L’odeur assaille plusieurs mètres avant d’y parvenir. Mais les 400 000 m3 de déchets de la décharge de Saïda réservent quelques jolies surprises : des viscères ou des carcasses de bovins, en provenance des abattoirs, suintant au soleil, quelques seringues éparses, des monceaux de légumes pourris dont les jus verdâtres s’échappent des sacs en plastique sans compter des réfrigérateurs, des vestiges de voitures… Parvenus sur l’un des sommets, une cabane, deux ou trois fauteuils attendent comme si l’on pouvait être pris d’une envie de faire halte face à la mer, à la surface moussante très inquiétante…
La gérance de cette décharge, qui existe depuis 1982, dépend de la municipalité. Aujourd’hui, elle occupe un terrain de près de 300 000 m2 pour une hauteur maximum de 40 mètres, selon la municipalité. Jabal Nifayat reçoit 120 à 200 tonnes de déchets par jour dont 70 tonnes pour la seule ville de Saïda (à cela s’ajoutent les ordures des camps palestiniens qui ne sont pas gérées par les municipalités).
Les volumes entassés sont tels que la décharge menace en permanence de s’écrouler sous la pression des pluies. Régulièrement, d’ailleurs, les déchets finissent dans la mer. Plusieurs fois déjà, une telle catastrophe s’est produite. C’est pour cette raison que le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a entamé en 2005 une étude de faisabilité afin d’édifier un mur de protection qui ceinturerait la décharge, côté mer. « Un mur identique a été construit pour clôturer la principale décharge de Tripoli dont les déchets polluaient la mer. C’est une protection efficace », explique Bassam Farhat, du CDR. Les associations environnementales comme Bahr Loubnan crient à « l’hérésie écologique » : «  Ce mur va s’enfoncer six mètres sous la mer. Sa construction causera des dégâts irréparables pour l’environnement côtier et rendra plus difficile la pêche artisanale », fait ainsi valoir Mohammad Sariji, vice-président de Bahr Loubnan. Malgré ces protestations, le projet devrait démarrer rapidement et se terminer en 2012.
À défaut d’une solution globale, la décharge est régulièrement tassée et remblayée sans cependant tenir compte des risques d’explosion, dus à la fermentation des gaz, en particulier du méthane. Pourtant, la société IBC, fondée en 1993 par Hamzi Moghrabi, a été appointée pour assurer le retraitement des ordures ménagères grâce en particulier à la construction d’un incinérateur, installé juste à côté de la décharge. Selon la Banque mondiale, IBC en a financé la construction après avoir signé un contrat d’exploitation pour le triage des ordures de la région : ce contrat prévoit que le traitement des déchets est gratuit pour la municipalité de Saïda à concurrence de 200 tonnes par jour. Pour les autres villes, il faut compter entre 28 et 44 dollars la tonne. Aucune étude n’a toutefois été réalisée pour savoir si les villes ont les moyens de payer pareille somme. En tout cas, les locaux existent, mais l’usine n’a jamais fonctionné, du fait d’erreurs grossières dès sa construction. Ainsi, la localisation de l’incinérateur, sous les vents dominants, interdit d’y avoir recours, ses fumées risquant de s’accumuler sur la ville.
À défaut de retraitement industriel, ce sont des Palestiniens qui assurent un tri informel. Au milieu des immondices, une quinzaine d’entre eux du camp de Mié-Mié ou d’Aïn el-Héloué réalisent un tri sommaire avant que la pelleteuse ne fasse basculer les détritus sur la falaise. Mohammad, la petite trentaine, marié, deux enfants, est l’un d’entre eux. Il gagne aux alentours de 15 à 20 000 livres libanaises par jour (10 dollars). Lui cherche de l’acier ; quand d’autres ramassent le carton ou encore le verre. La récolte est maigre : le métal, très recherché, a souvent été prélevé au préalable, dans les poubelles des quartiers, par d’autres ferrailleurs. Entre une et deux tonnes par jour de plastique sont récupérés sur la décharge. Une partie est envoyée à l’usine Yehia Hariri, située à proximité, qui opère l’été, depuis 1997 ; une autre est destinée aux entreprises informelles d’Aïn el-Héloué. Broyés, ces plastiques sont ensuite vendus à des usines de fabrication des boîtes plastiques pour les légumes, ou de pots pour les fleurs.
Quel est l’avenir de cette décharge ? L’ancienne municipalité de Saïda (opposition) accusait le gouvernement de faire obstruction à toutes tentatives de gestion. Le gouvernement (majorité) rétorquait ne pas intervenir dans un dossier municipal… Aujourd’hui, deux projets s’opposent. Le premier, porté par les associations de protection de l’environnement, voudrait nettoyer le site et le transformer en un parc national. Le second, que défend l’actuelle municipalité ainsi que des hommes politiques comme Fouad Siniora, envisage de retraiter le terrain à l’image de ce qui a été réalisé pour le site du Normandy : les déchets, en partie dépollués, serviraient à consolider des remblais pour gagner des terrains sur la mer. Sur cet espace libéré, un port commercial verrait le jour.  Pour Mohammad Sariji, «  la création d’un nouveau port n’a aucune justification économique. Beyrouth et Tripoli fonctionnent déjà en deçà de leurs capacités ». Il semble pourtant que ce projet ait les faveurs du ministère de l’Environnement et du CDR, même si dans les pays européens, la loi interdit de construire sur d’anciennes décharges sauvages pendant 25 à 30 ans. Même retraitées, ces terres sont encore trop dangereuses…

La collecte des ordures également en cause

Depuis 2001, la collecte des déchets pour une quinzaine de municipalités (dont Saïda) a été confiée à un opérateur privé : New Trading and Contracting Company (NTCC). La Banque mondiale estime le coût de la collecte des déchets à 50 dollars la tonne pour la ville de Saïda. Soit un total en 2005 de 1,27 million de dollars, ce qui représente près de 30 % de son budget.
« Un coût relativement élevé pour la région », avance l’institution. D’autant qu’il suffit d’une brève promenade dans les rues de la capitale du Sud pour se rendre compte que les services de ce prestataire sont insuffisants : les poubelles débordent, les détritus s’accumulent tout autour des conteneurs, et ce parfois pendant plusieurs jours. Pour sa défense, NTCC se plaint régulièrement de ses conditions de paiement. Au moment des entretiens, réalisés par la Banque mondiale en 2006, l’entreprise n’avait ainsi pas été payée depuis près d’un an et demi et avait, en conséquence, réduit ses prestations. Depuis, ses factures sont payées directement via la Caisse autonome des municipalités.