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Télécoms : baisse des tarifs Internet et calendrier de la 3G

Entretien avec le nouveau ministre des Télécommunications, Nicolas Sehnaoui, qui promet des changements rapidement palpables dans un secteur pour lequel le Liban fait figure de mouton noir. Sa première réalisation est une baisse drastique des tarifs Internet.
 

Vous venez de baisser les tarifs des services de transmission de données. Cette mesure longtemps attendue est-elle suffisante pour que les Libanais bénéficient d’un meilleur service Internet ?
Le décret révisant les tarifs a été rendu possible par l’évolution de plusieurs facteurs qui étaient indispensables. Le premier est l’augmentation de la capacité de bande passante à la disposition du Liban. Celle-ci est passée de 3 à 330 Gbps grâce aux accords conclus par mes prédécesseurs. Le second est la baisse des coûts d’acquisition de cette bande passante internationale. Or, le prix des E1 internationaux (unité de mesure équivalant à 2 048 Kbps) a connu une chute drastique. Sur la seule année 2010, les prix ont été réduits de moitié.
Le réseau local de transmission de données a largement la capacité d’absorber immédiatement l’augmentation à court terme de la demande de bande passante internationale, et le plan d’extension de la fibre optique, dont l’achèvement est prévu dans 14 mois, relèvera nettement par la suite ce seuil*.
Dès lors que ces conditions ont été réunies, il a été possible de baisser les prix dont la dernière définition datait de 2006 : les tarifs sont désormais réduits de 80 % en moyenne, tandis que la vitesse a été multipliée par 4 à 8.

La libération de la bande passante internationale a été annoncée en décembre 2010 avec la mise en service du câble maritime IMEWE. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour traduire cette évolution sur le marché libanais ?
Tout était déjà prêt en effet depuis sept à neuf mois. Pour des raisons obscures, certains employés de l'administration ont refusé de mettre à la disposition du réseau libanais la capacité additionnelle de bande passante dont il bénéficie désormais, occasionnant des pertes de revenus pour le Trésor qui se montent à plusieurs dizaines de millions de dollars, ainsi que de grosses pertes pour l'économie libanaise. Après la formation de notre gouvernement, le ministère a débloqué 10 Gbps de bande passante internationale, portant le total disponible à 13 Gbps, et quelque 160 demandes de E1 internationales en souffrance depuis des mois ont toutes été satisfaites. L’allocation de E1 locales est en cours.

Le barrage a été ouvert, l’eau passe enfin et la demande devrait être très forte. Qu’est-ce qui garantit que les dysfonctionnements administratifs – quelles que soient leurs causes dont le consommateur se soucie peu – ne se reproduiront pas ?
Si quelqu’un entrave le bon fonctionnement de l'administration, il sera sanctionné par le ministre. Je m’engage à réprimer quiconque tenterait d’empêcher les consommateurs et les entreprises d’accéder à la révolution numérique que le Liban a déjà attendue trop longtemps.

Les déficiences de l’infrastructure des télécommunications sont un frein majeur à l’implantation de nouvelles entreprises au Liban. Peut-on dire qu’un saut qualitatif a été effectué en la matière ?
Le Liban est désormais dans la moyenne régionale en termes de prix du E1 qui tourne autour de 300 dollars par mois. Quant aux leased lines, le nouveau tarif fait du Liban le pays le moins cher de la région pour les entreprises souhaitant créer un hub régional. Au niveau des infrastructures, nous sommes désormais à la pointe : dès septembre, la 3G sera lancée en phase de test et les principales agglomérations en bénéficieront en octobre. Quant aux deux premières phases du chantier de la fibre optique, elles seront achevées avant la fin 2012. Nous lancerons d’ici à la fin de l’année la troisième phase de ce plan haut débit, à savoir les appels d’offres pour un projet pilote de Fiber to the Home (FTTH), la dernière étape pour que les usagers bénéficient d’une vitesse de 100 Mbps. Et dès la fin de la phase 1, en 2012, quelque 400 gros utilisateurs (médias, banques, hôpitaux, etc.) y auront accès.
Le nouveau décret constitue un véritable saut en avant pour le Liban, car la baisse des tarifs va se traduire par une augmentation de la pénétration Internet. Or, la Banque mondiale estime que chaque 10 % de pénétration supplémentaire entraîne un accroissement de 1,38 % du PIB, ce qui est considérable. Notre ambition est cependant beaucoup plus grande. Nous avons fait sauter un barrage, il y en a d’autres. Il s’agit d’un processus continu. Le modèle économique libanais est en soi un obstacle en raison de la cherté de ses facteurs de production qui affectent la compétitivité du pays. Par chance, le secteur des télécoms est celui où l’on peut renverser la vapeur le plus rapidement, car la structure des coûts est composée de deux éléments : les ressources humaines et l’infrastructure télécoms elle-même.

La loi 431 prévoit que le ministre des Télécoms définisse la structuration du secteur, ce qui n'a toujours pas été fait formellement même si, dans la pratique, le ministère définit au quotidien des règles du jeu : comment comptez-vous procéder ?
Selon la société internationale de conseil Booz Allen, la durée de vie moyenne d’une loi des télécoms dans le monde est de cinq ans, étant donné la rapidité des changements en cours dans ce secteur. De plus, cette loi qui a été votée en 2002 conditionne son application à la mise en œuvre de toutes ses dispositions. Et la première d’entre elles est de confier au ministre le soin de déterminer les règles du jeu, ce qui n’a pas été fait à ce jour. Contrairement à ce que les gens pensent de prime abord, la configuration du secteur est une tâche très lourde et complexe. Le monde entier est en chantier pour trouver la meilleure structuration possible, car aucun des modèles qui se sont développés ces dernières années ne donne vraiment satisfaction. Il s’agit de trouver le meilleur moyen d’atteindre simultanément un certain nombre d’objectifs : promouvoir la libre concurrence dans un secteur dont la structure intrinsèque favorise naturellement la constitution de monopoles ; assurer la qualité des services ; prendre en compte les impératifs de sécurité ; encourager le développement du secteur et créer des emplois ; favoriser la création de structures à capitaux libanais ; en finir avec le marché noir, etc.

Est-il cependant souhaitable que l’État continue de jouer un rôle monopolistique dans le secteur des télécoms ? La privatisation n’est-elle pas inéluctable ?
Il y a plusieurs manières d'impliquer le secteur privé qui vont de la privatisation pure et simple à l’attribution de contrats de management. Il faut se garder des points de vue idéologiques sur cette question. Vouloir la privatisation à tout prix pourrait par exemple nous conduire à transformer un monopole public en monopole privé, alors que l’objectif est d’instaurer de la concurrence… L’implication de l’État dans le secteur des télécoms est de plus en plus forte à travers le monde. Ce qui se passe aujourd’hui dans ce secteur dans de grands pays développés où l’État effectue lui-même les investissements dans les réseaux du futur aurait été considéré comme une hérésie il y a quelques années. Les choses changent. Bien sûr, l’État n’a pas bonne presse dans un pays comme le Liban où il a été déstructuré et affaibli en raison des options économiques qui ont prévalu ces dernières années.
Pourtant, si on s’attache aux faits, la perception est tout autre. La cherté du cellulaire n’a rien à voir avec la nature privée ou publique du propriétaire des réseaux (le cellulaire était déjà très cher quand il était géré par le secteur privé) : elle s’explique par le poids démesuré de la charge fiscale qui pèse sur le secteur du mobile. Elle atteint 65 % des revenus, un record mondial d’après une étude de la Banque mondiale. Or, c’est cette charge fiscale qui entrave l’augmentation du taux de pénétration du mobile (qui se situe à 75 % aujourd’hui). Il faudra donc travailler en coordination avec le ministère des Finances pour un transfert progressif de cette charge fiscale. C'est en tout cas un passage obligé avant d’envisager une éventuelle privatisation : on ne peut pas vendre des taxes.
Le secteur public est peut-être un mauvais gestionnaire, mais les usagers vont rapidement mesurer de façon tangible l’infrastructure de pointe dont le pays a été équipé. Je n’ai donc pas de raison de céder à la précipitation et prendrai le temps de réfléchir au meilleur environnement légal et commercial pour le secteur des télécoms au Liban.

Vous placez-vous sur ce plan dans la continuité de votre prédécesseur Charbel Nahas ?
Chacun a son style, mais nous avons la même approche réformatrice ainsi que les mêmes objectifs qui peuvent se résumer en un point : faire du secteur des télécoms un instrument du renforcement de la compétitivité du Liban, afin de promouvoir la création d’entreprises exportatrices et mettre un terme à l’émigration des jeunes Libanais qualifiés.

* À titre d’exemple, le réseau actuel est composé de câbles contenant 12 fibres optiques chacun alors que nous n’en utilisons qu’une seule sur la plupart des jonctions. Chacune des fibres actuellement en place contient entre 500 et 5 000 E1 suivant la technologie des multiplexeurs se trouvant de part et d’autre. Quant aux nouvelles fibres que nous sommes en train d’installer, leur capacité est bien supérieure.

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