Un article du Dossier

Le luxe est-il épargné par la crise ?

Avec une croissance estimée à 5 % pour l’année 2013, le marché mondial du luxe est en bonne santé. Une situation qui ne saurait cacher une disparité d’acteurs et une situation nationale plus contrastée.

Avec un chiffre d’affaires mondial de 275 milliards de dollars l’an dernier, le marché du luxe semble épargné par la crise. En 2013, l’observatoire italien Altagamma prévoit une hausse de 5 % du secteur. L’étude commandée par la société Bain and Company* estime qu’en 2015 le marché du luxe sera cinq fois plus grand qu’en 1995.
Partout dans le monde, le secteur est en croissance avec quelques disparités géographiques. En Europe, la croissance prévue pour 2013 est de 2 %, contre 4 % aux États-Unis qui renouent avec la croissance après des années de ralentissement lié à la crise économique et financière de 2008. L’Asie Pacifique devrait elle aussi connaître un boom avec plus de 11 % de hausse attendue grâce notamment à Singapour, véritable plaque tournante du luxe en 2012 avec 3,25 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Au Moyen-Orient, le marché s’est établi à 8,2 milliards de dollars en 2012 avec une hausse de 5 % prévue pour 2013. Dubaï représente 30 % des ventes de la région grâce à sa capacité à attirer des consommateurs internes mais aussi russes, indiens et africains.

Un marché hyperconcentré

Mais ces chiffres positifs ne sauraient cacher une grande disparité sur un marché du luxe loin d’être unifié. Le secteur regroupe d’abord une diversité d’activités allant de la haute couture à la maroquinerie, en passant par l’horlogerie, la joaillerie, les cosmétiques et le parfum, l’art de la table, l’automobile, le design, les bateaux ou l’hôtellerie. Parmi elles, certaines sont pérennes, comme l’horlogerie que l’on se transmet en héritage, d’autres sont davantage soumises aux tendances. Dans cette diversité, un produit est considéré comme luxueux pour son prix, sa rareté sur le marché, sa qualité de fabrication mais aussi pour sa dimension sociale. « Je marque qui je suis en achetant un produit cher, avec une marque reconnue », explique Jean-Michel Bertrand, professeur de communication à l’Institut français de la mode de Paris et intervenant à l’École supérieure des affaires (Esa) de Beyrouth.
Les acteurs du secteur sont également divers. Les grandes marques de luxe peuvent être réparties en plusieurs catégories. Certaines sont prestigieuses, et s’appuient sur leur histoire et leur ancienneté sur le marché. C’est le cas de Louis Vuitton créée en 1854 en France. La première marque de luxe au monde appartient au groupe LVMH et représente, en 2012, 60 % des bénéfices opérationnels du groupe. D’autres sont plus accessibles et captent une clientèle de masse qui a pu se rapprocher du luxe ces dernières années. Selon Hervé Martin, consultant et professeur à l’Institut français de la mode de Paris, et professeur à l’Esa, le secteur est en proie à une grande concentration avec les deux tiers des ventes mondiales entre les mains de grands groupes tels LVMH, leader mondial du luxe, Kering ou Richmond. Le tiers restant réunissant des marques locales ou des secteurs d’activité dont les résultats sont moins liés à la marque, comme la bijouterie ou l’horlogerie. « Aujourd’hui, elles ne jouent plus à armes égales », ajoute Hervé Martin. Avec la mondialisation, les budgets transport et marketing explosent et les petites marques doivent choisir leur marché faute de pouvoir s’implanter partout pour des questions de ressources humaines et de logistique.

Du commerce de niche au luxe de masse

Le secret de la bonne santé du luxe c’est en effet d’avoir su élargir sans cesse sa clientèle. Depuis les années 1970, le marché du luxe se démocratise. Les maisons grandissent et s’exportent, les coûts de gestion augmentent. « Il faut donc vendre plus », explique Joseph Bichat, consultant et intervenant à l’Esa. La clientèle haut de gamme n’étant pas extensible, les marques cherchent à élargir leur public. Certains parlent de “masstige”, raccourci pour masse et prestige. Sur les marchés les plus “mûrs”, les marques de luxe baptisent ces consommateurs “henry” (high earners, not rich yet : à gros revenus mais pas encore riches) qui, dans ces zones, sont dix fois plus nombreux que les ultrariches. Les maisons historiques voient alors s’affronter créateurs et gestionnaires, selon Joseph Bichat. Faute parfois de convaincre le créateur de concevoir des produits plus accessibles, les groupes se concentrent et achètent des marques pour leur permettre de s’adresser à une clientèle plus vaste. C’est le cas d’Yves-Saint-Laurent, explique le consultant, qui rachète Gucci en 1999 pour élargir sa gamme de produits et de clients.

Les effets de la crise de 2008

Contrecoup de cette évolution, le secteur se retrouve soumis aux soubresauts conjoncturels. « Le luxe a besoin de stabilité », explique Hervé Martin. En 2008, ce sont les petites entreprises et les sous-traitants des grandes marques qui ont subi la crise économique et financière de plein fouet. Les ventes mondiales baissent de 6 % l’année suivante. Les grands groupes font face en diminuant leurs investissements et les ouvertures de boutiques. Mais les marques indépendantes ne sont pas épargnées. Christofle, orfèvre parisien, déplore par exemple une chute de 18 % de son chiffre d’affaires cette année-là. Réputé insensible aux crises, en 2008, le secteur est touché. « C’est la première fois dans l’histoire contemporaine du luxe que nous avons assisté à une crise de la demande », précise Hervé Martin. Les masses sont davantage soumises aux soubresauts économiques. En période de crise, elles réduisent leurs dépenses.
Pour faire face au ralentissement, les marques partent à la conquête de nouveaux marchés, notamment du côté des pays émergents. La Chine fait aujourd’hui figure de nouvel eldorado. « Un marché avec un potentiel de croissance exponentiel dans les 20 à 30 prochaines années », explique Hervé Martin. Le pays devrait représenter un tiers du marché du luxe d’ici à 2015. Avec une évolution majeure à venir : le développement de marques chinoises. Elles représentent pour l’instant 5 % des parts de marché dans le pays, mais leur potentiel de croissance est important. « La nouvelle classe moyenne souhaitant acheter chinois », explique Hervé Martin. Certains groupes l’ont bien compris. Hermès a lancé en 2008 Shang Xia, une marque spécialement dédiée à la Chine.

* Résultats publiés dans la “Luxury Goods Worldwide Market Study, 12th Edition” sous la direction de Claudia D’Arpizio. Une étude éditée chaque année par la Bain and Company en coopération avec la fondation Altagamma.
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