publique
La dette publique est l’un des thèmes favoris du débat politique, les différents partis cherchant à en rejeter la responsabilité sur leurs adversaires. Mais la réalité de la dette publique est plus complexe qu’il n’y paraît et elle participe, au même titre que la fiscalité ou que les dépenses, du système de gestion global des flux de redistribution intercatégoriels et intergénérationnels.
Les politiciens attribuent volontiers telle ou telle partie de la dette à une cause spécifique (les dépenses militaires ou l’électricité ont coûté la moitié ou le tiers de la dette). Ce genre d’exercice n’a pas grand sens et cela pour plusieurs raisons :
• La dette publique ne sert pas seulement à financer l’écart entre les recettes et les dépenses de l’État, elle sert aussi de levier à la politique monétaire (l’endettement absorbe la liquidité sur le marché et se traduit par des positions créditrices du Trésor) et elle peut, enfin, servir à financer les réserves en devises de la Banque centrale.
• Elle ne se rembourse pas seulement par l’impôt ou par la cession d’actifs publics ; la création monétaire est une source majeure de revenus pour l’État mais, dès lors que son rythme est supérieur à la croissance réelle, elle génère de l’inflation, ce qui est équivalent à une forme de taxation. Elle pèse de plus sur les réserves en devises de la Banque centrale et conduit à un surplus d’endettement en devises, non plus pour financer les déficits, mais pour financer les réserves.
• On ne peut pas rattacher la dette à une dépense donnée, car le choix fiscal est triple et consiste à tout moment soit à réaliser une dépense en la finançant par l’impôt, soit à la réaliser en la finançant par la dette, soit à la reporter. Le déficit ne dépend donc pas seulement de la dépense, mais de sa date et des recettes qui auraient pu être levées. La dette dépend à son tour des déficits, mais aussi des variables financières et monétaires (taux d’intérêt et d’inflation). On ne prend généralement pas la mesure des effets considérables qui découlent de certaines décisions en apparence bénignes quant à des dépenses publiques qui peuvent être un peu excessives, un peu anticipées, un peu injustifiées. Le gros de la dette publique libanaise est né de l’accumulation d’erreurs bénignes de ce genre durant les années 1990.
Il reste que la question déterminante dans l’étude des phénomènes de dette n’est autre que de savoir, à chaque moment, quelles dépenses justifient le recours à la dette pour les financer.
Il est bon à cet égard de distinguer les dépenses d’investissement des autres types de dépenses. Les dépenses d’investissement sont en réalité les seules dont le financement par la dette se justifie tant au regard de l’effet de redistribution intergénérationnel (il est normal que les générations ultérieures qui vont profiter des fruits de l’investissement en supportent le coût) qu’au regard de l’allocation des capitaux (tant que l’investissement est économiquement justifié) ; on peut même dire qu’il est plus juste de les financer par l’emprunt même si les ressources financières sont disponibles.
Hormis les dépenses d’investissement justifiées, les dépenses conjoncturelles d’ajustement et l’absorption des chocs naturels ou politiques, l’accumulation de la dette représente un mécanisme dont les effets, pris globalement, sont indiscutablement négatifs. Ils le sont d’autant plus, si l’on intègre les effets secondaires qu’il engendre : l’alourdissement de la fiscalité et les distorsions qui l’accompagnent, les effets d’éviction mais aussi, et peut-être surtout, les effets de redistribution.

Signification et implications sociopolitiques de la dette publique
En termes d’économie politique, la dette consiste en trois opérations liées : initialement une dépense excédentaire par rapport aux recettes disponibles ; ultérieurement et sur la durée, un prélèvement fiscal ou quasi-fiscal (dans les cas d’inflation ou de répudiation de la dette) sur les revenus disponibles pour “servir la dette” et, sur la durée, un supplément de dépense qui ira amortir la dette et, sinon la rembourser, permettre aux détenteurs des titres de dette de se retirer.
Il s’agit donc d’un mécanisme complexe de redistribution qui est engagé : en profitent, d’une part, les bénéficiaires des dépenses d’aujourd’hui et, d’autre part, les créanciers sur la période ultérieure (généralement très longue) tant que la dette conserve sa valeur économique réelle ; en pâtissent, d’une part, les contribuables futurs qui devront payer plus d’impôts et/ou recevoir moins de revenus et, si la dette était dévaluée ou répudiée, les créanciers qui en porteraient les titres à ce moment-là.
• D’un point de vue socio-économique, “l’équivalence ricardienne” supposerait que les charges (fiscales) et les avantages (financiers et fiscaux) induits par ce mécanisme soient répartis de la même manière entre les groupes sociaux. Or, rien n’est moins sûr car la part des revenus du capital est généralement bien plus grande du côté des avantages que du côté des charges, hormis les cas d’inflation forte.
• Mais la dette publique comporte aussi nécessairement un aspect intergénérationnel : les générations qui en profitent, à travers l’excédent des dépenses sur les prélèvements, à un moment donné, ne sont pas celles qui en pâtissent, à travers un excédent (plus lourd) des prélèvements sur les dépenses. Cela pose d’une part la question de la solidarité intergénérationnelle : combien les parents se soucient-ils de leurs enfants ? Mais aussi celle de la stabilité des structures démographiques : le vieillissement fait peser des charges de plus en plus lourdes sur des actifs de moins en moins nombreux.
De manière plus générale, les États sont plus ou moins endettés mais en se rappelant que la dette publique est en finalité (à travers l’impôt) une dette sur les ménages, il est intéressant de regarder la dette publique et les dettes privées comme deux canaux parallèles et complémentaires. On peut reconnaître différents modèles de société suivant la part intermédiée par l’État de l’endettement global : certains sont plus solidaires, plus laxistes...
Il faut enfin se souvenir que la dette publique est intrinsèquement liée à la guerre. Ce sont les besoins de financement des guerres qui ont amené les États modernes à institutionnaliser la dette publique. En retour, les crises de la dette ont souvent été à l’origine de guerres civiles ou internationales et de la mainmise des pays créditeurs sur les pays débiteurs.
Les exemples de restructuration des dettes publiques détenues par les créanciers publics et privés au sein de ce que l’on a convenu d’appeler les Clubs de Paris et de Londres sont nombreux. Mais les exemples plus anciens ne doivent pas être oubliés : en 1874, l’Égypte a dû céder ses parts dans le canal de Suez à la Grande-Bretagne puis, en 1876, à constituer la “Caisse de la dette publique” en lui transférant une partie des recettes publiques pour servir la dette ; en 1881, l’Empire ottoman a été contraint de confier à la Banque ottomane (de nationalité franco-britannique), devenue institut d’émission, certaines de ses recettes et la “Gestion de la dette publique ottomane”.


(1) Ce qui n’est jamais tout à fait vrai, car il existe des recettes et des dépenses qui sont, elles aussi, nominales mais leur part est généralement faible. Les exceptions les plus flagrantes sont les pays dont les recettes ne sont pas liées à l’économie domestique, mais à des facteurs exogènes, c’est notamment le cas des économies pétrolières.
(2) Car leur rémunération correspondrait à une perte comptable pour la Banque centrale.
(3) La saisie du produit d’une émission d’eurobonds et d’avions appartenant à la MEA par un tribunal étranger en faveur d’un créancier libanais de l’État présente un cas intéressant à cet égard.
(4) Thèse formalisée par Robert Barro en 1974 dans un article célèbre : “Are government bonds net wealth ?”, où il répond par la négative à la question posée dans le titre.
(5) Il faut noter que dans certaines circonstances l’offre de capitaux peut être tellement importante que les effets d’éviction et la hausse des taux d’intérêt se trouvent enrayés. C’est le cas du Liban du fait de son attractivité exceptionnelle sur les capitaux des émigrés et des aides internationales qui lui sont allouées.