Fondé à la fin des années 60, Interbrand s’était spécialisée dans la production et la distribution de jus de fruits et de ketchup au Moyen-Orient. Sous l’impulsion de la nouvelle génération, elle devient un acteur qui compte aussi sur le marché des boissons gazeuses et des eaux minérales.

Connaissez-vous la marque Bonjus ? Si vous êtes libanais, la réponse ne fait aucun doute : c’est un « oui » assuré. Cette marque fait partie des souvenirs d’enfance. On achète toujours pour presque rien (250 livres libanaises) cette boisson dans n’importe quelle “dekkané”. Sarah’s Bag ne s’y est d’ailleurs pas trompée : cette marque de sac, passée maître dans la récupération d’icônes de la culture populaire, a métamorphosé de vieux emballages Bonjus en mini-sacs à main (ou de gros porte-monnaie) pour l’une de ses dernières collections.  
La famille Tabourian, qui dirige Interbrand, ce groupe de production et de distribution de jus de fruits et de boissons gazeuses, n’a certes pas créé Bonjus. Cette marque est le fait du groupe Lebanon Fruit Juice Company de la famille Tamraz et Abou Halka. Mais Interbrand l’a reprise sous licence en 2005 alors qu’elle tombait peu à peu en désuétude. Interbrand en assume maintenant la production et la commercialisation. « Aujourd’hui, les ventes repartent à la hausse, explique Alain Tabourian, directeur général d’Interbrand, le groupe fondé par son père André Tabourian et Vahé Sétian en 1967, et qu’il dirige depuis 2005 avec son frère, Marc, directeur de la structure offshore du groupe, Alma Trading.
En plus de Bonjus, Interbrand possède plusieurs autres marques de boissons qu’elle produit sous licence, la marque de jus de fruits Libby’s ainsi que les sodas Royal Crown (l’américain Cott Beverages), plus connu sous le nom de RC Cola. « RC Cola a été distribué avant la guerre au Liban. Sa reprise en 2006 par Interbrand nous permet de nous implanter sur le segment des boissons gazeuses, tout en bénéficiant d’une image de marque déjà existante », explique Alain Tabourian. Depuis 1977, le groupe s’appuie aussi sur sa propre marque de jus de fruits dénommé X-Tra. « X-Tra est leader sur le moyen de gamme. On le trouve au Liban, mais nous en exportons plus de la moitié de notre production vers les pays d’Afrique », précise encore Alain Tabourian, qui poursuit : « Notre stratégie commerciale est d’être présent de l’entrée jusqu’au haut de gamme. »
Le pari semble réussi : avec près de 80 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2011, Interbrand figure parmi le trio de tête du marché des jus de fruits et des boissons non alcoolisées au Liban, en concurrence avec une autre société libanaise, Libanjus, et un groupe international comme Pepsi-Cola. En 2011, Interbrand a produit 10 millions de caisses de boissons. Le groupe compte en tout 400 salariés.
En parallèle, les frères Tabourian ont mené une récente incursion hors de leur périmètre historique : en 2005, ils se sont associés à un consortium d’investisseurs pour reprendre l’usine d’embouteillage de la Compagnie des sources du Liban, plus connue sous le simple nom de Sannine, auparavant propriété de la famille Rizk. Montant de la transaction ? 11,5 millions de dollars, selon la presse de l’époque. Cette usine de 250 employés est aujourd’hui détenue par la société Selection Holding (groupe Rizk Rizk), le groupe Malia (groupe Sarraf) ainsi que les holdings MNJP (groupe Aoun) et Twins (groupe Rabbath)… Et, bien sûr, Interbrand. Pour Interbrand, cette prise de participations dans Sannine représente « une continuité logique avec ses autres produits ». Aujourd’hui, Interbrand assume le management et la distribution des bouteilles d’eau Sannine, non consignées, dans tout le Liban. Les équipes de Sannine se concentrant, elles, sur la distribution des bouteilles de cinq gallons (18,9 litres) consignées.
Cette volonté de se diversifier tous azimuts s’explique en partie du fait d’un marché très concurrentiel. « Il faut aussi savoir diversifier les risques. » Au sortir de la guerre en effet, des groupes internationaux sont venus s’implanter au Liban sur le secteur des jus de fruits et des boissons gazeuses. Le pays avait jusque-là été délaissé des grands groupes compte tenu de son instabilité politique. C’est notamment le cas de Coca-Cola qui a débarqué au Liban avec la volonté de s’imposer vite et sur une grande échelle. « On a assisté alors à une véritable guerre des prix », se souvient Alain Tabourian. Les entreprises locales n’ont eu d’autres choix pour survivre que de rogner sur leurs marges. « Nous sommes dans un marché de masse : on n’a pas d’autre choix que de suivre la concurrence. » Dans ce contexte, les frères Tabourian ont fait un pari osé : se développer en force pour assurer à leur entreprise une “masse critique” suffisante et retrouver grâce à l’accroissement des volumes les marges perdues.
L’idée de se concentrer sur le marché des jus de fruits est le fait d’André Tabourian, le père d’Alain et Marc. André décida en effet de ne pas suivre le chemin tracé par son père, un professeur de chirurgie dentaire réputé, enseignant à l’Université américaine de Beyrouth. Le métier de dentiste se transmet depuis deux générations chez les Tabourian. « À la fin de l’Empire ottoman, mon arrière-arrière-grand-père vivait à Dikranagerd, une ville du sud-ouest de la Turquie actuelle, qui a été renommée Diyarbakir. Il a pressenti ce qui allait se passer et a envoyé son fils – c’est-à-dire mon grand-père – étudier au Liban. Celui-ci a échappé ainsi au génocide arménien, alors que tout le reste de sa famille a été massacré. » Mais André Tabourian n’a pas la vocation médicale. « Il avait davantage la bosse du commerce. » C’est son frère, Gérard, qui reprendra le flambeau paternel suivi de ses deux enfants, Elda et Gérard Jr. Ensemble, ils tiennent toujours l’un des cabinets de soins dentaires réputés de Beyrouth.
Si André Tabourian s’intéresse aux jus de fruits, cela ne doit rien au hasard. Il se rend compte que « dans la structure de coûts du jus de fruits, le transport figure parmi les postes les plus onéreux », se souvient son fils, qui poursuit : « Mon père a donc eu l’idée d’importer les concentrés de fruits, bien moins volumineux, puis de les conditionner en leur ajoutant de l’eau, pour en faire des jus de fruits, sur place à Beyrouth. Car s’il est bien une chose dont le Liban ne manque pas, c’est d’eau. »   En 1967, André Tabourian obtient la licence pour exploiter la marque Libby’s au Moyen-Orient.
La guerre de 1975 ne permet pas à l’entreprise de se déployer plus avant. « Ma famille a décidé de se réfugier à Paris, mais l’un d’entre nous restait toujours à Beyrouth pour maintenir l’activité. » La période est dure : le port bloqué, Libby’s décide de réduire la licence octroyée, pour développer sa marque au Moyen-Orient avec d’autres partenaires, basés dans des pays plus stables. « En 1981, nos entrepôts, situés à Hadath, brûlent lors d’échanges de tirs entre factions rivales… Tous nos stocks partent en fumée… » Malgré tout, Interbrand ne ferme pas. « À l’époque, nous produisions en un an ce que nous fabriquons aujourd’hui en trois ou quatre jours. »

La politique en filigrane

« J’avais pris une année sabbatique en 1984 pour épauler mon père dans l’entreprise, mais j’ai ensuite dû repartir aux États–Unis pour terminer mes études. J’y ai ensuite monté ma propre start-up. Celle-ci entendait développer des solutions télécoms pour améliorer la connectivité dans des régions rurales, mal desservies par les réseaux traditionnels. Mais j’ai dû fermer boutique quand l’éclatement de la bulle Internet a laminé ce que l’on appelait alors la “nouvelle économie” en 1999. Marc Tabourian, le frère d’Alain, rentre, lui, en 1992 au Liban après avoir terminé ses études de commerce aux États-Unis et avoir travaillé quelques années dans le secteur de la restauration ou la vente en détail tout en maintenant son activité au sein de l’entreprise paternelle. Finalement, en 2005, les deux frères intègrent le groupe familial définitivement.
Interbrand stabilisé, Alain Tabourian peut songer à d’autres projets, plus personnels. Comme son père qui a été député du Metn entre 1964 et 1972, et de Beyrouth en 2000, il accepte de représenter sa communauté au sein des gouvernements Siniora. « J’ai d’abord été ministre d’État, puis ministre avec deux portefeuilles : Sport et Jeunesse, et Télécommunications. » En 2008, il devient ministre de l’Énergie. « Un poste dont personne ne voulait alors, dit-il dans un grand sourire. C’est pourtant l’un des portefeuilles parmi les plus importants avec le ministère des Finances : plus de la moitié du déficit budgétaire du pays est lié au secteur de l’électricité. Le retour à l’électricité 24 heures sur 24 devrait être une priorité nationale. » Alain Tabourian a trouvé “intéressant” son passage en politique, dit-il, en jouant sur un fonds d’ironie. « Les solutions existent en tant que telles, mais vu l’état de dysfonctionnement total du système politique, ces solutions prennent du temps pour se concrétiser. » 
 

Interbrand en bref
1967 : fondation de l’entreprise par André Tabourian et Sétian.
1977 : création de la marque X-Tra.
1981 : l’entrepôt principal d’Interbrand (Hadeth) brûle.
1984 : Alain Tabourian entre dans l’entreprise familiale.
1992 : Marc Tabourian entre dans l’entreprise.
2005 : Alain Tabourian est nommé directeur général d’Interbrand.
2005 : Marc Tabourian est nommé directeur général d’Alma Trading, la structure offshore du groupe.
2005 : prise de participations dans l’usine Sannine.
2005 : reprise de la licence Bonjus.
2008 : acquisition de la licence RC Cola.
2008 : mort d’André Tabourian.
 
Groupe Tabourian aujourd’hui
Chiffre d’affaires : 80 millions de dollars en 2011.
Fondateur : André Tabourian.
Directeurs généraux : Alain Tabourian (Interbrand) ; Marc Tabourian (Alma Trading).
Nombre d’employés : 400.
Caisses vendues : 10 millions de caisses en 2011.