Un article du Dossier

Éducation professionnelle : une formation à repenser

Tout commence en 2007, le responsable au Liban de l’Institut européen pour la coopération et le développement (IECD) et son homologue de l’entreprise Schneider Electric réfléchissent à des solutions pour enrayer un chômage des jeunes galopant d’autant plus absurde que la plupart des fournisseurs locaux du groupe industriel français peinent à trouver des techniciens qualifiés. L’association française, spécialisée dans la coopération éducative et entrepreneuriale, et Schneider Electric décident donc d’associer leurs efforts pour monter un projet pilote avec trois écoles privées – le Foyer de la providence, l’Institut Cortbawi et l’école technique Amlié – volontaires pour revoir leur pratique d’enseignement, bénéficier de l’appui logistique des experts de l’ONG et de dons de matériel moderne par l’entreprise. « L’idée principale était de substituer à une formation jusque-là très théorique une approche par compétences permettant aux élèves à apprendre plutôt que de leur inculquer un savoir pas toujours adapté aux spécificités des compétences requises en entreprise. D’autant que les programmes n’avaient pas été mis à jour depuis les années 1990 et qu’on y trouvait parfois certains exercices désuets comme la réparation de téléviseurs cathodiques, voire en noir et blanc… », raconte Delphine Compain, déléguée de l’IECD au Liban. La nouvelle méthode insiste donc sur les travaux pratiques en permettant aux élèves de se former en conditions réelles dans des plateaux techniques réhabilités par le partenaire industriel. Pour compléter cette acquisition pratique des compétences professionnelles, les étudiants sont soumis à deux stages obligatoires de quatre semaines évalués par un tuteur en contact permanent avec l’équipe enseignante de l’établissement. En parallèle, celle-ci est formée aux nouveaux référentiels pédagogiques et bénéficie de mises à jour techniques pour suivre les innovations du secteur.
Les succès observés après deux années incitent les promoteurs de l’initiative à dupliquer la méthode à d’autres centres d’éducation technique de la filière en sollicitant notamment le soutien financier de l’Agence française de développement et le quitus de la délégation générale de l’enseignement technique et professionnel du ministère de l’Éducation pour accréditer les innovations pédagogiques entreprises. « Au départ, l’idée était de moderniser la filière électricité du baccalauréat technique (BT), mais il s’est vite avéré plus facile de créer une autre filière en parallèle : les établissements partenaires délivrent donc un BT en électrotechnique, au terme d’une formation de trois ans conçue à partir des nouveaux référentiels », explique Delphine Compain. Et la méthode fait tâche d’huile : depuis 2010, ce sont désormais douze établissements, équitablement répartis entre privés et publics (dont le CNAM qui ne délivre pas de BT, mais des formations courtes), et plusieurs centaines d’élèves qui sont formés aux différents métiers électrotechniques (électricité industrielle, ascensoriste, gestion d’énergie des bâtiments, etc.) De nouvelles passerelles ont par ailleurs été établies avec la trentaine d’entreprises partenaires pour accueillir les élèves et leur offrir davantage de perspectives d’insertion : un an après leur sortie des classes, la moitié des diplômés de la première promotion du BT électrotechnique travaillent dans ce domaine alors que ces taux se situent aux alentours des 5-15 % dans les autres filières.
Une réussite à même de convertir l’ensemble des établissements dispensant une formation en électricité aux vertus du BT électrotechnique ? « Bien sûr, le but du projet est de servir de modèle, mais il faut se méfier des effets d’aubaine d’autant que les capacités d’absorption du marché de l’emploi dans le secteur restent limitées : l’approche par compétences suppose d’avoir le matériel adéquat et des enseignants véritablement formés aux nouvelles techniques. Il ne faudrait pas qu’un engouement trop massif nuise à la qualité des examens et in fine à une image de marque que l’on a mis du temps à reconstruire auprès des entreprises…», conclut Delphine Compain.
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