Un article du Dossier

Le Liban dilapide son eau

Les ressources en eau du Liban sont convoitées par ses voisins en raison de leur abondance. Un point sur les questions de partage avec la Syrie d’une part et Israël de l’autre.
 

L’organisation à Beyrouth, en octobre dernier, de la troisième édition de la Semaine de l’eau et de la conférence annuelle du Forum arabe pour l’environnement et le développement (AFED) consacrée au thème de l’eau ont souligné l’importance d’une gestion raisonnée des ressources hydrauliques pour la paix au Moyen et Proche-Orient. « La stabilité du Moyen-Orient ne pourra être garantie si de véritables partenariats pour gérer les cours d’eau transfrontaliers ne sont pas mis en œuvre », a ainsi affirmé Fadi Comair, directeur des Ressources hydrauliques et électriques au ministère, lors d’une réunion exclusivement consacrée à la gestion des bassins transfrontaliers. Réglementée depuis 1997 par une Convention des Nations unies relative au partage des cours d’eau internationaux, l’épineuse question de l’exploitation des fleuves transfrontaliers reste difficile à trancher dans une région où l’eau est une denrée rare, d’autant plus que si le Liban et la Syrie en sont signataires, Israël a toujours refusé de ratifier ce texte. Beyrouth et Damas se sont longtemps affrontés au sujet de l’Oronte et du Nahr el-Kabir, jusqu’à ce que des accords aient été respectivement signés en 1994 et 2002. Une coopération qui pourrait servir d’exemple pour le Wazzani, dans le sud du pays, dont l’exploitation est impossible tant que le Liban et Israël sont en guerre.
En 1994, après des années de négociations, le Liban et la Syrie sont parvenus à trouver un accord sur le partage des eaux de l’Oronte (Nahr el-Assi), signé par le ministre libanais des Ressources hydrauliques et électriques de l’époque, Élias Hobeika, et son homologue syrien, Mohammad Madani. Cet accord octroie au Liban le droit d’exploiter 80 millions m3 d’eau par an sur les 400 millions qui s’écoulent dans l’Oronte chaque année (20 %). Certains responsables libanais, dont le cardinal Sfeir, ont considéré à l’époque que cet accord, conclu alors que le Liban était sous tutelle syrienne, n’était pas favorable aux intérêts du Liban et entravait sa souveraineté nationale. Des amendements ont donc été apportés afin de prendre en compte les exigences de la Convention onusienne de 1997 et de permettre la construction d’infrastructures de stockage (barrages) permettant au Liban d’exploiter sa quote-part pendant la saison sèche. Ces dispositions finales ont été validées par les deux États en 2002.  À la même période, les deux pays se sont entendus sur le partage des eaux du Nahr el-Kabir dont le débit annuel a été estimé à 150 millions m3 : 40 % de ce volume ont été alloués au Liban, contre 60 % à la Syrie. Les deux pays se sont également mis d’accord sur la construction d’un barrage commun dont la capacité d’emmagasinement devrait atteindre 70 millions m3. L’accord prévoit que chacun des États a le droit d’utiliser son quota à l’endroit et au moment qu’il choisit, la construction du barrage, la distribution de l’eau et la gestion du bassin étant gérées par une commission mixte. Les gouvernements syrien et libanais se sont félicités du succès de cette coopération qui prouve, selon Jaber Bassam alors conseiller au ministère libanais des Ressources hydrauliques et électriques, que « les intérêts divergents pour l’utilisation des ressources en eau partagées peuvent être harmonisés ». Cependant, depuis la conclusion de l’accord de 2002, la Syrie a érigé quatre barrages sur le Nahr el-Kabir, la rivière étant toujours inexploitée par le gouvernement libanais. La construction de ce barrage pourrait améliorer le rendement de l’agriculture dans la région du Akkar et augmenter la surface irriguée d’environ 10 000 hectares. Les études pour la construction du barrage commun sont toujours en cours, selon le ministère des Ressources hydrauliques. Son coût, côté libanais, est estimé à 25 millions de dollars.

Le Wazzani, fruit de la discorde

La situation du Wazzani, un affluent du Hasbani qui se jette dans le Jourdain sur le territoire israélien, est tout autre. Non signataire de la Convention des Nations unies de 1997, Israël se base sur le plan élaboré par l’ambassadeur Éric Johnston en 1953 qui organisait le partage des eaux du Jourdain. Accepté par Israël mais jamais validé par les pays arabes, il s’applique au Litani et au lac de Tibériade. Étant encore en état de guerre et à défaut d’avoir des références juridiques communes, le Liban et Israël sont en conflit au sujet de ce cours d’eau. Le contentieux remonte aux années 1960, lorsque Israël empêche le Liban d’exploiter les eaux du Hasbani, dans une stratégie globale de contrôle des sources du Jourdain. En 1964, l’aviation israélienne avait bombardé des ouvrages d’adduction d’eau sur le Wazzani. La situation s’envenime à la suite du retrait des troupes israéliennes du Liban en 2000, et notamment en 2002 lorsque le gouvernement libanais décide de construire une station de pompage dans le bassin du Wazzani afin de satisfaire les besoins en eau potable d’une cinquantaine de villages et de permettre l’irrigation des terres de la plaine de Marjeyoun. Face aux menaces d’Ariel Sharon, alors Premier ministre d’Israël, de détruire ces installations en invoquant le non-respect du droit international, le gouvernement libanais transmet aux Nations unies des données techniques, socio-économiques et juridiques afin de faire prévaloir son droit d’exploiter le Wazzani. D’intenses médiations internationales se mettent en place et des commissions se relaient pour analyser la situation sur le terrain. Les prérogatives libanaises sur le Wazzani sont validées par les commissaires étrangers, sans toutefois sanctionner le comportement d’Israël. Si la pompe fonctionne toujours aujourd’hui, elle est largement sous-utilisée, en raison des réticences israéliennes. Le Liban prélèverait moins d’un million de mètres cubes par an (pour une capacité de 4,4 millions de m3), en plus des 5 millions de m3 qu’elle prélevait déjà avant sa constructioni. Ce volume est extrêmement faible, dans la mesure où le débit total du Hasbani-Wazzani est de 135 millions m3 par an. Le plan Johnston, qui n’a jamais été appliqué, prévoyait d’allouer aux Libanais un quota de 35 millions de m3.

 

 

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