C’était en 1993, Virginie Despentes avait 24 ans, un passé de junky et de prostituée. L’ex-fille des rues crevait pourtant la scène littéraire avec Baise-moi, une épopée trash, labellisée “rock” par la critique, qui y voyait l’avatar des romans de Bret Easton Ellis. Aujourd’hui, Despentes revient avec ce roman, “Vernon Subutex”, surnom d’un ex-disquaire déjanté dont elle chante la dégringolade sociale. Car son credo n’est plus l’éternel « sexe, drogue et rock and roll » qui l’avait fait connaître. « L’époque plébiscite la brutalité », assure l’un des personnages de ce dernier roman. C’est cette brutalité sociale – et son effet sur les individus – que Virginie Despentes décrypte désormais. Son héros, Vernon Subutex, a longtemps été un « enfant du rock » : disquaire, il vendait un rock pur. Mais la montée en puissance du Web a raison de sa petite boutique… Son magasin a fermé et, à 40 ans, l’ex-rocker s’est retrouvé au chômage. La vie est ainsi faite, « dans un premier temps, elle t’endort en te faisant croire que tu gères et, sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce ».
À la rue, Vernon Subutex passe alors de lits en sofas, prétextant auprès de vieux amis, qu’il n’avait plus revus depuis des lustres, qu’il revient du Canada. L’occasion d’une galerie de portraits délectables : il y a l’ancienne fan de rock assagie et malheureuse ; le scénariste bouffi de colère aux obsessions racistes ; la bourgeoise jalouse, « négative comme une pluie fine » ; une journaliste obsessive ; la SDF... Chaque fois, ces rencontres sont l’occasion d’évoquer les sujets qui passionnent l’auteure : les formes de la domination sociale et sexuelle ; la question de l’identité sociale ; ce qui reste d’une génération quand elle vieillit... Sans être un grand roman, “Vernon Subutex” est un roman à lire, bourré d’humour, de lucidité sans désabusement. Le genre de mélanges auxquels on devient accro.
“Vernon Subutex”, de Virginie Despentes, Grasset, 25 dollars.