Arabian Construction Company (ACC) est avec Butec et Debbas l’un des trois groupes privés chargés en avril 2012 par l’État d’assurer la réhabilitation et la gestion du réseau de distribution d’électricité au Liban en vertu d’un appel d’offres remporté en janvier 2012 par leurs filiales respectives KVA, Bus et NEUC. Entretien exclusif avec Maher Itani, directeur du projet KVA, qui évoque les chantiers réalisés et les obstacles rencontrés.

Quelles ont été vos principales réalisations depuis la signature du contrat avec EDL en avril 2012 ?
Nous avons commencé par un recensement des actifs du réseau de distribution pour identifier les chantiers prioritaires de notre zone, à savoir Beyrouth municipe et la Békaa. Elle compte 8 000 kilomètres de réseau aérien et souterrain moyenne tension (MT) et basse tension (BT), 60 000 poteaux électriques et 4 200 postes MT/BT, dont
2 150 dans la Békaa et 1 950 à Beyrouth. Le recensement n’a pas été achevé dans le nord de la Békaa. Globalement, le réseau est très dégradé en raison de l’accumulation de problèmes au fil des ans et l’absence de plans d’investissement que ce soit pour la maintenance ou le remplacement des installations. Certains postes de transformation ne sont pas protégés contre la foudre, d’autres ne sont pas munis de portes ou sont remplis d’eau. En outre, la technologie est obsolète, ce qui facilite les vols.
Outre le recensement, les investissements ont débuté sur la partie moyenne tension du réseau qui constituait le principal goulot d’étranglement en raison de sa vétusté. Au total, 86 millions de dollars d’investissements seront engagés, dont 16 à 20 millions de dollars lors de la première phase qui s’achève en septembre 2014.
Cent nouveaux postes de transformation moyenne tension/basse tension (MT/BT) ont été installés à Beyrouth et 185 autres dans la Békaa, à raison de 10 postes par mois contre 19 par an en moyenne mis en place par EDL auparavant. Les capacités des nouvelles installations varient entre 630 et
1 000 KVA, contre 100 KVA pour les plus anciens.
Nous avons également augmenté la capacité de 53 postes existants à Beyrouth.
En parallèle, KVA qui bénéficie du soutien technique d’ERDF (filiale d’Électricité de France, voir Le Commerce du Levant de mars 2013) a commencé à installer 66 km de nouveaux câbles souterrains, moyenne tension à Beyrouth, afin de renforcer le maillage de la ville et de faciliter la détection plus précise des pannes.

Ces investissements ont-ils déjà produit des résultats ?
En installant de nouveaux postes d’une capacité de 630 ou 1 000 KVA, nous avons raccordé un plus grand nombre d’usagers au courant électrique. Un poste de 630 KVA équivaut à 24 appartements de luxe ou 42 appartements standard d’une superficie moyenne de 200 m2.
En plus de l’amélioration de la distribution, le principal impact de ces investissements est sur la réduction des pertes techniques qui ont été évaluées à 15 % du réseau au niveau national.
À Rachaya, par exemple, nous sommes parvenus à réduire les pertes techniques de
3 945 kilowatts à 240 kilowatts et à augmenter le voltage du courant destiné aux usagers de 130 à 220 volts. Ce projet, qui a coûté 1,8 million de dollars, portera les revenus à 3,6 millions de dollars (du fait de la réduction des pertes techniques et de l’augmentation de l’alimentation), ce qui correspond à une période d’amortissement de six mois seulement. De manière générale, l’ensemble des projets exécutés durant cette première phase seront rentabilisés entre 5 et 25 mois.
Mais la réhabilitation du réseau moyenne tension a déplacé le problème des goulots d’étranglement en amont du réseau dont nous avons la responsabilité. Il appartient désormais à EDL de moderniser les stations haute tension/moyenne tension (HT/MT) au départ desquelles nous intervenons. EDL doit notamment augmenter la capacité des cellules auxquelles sont reliés les câbles MT au départ des stations, sous peine d’être contraints à des délestages.

Sur quoi portent les deux autres phases d’investissement ?
La réhabilitation du réseau moyenne tension va se poursuivre lors de la deuxième phase pour s’étendre à toute notre zone de couverture. Ensuite, au cours de la troisième phase, à partir de septembre 2015, nous allons équiper certaines zones pilotes d’une capacité d’interconnexion de 20 kilovolts (KV), contre 11 KV à l’heure actuelle. Il s’agit notamment des quartiers périphériques du centre-ville de Beyrouth. Le projet pourrait s’élargir à d’autres quartiers et régions en cas de renouvellement du contrat avec EDL.

Et en aval, au niveau du réseau basse tension, où en êtes-vous en particulier de l’objectif de réduction des pertes “non techniques”, à savoir le vol ?
Le vol est de deux sortes : l’accrochage consiste à se brancher sur un câble en cuivre du réseau qu’il soit aérien ou sur les panneaux en bois des compteurs. Le trafiquage de compteurs qui permet par exemple de réduire manuellement le montant des factures. Notre principale réponse à ce problème passe par l’installation de 250 000 compteurs “intelligents” et le remplacement de panneaux en bois par des panneaux en plastique pour éviter les manipulations illicites d’une part et faciliter les relevés à distance, la détection des pannes, voire la coupure du courant à distance. Une première phase pilote a déjà été lancée dans plusieurs quartiers de Beyrouth (Mar Élias, Achrafié, etc.). Et nous attendons le feu vert d’EDL pour procéder à l’installation. Le projet, dont le coût s’élève à 60 millions de dollars, devrait être achevé fin 2015. En parallèle, nous allons également remplacer des câbles en cuivre nu par des câbles torsadés pour réduire les branchements illicites, ce qui va permettre par la même occasion de réduire les pertes techniques.

Votre rémunération est particulièrement liée à la réduction du vol. Êtes-vous confiant de ce point de vue ?
Notre rémunération est liée à 11 indicateurs-clés de performance, parmi lesquels la réduction du vol est prioritaire. L’objectif est de réduire l’écart entre énergie facturée et énergie délivrée qui est de 68 % aujourd’hui à 80 % à la fin du contrat, en avril 2016. Sa réalisation dépendra également du soutien d’EDL et des forces de sécurité pour établir les procès-verbaux et appliquer les peines prévues par la loi.
Il faut savoir cependant que Beyrouth reçoit 88 % de l’énergie délivrée, contre 12 % seulement pour la Békaa, où les cas frauduleux sont pourtant plus nombreux. Étant donné cet écart, notre action ciblera davantage la capitale et les grands consommateurs, ou encore les zones densément peuplées.

Comment évaluez-vous votre rapport à EDL ? Est-ce vrai que certains problèmes sont survenus au niveau de l’exécution des travaux ?
Nos rapports, définis par le contrat d’avril 2012, sont globalement positifs. Ce contrat manque toutefois de clarté quant à l’exclusivité de l’exécution des travaux, sachant que certaines institutions étatiques ont l’habitude de les assumer en général, que ce soit le ministère de l’Énergie ou le Conseil du Sud. Elles ont donc entrepris des travaux d’installation de nouveaux postes ou d’entretien dans la Békaa, dont les villages de Rachaya et de Machghara. Mais l’essentiel des activités d’exécution restent de notre ressort et certains malentendus ont été aplanis. Autre problème : la lenteur administrative qui retarde la livraison de certains équipements, comme les compteurs électromécaniques pour traiter les nouvelles demandes de connexion au réseau.

Quel est l’impact de l’afflux des réfugiés, notamment dans la Békaa, sur l’exécution de vos plans initiaux ?
L’impact se fait sentir de manière indirecte au niveau de l’augmentation des accrochages illicites et des pannes sur le réseau liées à la congestion. Nous avons dû intervenir davantage que prévu. En outre, l’insécurité dans plusieurs zones, comme à Ersal, Baalbeck et Hermel, retarde l’exécution de certains projets.
Mais il n’existe pas de lien direct avec les réfugiés, en termes d’installations de compteurs ou de postes MT/BT, car il n’y a pas de décision claire quant à la partie qui sera chargée de régler leur installation, puis de payer les factures, que ce soit des organismes de l’Onu ou les réfugiés eux-mêmes.

Qu’en est-il des employés contractuels d’EDL ? Le licenciement de plusieurs dizaines d’entre eux est-il toujours à l’ordre du jour ?
Le contrat signé avec EDL prévoyait l’évaluation des compétences des quelque 500 employés contractuels d’EDL que nous avons intégrés à notre structure, et nous laissait libres d’en garder le nombre nécessaire, sur la base de cette évaluation. Celle-ci n’a pas vraiment eu lieu, en raison des pressions politiques et de celles de la rue… Il a fallu également attendre la loi sur le statut des contractuels, adoptée récemment au Parlement. Elle leur accorde le droit de réintégrer EDL, après le passage d’un examen, ou de se faire indemniser en cas d’échec, selon un barème précis. Entre-temps, nous avons assumé un coût de quelque deux millions de dollars… (salaires et cotisations sociales).