Le Liban n’a pas de cadre légal pour le traitement des déchets solides. Les quelques dispositions existantes ne sont pas appliquées et les rares lois censées régir le secteur attendent encore des décrets d’application. Cette absence de cadre législatif constitue une violation des engagements internationaux pris par le Liban pour la protection de l’environnement.

Le droit est censé prévoir et réglementer le processus de production des déchets, leur collecte et leur traitement. Idéalement, le droit est aussi censé définir les normes de tri et de recyclage. Au Liban, c’est cependant le non-droit, voire l’illégal qui domine, en raison d’importantes carences législatives, depuis au moins le début de la guerre de 1975-1990. La situation est dangereuse : les décharges posent une multitude de risques, liés en premier lieu à la santé publique et à l’environnement. En matière de santé publique, le problème des décharges, en particulier des décharges sauvages ou incontrôlées, renvoie à la question de l’application des différents paramètres de contrôles sanitaires énoncés dans les réglementations en vigueur. Qu’en est-il par exemple de la protection de la santé des populations vivant aux abords des décharges, ou encore sur d’anciennes décharges devenues, comme celle le cas du Normandy, des zones de redéveloppement de luxe ?
En ce qui concerne l’environnement, les décharges peuvent nuire à la qualité des sols, polluer les cours d’eau, les nappes phréatiques, le milieu marin, l’atmosphère… Elles peuvent porter atteinte à d’autres types de milieux : des décharges ont empiété sur des sites archéologiques (Baalbeck), culturels (Qadisha), touristiques (le front de mer, les montagnes), agricoles (Ras el-Aïn, qui jouxte les bananeraies du Sud), urbains (Bourj Hammoud ou l’ancien dépotoir du Normandy), etc. symbolisant l’intensité des conflits d’usage de l’espace qu’elles génèrent.


Des compétences juridiques éclatées

L’absence de politique publique en matière de gestion des déchets s’explique à la fois par les carences légales et l’éclatement des compétences entre le ministère de l’Environnement, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), le ministère d’État pour la réforme administrative (Omsar), celui des Travaux publics et des Transports, l’Institut des normes Libnor et les municipalités.
La loi libanaise n° 444 du 29 juillet 2002 sur la protection de l’environnement prévoit l’adoption en Conseil des ministres d’un décret fixant les modalités d’emplacement, de construction et d’exploitation des centres de tri des déchets et des décharges (articles 39-a, 40-c et 44) ; le Conseil des ministres est aussi appelé à réglementer par décret le sort des déchets laissés à l’abandon (article 39-)).
Ces dispositions précisent que les décrets sont proposés par le ministre de l’Environnement, seul, ou conjointement avec d’autres ministres compétents. La même loi consacre la compétence du ministère de l’Environnement pour le contrôle de l’ensemble des procédés de traitement des déchets (articles 39-b et 44, § 1er). Cette compétence a été confirmée par la loi n° 690 du 26 août 2005 fixant les fonctions du ministère de l’Environnement et portant organisation de ce ministère. Son article 2, paragraphe 18, confie au ministère l’élaboration de stratégies, de programmes et d’études relativement à la gestion intégrée des déchets solides, qu’ils soient dangereux ou non, et le contrôle de leur application. Pour l’heure, toutefois, les décrets de mise en œuvre de ces dispositions restent pour la plupart inexistants, rendant leur effet largement nul.
Le CDR a pour sa part été amené, au lendemain de la guerre de 1975-1990, à exercer un rôle de planification dans le secteur du traitement des déchets solides (loi n° 501 du 6 juin 1996). Plus récemment, le ministère d’État pour la réforme administrative (Omsar) s’est vu confier – en tant que “chef de file” ou bien en tandem avec le CDR –, la supervision et le suivi de projets d’envergure comportant la construction d’infrastructures, y compris des usines de traitement et des sites d’enfouissement de déchets (par exemple, à l’occasion du décret n° 1632 du 28 mars 2009 relatif à la conclusion d’une convention avec l’Union européenne pour le financement du projet de soutien au décollage économique).
Les municipalités exercent également des compétences, notamment au niveau de la collecte des ordures ménagères et de leur traitement. Or, la législation libanaise est désuète sur le rôle des municipalités dans ce domaine (décret législatif n° 118 du 30 juin 1977 portant code municipal, tel que modifié, articles 49 et 126 ; loi/décret n° 8735 du 23 août 1974 sur le maintien de la propreté publique).
S’y ajoutent les attributions de la direction générale de la planification urbaine du ministère des Travaux publics et des Transports (décret n° 1964-16314) qui ont été renouvelées (décret n° 10490 du 21 juin 1997) sans qu’il ne soit tenu compte des compétences parallèles énoncées plus haut. De même, l’Institution des normes libanaises (Libnor) a reçu mandat de proposer les normes de traitement et d’élimination des déchets industriels (décret n° 9444 du 25 janvier 2003 portant organisation de l’Institution des normes libanaises et fixant ses effectifs et les conditions de travail en son sein, article 15).
L’éclatement des attributions administratives dans le secteur du traitement des déchets et des décharges au Liban persiste donc même si le législateur a semblé vouloir attribuer une compétence quasi centrale au ministère de l’Environnement à travers l’article 67 de la loi n° 444 du 29 juillet 2002 (toujours en grande partie non appliquée faute de décret), qui abroge expressément toute disposition qui lui serait contraire.
Cette situation exige pour le moins une collaboration entre les différents acteurs, y compris l’indispensable société civile. Or, cette collaboration n’a pas encore été instaurée : la coordination a bien été confiée (article 7-c) de la loi n° 444 du 29 juillet 2002) au Conseil national pour l’environnement, mais le décret de création de ce Conseil se fait lui aussi attendre.

Des modalités de mise en œuvre toujours en attente

Élaborée par le ministère de l’Environnement, la dernière stratégie nationale en date sur le traitement des déchets solides remonte à 1999. Ce document ne s’est pas traduit par des progrès sur le terrain. Et ce d’abord parce que cette feuille de route n’a pu résoudre les problèmes de coordination entre les différentes entités compétentes. Son objectif de créer un cadre institutionnel sous la forme d’une commission ministérielle est resté lettre morte. En outre, le document a été critiqué pour ne pas avoir suffisamment insisté sur le recyclage ou la réutilisation des déchets, ni proposé des incitations pour favoriser ces modes de retraitement.
Un projet de loi sur le traitement intégré des déchets solides (la loi n° 444 du 29 juillet 2002 prévoit l’adoption d’un décret à ce propos) a été élaboré par des consultants internationaux avec un financement européen et présenté au ministère en 2005, mais ce projet est resté à l’état de brouillon.
En parallèle, le CDR a de son côté adopté en 2006, avec l’aval du Conseil des ministres, sa propre stratégie nationale pour le traitement des ordures ménagères. L’application de cette stratégie a néanmoins donné lieu à beaucoup de critiques, notamment au niveau du choix des sites de traitement ou d’enfouissement des déchets, ou encore au regard de la transparence, voire la légalité de ses procédés.
Au demeurant, en l’absence de décret en Conseil des ministres (prévu par la loi n° 444 du 29 juillet 2002), le traitement des déchets solides de même que l’emplacement et l’exploitation des décharges restent sans modalités législatives précises.
Néanmoins, quelques avancées peuvent être signalées. Le Liban s’est ainsi doté de la loi n° 64 du 12 août 1988 sur la conservation de l’environnement du fait de la pollution par les déchets nocifs et les matières dangereuses. Ce texte, de facture critiquable, énonce des principes assez généraux sur l’élimination des déchets nocifs et des matières dangereuses. La ratification par le Liban de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination de 1989 n’a malheureusement pas corrigé le flou dans la rédaction et, qui plus est, le décret de mise en œuvre reste absent. 
Les déchets hospitaliers font l’objet, pour leur part, d’un texte assez précis, en l’occurrence le décret n° 13389 du 18 septembre 2004 (modifiant le décret n° 8006 du 11 juin 2002) qui fixe les types de déchets des établissements de santé et les modalités de leur élimination. Il est cependant permis de se poser des questions relativement à l’application de ce décret, surtout au vu des quantités effarantes de déchets hospitaliers (seringues, sang, chair humaine, reins) retrouvés dans les décharges illégales.
En outre, le législateur libanais a bien reconnu la nécessité de réhabiliter les décharges (loi n° 444 du 29 juillet 2002, article 41), mais les décrets de mise en œuvre restent également absents.

Violations de lois et conventions internationales

Cette absence de cadre légal au traitement des déchets se traduit par la multiplication des décharges non contrôlées qui représentent une violation des multiples engagements internationaux pris par le Liban en matière de protection de l'environnement et de la santé publique.
Le Liban a consacré le droit de l’être humain à un environnement sain et stable, et le devoir de chaque citoyen de veiller à la protection de l’environnement et d’assurer les besoins des générations présentes sans porter préjudice aux droits des générations futures (loi n° 444 de 2002 sur la protection environnementale, article 3). L’État et les personnes physiques ou morales, de droit public ou privé, sont astreints à appliquer, dans leurs activités, des principes environnementaux fondamentaux. Ainsi du principe de précaution, qui exige l’adoption de mesures efficaces et adéquates, basées sur des données scientifiques et les meilleures technologies propres disponibles en vue de prévenir toute menace de dommage irréversible à l’environnement (article 4-a). L’absence de solution aux problèmes liés aux déchets et aux décharges au Liban peut facilement se réduire au non-respect par les divers échelons de la société de ces dispositions législatives de base.
Les Nations unies se sont attaquées aux problèmes liés aux déchets et aux décharges sous l’angle de leur toxicité et de leur dangerosité. Le Liban est ainsi partie à la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (2001) et à la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination (1989). Ces deux textes comportent des obligations pour les États parties relativement à la gestion saine et écologique des déchets (articles 6 et 4, respectivement) que le Liban ne respecte pas.
Pour leur part, les décharges côtières contreviennent à des conventions internationales liant le Liban. Il s’agit de la convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) (articles 192, 194, 207, 210 et 212) et de la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution (1976) (articles 4, 5 et 8). Cette dernière convention est complétée par un certain nombre de protocoles, dont le protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique (1980) et le protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d'immersion effectuées par les navires et aéronefs (1976). À signaler que le Liban n’a pas adhéré à d’autres textes internationaux plus récents en la matière, tel que le protocole de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets. Ceci constitue une brèche grave dans la protection de nos eaux côtières et marines.
Pour ce qui a trait au changement climatique, il faut savoir que les décharges sont une importante source de gaz à effet de serre et par-là même doivent être prises en compte dans l’évaluation des émissions du Liban dans le cadre du respect de ses obligations prévues au protocole de Kyoto (1997). Par ailleurs, des recherches ont pointé du doigt les décharges pour leur contribution à l’émission dans l’atmosphère de substances à l’origine de l’appauvrissement de la couche d’ozone, ce qui pourrait impliquer des infractions au protocole de Montréal de 1987. Le Liban est partie à ces deux protocoles.
Les décharges sauvages et incontrôlées pourraient par ailleurs constituer une violation des engagements internationaux du Liban à protéger ou préserver certains habitats, espèces et sites emblématiques ou fragiles. La plage de Tyr et la réserve naturelle des îles des Palmiers au large de Tripoli figurent ainsi sur la liste des zones humides d’importance internationale, maintenue sous l’égide de la convention sur les zones humides (Ramsar – 1971). Pour sa part, la vallée de Qadisha est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Or, ces lieux sont à la merci des pratiques déficientes du Liban en matière de gestion de ses déchets et se retrouvent ainsi presque en permanence souillés, ce qui risque très concrètement de les voir déclasser par les instances internationales compétentes. Pour les mêmes raisons, le Liban se retrouve en infraction par rapport à ses engagements à protéger des espèces fragiles. Il est ainsi notoire que les sacs en plastique de nos décharges voyagent en mer et sont souvent avalés fatalement par les tortues marines, lesquelles figurent sur la liste des espèces en danger annexée au protocole relatif aux aires spécialement protégées de la Méditerranée (1982). À la liste des manquements, on peut ajouter la convention sur la diversité biologique (1992), qui a couronné les engagements du Liban en matière de protection d’habitats et d’espèces.
Mis à part ces textes, il est un principe du droit international suivant lequel les États ont le devoir de veiller à ce que les activités menées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement d’autres États (déclaration de la conférence des Nations unies sur l'environnement (1971), principe 21 ; déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (1992), principe 2 ; convention des Nations unies sur le droit de la mer, article 194, § 2). Or, il est clair que les rejets et émissions des décharges traversent nos frontières et ne concernent donc pas uniquement l’environnement du Liban, d’où une atteinte aux obligations du droit international.

Conséquences des violations du droit de l’environnement

On pourrait soutenir que les textes énonçant des devoirs ou des interdictions en vue de protéger l’environnement et la santé publique exposent les responsabilités à des poursuites en cas de non-respect de leurs engagements. C’est une thèse trop générale, mais elle est applicable dans certains cas. Encore faut-il que les intéressés réclament leurs droits, par exemple les organisations de la société civile, les citoyens eux-mêmes ou l’État, et qu’en l’absence d’accord entre les parties lésées et les parties fautives, un cadre juridique adéquat permette de rechercher ces responsabilités et de trancher de manière décisive.
Une fois les responsabilités reconnues, notamment sur le plan pénal, il s’agirait d’indemniser les parties lésées – en vertu du principe pollueur-payeur (loi n° 444 du 29 juillet 2002, article 4-c) ; déclaration de Rio, principe 16) –, mais en matière de dégâts à l’environnement ou d’atteintes à la santé humaine les dommages sont-ils toujours chiffrables ?
Qu’il s’agisse de l’État libanais ou de personnes privées, la responsabilité en réparation pourrait être invoquée dans le dossier qui nous concerne. Responsabilité internationale en droit international, responsabilité administrative ou civile en droit interne, les institutions existent bel et bien. Le législateur libanais a prévu le cas de la responsabilité civile dans la loi n° 444 du 29 juillet 2002. Son article 51 énonce ce qui suit :
« Sous réserve des dispositions du code des obligations et des contrats et du code pénal, l’auteur de toute atteinte à l’environnement causant préjudice aux personnes ou à l’environnement est tenu des réparations exigibles. L’État, représenté par le ministère de l’Environnement, peut réclamer les réparations privées pour les dommages causés à l’environnement. »
Dans plusieurs pays, ces principes de responsabilité ont été mis en application par les tribunaux à la suite de dommages à l’environnement. Dans les années 1940, le Canada a été déclaré responsable et redevable envers les États-Unis, son voisin du sud, pour les dommages causés outre-frontière par des émissions nocives provenant d’une fonderie opérant du côté canadien (affaire de la fonderie de Trail). La sentence du tribunal arbitral international a fait jurisprudence. Sur le plan interne, en France, à la demande d’associations pour la protection de l’environnement, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné en 2005 à une petite commune de Haute-Savoie (Cranves-Sales) de fermer une décharge sauvage appartenant à un particulier et imposé un dédommagement. Le Liban sera-t-il épargné longtemps par ce type de recours ?