Charif Majdalani appartient à la race des grands navigateurs. N’ayez pas l’air étonné : Majdalani est bien un écrivain libanais qui livre en cette rentrée littéraire 2013 son quatrième (et très bon) roman, “Le dernier seigneur de Marsad”. Mais c’est aussi un marin : son écriture se faufile entre les vagues de l’histoire. Elle tangue, parfois hésite, sur la crête du temps pour en capturer le limon, les échos et les fantômes. On lit alors les yeux grands ouverts cette chronique de la grandeur et de la décadence d’un quartier de Beyrouth, Marsad, quartier imaginaire construit sur le souvenir de ce que fut Mazraa dans les années 50. C’est là, dans ses ruelles emmêlées, que se déroule la geste d’une famille de notables orthodoxes, les Khattar, sur fond de guerre de 1975. Et plus précisément du chef de clan, Chafic Khattar, dont la vie et la mort servent de transition entre deux pouvoirs, celui vacillant des grands commerçants de Beyrouth, celui émergeant des caïds de la guerre. Lorsque le corps du dernier des Khattar sera retrouvé, criblé de balles, dans le salon déserté de sa maison de Marsad, le narrateur aura cette étrange pensée : « En pensant à tout cela, je me suis soudain retourné vers le cadavre encore étendu (…) et je l’ai observé (…) comme une légende, comme le dernier représentant de cette race d’hommes redoutés et honnis, celle des abadayes de Marsad et de Mazraa dont l’histoire, faite de folies et de panache, de théâtralité, d’obstination, de grandeurs et aussi de petitesses et de mesquineries, venait de s’achever, et avec elle l’histoire entière de ces quartiers – et, cette fois, l’émotion m’étreignit. » Nous aussi.
Seuil 2013, 256 pages, 26 dollars