Un article du Dossier

Le Liban dilapide son eau

Alors que le Liban connaît une pluviométrie irrégulière avec de longues périodes de sécheresse, la construction de barrages est la solution privilégiée par les autorités publiques pour combler le déficit en eau du pays. Une stratégie contestée par de nombreux acteurs de la société civile qui soulignent les risques environnementaux inhérents à ces infrastructures.
 

«Les barrages sont une nécessité absolue », affirmait, en août dernier, Gebran Bassil, ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques. Selon lui, l’augmentation des capacités de stockage apparaît comme la seule solution pour procurer des ressources en eau suffisantes à la population du pays. Cette nécessité s’explique par la pluviométrie particulière du Liban. En effet, le volume moyen des précipitations s’élève à 800 mm par an, qui se répartissent de la manière suivante : 75 % entre janvier et mai, 16 % entre juin et juillet, et seulement 9 % entre août et décembre. Si des infrastructures de stockage ne sont pas mises en place, la grande majorité du volume d’eau reçu pendant les périodes de fortes précipitations s’écoule alors dans les fleuves, puis dans la mer ou vers les pays voisins, sans avoir été exploitée. Les barrages permettraient de réguler le débit des cours d’eau et de stocker l’eau, procurant ainsi des réserves d’eau potable ou pour l’irrigation, utilisables en période sèche. Dans sa stratégie décennale 2000-2010 reconduite jusqu’en 2018, le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques estime que 18 barrages sont nécessaires pour combler le déficit en eau du pays. Le coût de l’ensemble de ces projets, qui permettraient de mobiliser 850 millions de mètres cubes d’eau par an, est estimé à environ 1,3 milliard de dollars.
Onze ans après l’adoption de cette stratégie décennale, seul un barrage a été finalisé : il s’agit de celui de Chabrouh, qui s’ajoute à celui de Qaraoun construit dans les années 1960. Le manque de moyens financiers apparaît comme la principale raison du retard. Outre l’aide internationale, Gebran Bassil tente de convaincre les banques d’investir dans la construction des barrages, en soulignant les revenus que ces infrastructures sont susceptibles de générer à travers la production électrique, la vente d’eau ou l’exploitation touristique. De lourds risques financiers pèsent néanmoins sur ces projets, notamment en termes de rentabilité, ce qui alimente la frilosité des banques.
La société civile n’est également pas unanime. De nombreuses associations de protection de l’environnement pointent du doigt les risques environnementaux et sociaux qu’engendreraient ces barrages.

Des projets controversés

IndyAct tout comme Green Line, des associations écologiques libanaises, se présentent comme de véritables opposants à la politique du gouvernement en matière de gestion de l’eau. Elles mettent en garde les autorités publiques contre les risques sociaux et environnementaux qui découleront de la construction des 18 barrages prévus. Car la construction d’un barrage bouleverse inévitablement les écosystèmes situés en amont et en aval de l’ouvrage (désertification, disparition de certaines espèces). Mais aussi les populations qui devront être expropriées, puis relogées pour permettre la construction du barrage. De plus, la configuration des sols au Liban ne semble pas favorable à la construction de barrages. « Les sols au Liban sont karstiques, donc perméables, et favorisent des infiltrations, ce qui fait qu’une partie de l’eau n’est pas retenue, mais absorbée. Il existe des mécanismes pour résorber ces contraintes, mais ils sont très coûteux », explique Roland Riachi, doctorant à l’Université de Grenoble, qui prépare une thèse sur l’économie de l’eau au Liban. Les associations écologiques pointent aussi les failles des barrages existants. « Comme les eaux usées sont déversées dans les rivières, l’eau qui est stockée dans les barrages est particulièrement polluée. Le lac de Qaraoun est devenu un vrai cloaque », affirme Waël Hamdan, directeur de l’association IndyAct. Elles considèrent enfin qu’il existe d’autres priorités avant de penser à construire des barrages. « Il faut sensibiliser les Libanais aux économies d’eau, mieux récupérer les eaux de pluies, et recycler les eaux usées dans des petites et moyennes usines de traitement », estime Waël Hamdan.
Les associations écologistes estiment qu’il serait préférable d’améliorer l’exploitation de certaines sources pour le moment totalement négligées et proposent certaines solutions à petite échelle. « Il vaut mieux exploiter les nombreux réservoirs qui existent dans les montagnes pour capter les eaux souterraines et développer davantage les lacs collinaires, comme cela a été fait par exemple dans la Békaa, plutôt que de construire de grands barrages », explique Ali Derwiche, le secrétaire général de Green Line. Les lacs collinaires sont des retenues créées par de petits barrages en terre, qui peuvent contenir quelques dizaines de milliers à un million de mètres cubes d’eau recueillie sur des bassins versants d’une superficie de quelques hectares à des kilomètres carrés. Les arguments défavorables à la construction des barrages ne semblent pas remettre en cause la détermination du ministre aujourd’hui qui a conclu son intervention du 9 décembre en affirmant que si le secteur privé refuse de participer, « l’État devra entièrement prendre en charge la construction de ces barrages, vitaux pour l’économie du pays ». Reste à savoir quelle sera la politique en la matière du prochain gouvernement.

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