Un article du Dossier

Cinéma libanais : comment entrer dans la cour des grands ?

Producteur associé dans le film “Cloclo”, Riad Bahsoun invite à briser les ponts entre cinéma et monde financier et n’hésite pas à se lancer dans de grosses productions internationales.

Greg Demarque
Tombé dans le cinéma par hasard, Riad Bahsoun est presque un inconnu dans son pays. Il est l’un des producteurs associés du film français “Cloclo” sur la vie de Claude François. Contacté par la société de production LGM Cinémas et le groupe Canal+, il a investi deux millions de dollars (sur un budget total de 26 millions de dollars). Au Liban, le succès est limité : le film est au 170e au box-office(1) avec 13 435 dollars de recettes. Mais la rentabilité totale a déjà atteint les 24 % sans compter les ventes de DVD et droits télé. Ce pourrait être une success story à la libanaise, mais c’est plutôt de l’autre côté de l’Altlantique que tout a commencé pour lui : à Hollywood. Alors membre de l’Union internationale des télécommunications (UIT), Riad Bahsoun rencontre des représentants des grands studios américains. Ceux-ci veulent se tourner vers le Moyen-Orient pour conquérir un nouveau public, mais les scripts qu’ils reçoivent ne leur conviennent pas. Ils lui proposent de relire les scénarios et de faire le tri.
Riad Bahsoun accepte même s’il n’a rien d’un Oriental. Né au Sénégal et ayant vécu une bonne partie de sa vie en France et en Suisse, il confie frissonner plus facilement à la vue d’un site antique grec que dans des souks.
Pendant près de quatre ans il relit près de 200 scénarios. Agacé de voir que les histoires proposées anticipent ce que le public américain imagine du monde arabe, il commence alors une immersion au Moyen-Orient. Dans le cadre de son poste à l’UIT il voyage beaucoup. Dans chaque pays il décide de rester quelques jours de plus afin de s’en « imprégner » : « J’ai découvert un monde craintif, timide, blessé, humilié. » Il fait alors une proposition aux compagnies américaines : « J’arrête de relire, je monte mon unité et je vous propose des scénarios. »
Accompagné de sa femme Janine Dagher, il crée une Société anonyme à responsabilité limitée domiciliée aux États-Unis à partir de fonds propres pour un montant non communiqué. La raison sociale de l’entreprise est de créer et produire des projets cinématographiques. Son nom “Rockworld” est issu de l’Évangile, selon saint Mathieu. « Une maison bâtie sur un roc ne s’effondre pas. » Une référence pas si anodine, tant la religion semble marquer la vie de cet homme et ses choix cinématographiques : le biopic sur la vie de Marie Madeleine, “Mary”, d’Abel Ferrara est d’ailleurs l’un de ses films préférés. Plus généralement les destins hors normes et les grandes productions de films épiques le fascinent, sans compter que « ces films sont rentables », souligne Riad Bahsoun, qui reste avant tout un redoutable financier. Passé par Maths sup, Maths spé puis HEC à Paris, il est membre de plusieurs bureaux internationaux spécialisés en télécommunications, comme le groupe d’étude sur les technologies de l’information et de la communication de l’ONU, ou le Arab Business Forum pour les TIC.
Pour soutenir Rockworld, Riad Bahsoun a créé JRW Entertainment. L’entreprise exclusivement financière investit dans des projets développés ou supportés par la première. Pour “Cloclo”, les deux entreprises ont investi un total de 2 millions de dollars. Sa prochaine production “Khloé”, l’histoire d’une Libanaise partie lancer sa carrière de chanteuse en France, a été élaborée avec un budget de 20 millions d’euros (dont 25 % financés par Rockworld) : 12 pour la production, 8 pour la promotion du film. Développé par Rockworld, le scénario a été écrit par Riad Bahsoun et sa partenaire Janine Dagher, il est coproduit par la société française LGM Cinémas. Pour les scènes qui seront tournées au Liban (23 sur 86), une coproduction a été mise en place avec la société de production Day-Two de George Karam, qui prendra en charge le tournage.
Pour le financement, Riad Bahsoun n’a pas trouvé l’aide espérée au Liban. Il a tenté de faire appel aux banques : « Mais elles n’y comprennent rien, s’emporte-t-il. En Chine ou en Israël, les entreprises et les institutions savent que le cinéma est une vitrine pour leur pays. » Ici, impossible de financer des films à plus d’un million de dollars.
Pénétrer le marché hollywoodien, d’autres Libanais l’avaient fait avant Riad Bahsoun, comme Chady Mattar ou Sylvio Tabet. Mais il est l’un des premiers à s’être installé au Liban. Depuis 2002, il réside à Beyrouth pour des raisons personnelles mais aussi afin de s’impliquer dans la production de films libanais.

(1) Information courtesy of Box-Office Mojo. Used with permission.
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