Un article du Dossier

Le photovoltaïque, un marché promis à un avenir radieux

Le soleil est une source d’énergie renouvelable dont le Liban dispose 300 jours par an. Jusqu’à récemment, elle n’était exploitée que pour chauffer l’eau sanitaire. Des progrès importants ont été accomplis au niveau de l’énergie solaire thermique. L’année dernière, Le Liban a même été classé, par l’Agence internationale de l’énergie, parmi les dix marchés les plus dynamiques au monde, avec une capacité installée de 10 kilowatts thermiques pour 1 000 habitants en 2012, même s’il reste derrière Chypre (14 kWth/1 000 hab.) et loin derrière Israël (29 kWth/1 000 hab.). Le nombre d’entreprises travaillant dans le secteur est passé de 25 en 2008 à plus d’une centaine et une industrie d’assemblage a même vu le jour. Aujourd’hui le marché des chauffe-eau solaires se stabilise, tandis qu’un autre explose : celui du solaire photovoltaïque.
Les panneaux photovoltaïques, installés au sol ou sur les toits, permettent de produire de l’électricité à partir du rayonnement solaire. Les systèmes les plus courants et les moins chers sont raccordés au réseau national (et donc baptisés “on grid”). Ils produisent de l’électricité en complément de celle qui est fournie par Électricité du Liban et les générateurs. Des systèmes plus coûteux, indépendants du réseau (“off grid”) ou hybrides, permettent de fonctionner de manière autonome grâce à des batteries stockant l’énergie solaire produite durant la journée.
Une cinquantaine d’entreprises proposent ces solutions au Liban : une dizaine d’acteurs principaux, dont certains affiliés à de grands groupes, et une multitude de petites sociétés le plus souvent reconverties au photovoltaïque après avoir développé une spécialité dans l’énergie thermique.

Plus de 80 millions de dollars en 2020

« Le marché des chauffe-eau solaires pèse actuellement 20 millions de dollars par an. Mais celui du photovoltaïque va largement le dépasser pour atteindre 80 à 100 millions de dollars par an dans cinq ans », prédit Pierre Khoury, président du Centre libanais de conservation de l’énergie (CLCE).
Cet organisme, affilié au ministère de l’Énergie, connaît bien le sujet. Depuis 2011, il traite les demandes de prêts subventionnés pour ce type d’installations, qui nécessitent un investissement initial important.
Dans le cadre d’un programme appelé NEEREA (National Energy Efficiency and Renewable Energy Action), la Banque du Liban a mis en place un mécanisme qui permet aux entreprises et aux particuliers de bénéficier de prêts à un taux d’environ 0,6 %, pour financer des projets verts (photovoltaïques mais aussi chauffe-eau solaires, efficience énergétique, ampoules basse consommation, biomasse...).
« Le programme a débuté en 2011, mais les banques n’ont vraiment commencé à s’y intéresser qu’en 2014 et une équipe dédiée a été créée au sein du CLCE, explique son président. Fin mai 2015, des prêts de 7,7 millions de dollars avaient été octroyés pour des projets photovoltaïques, avec une capacité de production installée de 2,4 mégawatts crête (MWc). »
Selon lui, 3 à 4 millions de dollars de projets auraient également été menés en 2014 en dehors du programme NEEREA.
Depuis, la demande explose. « On traite aujourd’hui entre deux et trois demandes de prêts par semaine. Au total, entre 15 millions et 60 millions de dollars de prêts seront accordés en 2015, ce qui représentera une capacité additionnelle de 10 à 30 MWc. »
La marge est grande. Certains professionnels sont plus sceptiques que d’autres sur la possibilité d’atteindre le haut de la fourchette, mais tous sont optimistes. « Tout dépend de la taille des installations, souligne Georges Geha, président d’Ecosys, l’une des principales entreprises du secteur. Les grands projets font la différence, et il y en a de plus en plus », souligne-t-il.
Dans le cadre de NEEREA, la moyenne des capacités installées jusque-là est de 16 kilowatts crête (kWc). « Mais les projets supérieurs à 100 kWc se multiplient, notamment pour le pompage solaire dans l’agriculture. C’est un segment très prometteur », souligne Pierre Khoury.
De plus en plus d’industriels aussi se convertissent au solaire (Indevco, Liban Lait, Liban Jus…), des universités (l’Usek, Rafic Hariri...) des écoles (Jamhour, Saint-Charles), des hôpitaux, et même un centre commercial. L’ABC d’Achrafié a inauguré en juin une installation d’une capacité de 450 kWc pour un montant d’un demi-million de dollars, sans passer par NEEREA.
« Le segment résidentiel est également très porteur, d’autant qu’il y a beaucoup de fournisseurs dans les régions. Ce modèle de distribution décentralisé a une plus grande efficacité commerciale et permet un meilleur service de maintenance », ajoute Pierre Khoury.
À l’enthousiasme du secteur privé s’ajoute l’engagement de l’État qui, une fois n’est pas coutume, a donné une véritable impulsion au secteur.

Des investissements publics

En 2013, un contrat public de 3,1 millions de dollars est attribué à l’issue d’un appel d’offres à une joint-venture entre les sociétés Asaco et Phoenix pour l’installation de panneaux photovoltaïques sur le fleuve de Beyrouth.
Le projet Beirut River Solar Snake (BRSS), qui alimente Électricité du Liban, a une capacité de production initiale d’un MWc qui devrait être portée progressivement à 10 MWc. Un nouvel appel d’offres est prévu dans les mois qui viennent pour la deuxième phase du projet (1 MWc supplémentaire). Plus récemment, les installations pétrolières de Zahrani, propriété de l’État, ont également attribué un contrat de 1,4 million de dollars à Ecosys pour un parc solaire d’un MWc, qui doit être porté à 3 MWc. Près de six millions de dollars ont par ailleurs été investis pour l’éclairage public solaire.
Au total, le Liban s’est fixé comme objectif d’installer une capacité solaire de 200 MW d’ici à 2020. C’est moins que la capacité installée la seule année dernière par Israël (250 MW en 2014, avec une capacité cumulée de 731 MW). Car Israël a un avantage sur le Liban : le désert du Néguev où sont installées les principales centrales solaires du pays. Au Liban, étant donné la densité de la population et le prix des terrains, l’installation de grands champs solaires paraît peu probable. Pour une capacité de production de 200 MW au sol, le Liban devra mobiliser une surface d’environ deux kilomètres carrés, soit 0,02 % de la superficie du pays. Pour le moment, à part le fleuve de Beyrouth, aucun projet de centrale solaire d’envergure n’est envisagé. Pour atteindre son objectif, l’État devra donc compter aussi sur le secteur privé, avec des installations plus petites sur les toits.
« Il y a quelques années, la tendance mondiale était d’installer des champs solaires, aujourd’hui on va de plus en plus vers l’autoproduction, qui consiste à produire sur son propre site (maison, entreprise, etc.) tout ou partie de l’électricité que l’on consomme », souligne Antoine Kaldany, président de la société Yellowblue. Une évolution rendue possible par le fait que l’investissement dans le solaire est devenu rentable, pas seulement écologique.

Une filière de plus en plus compétitive

Les professionnels reconnaissent que l’argument “vert” fait de plus en plus mouche, sachant qu’un kilowattheure produit à partir de l’énergie solaire permet d’économiser 0,833 kilogramme de dioxyde de carbone (CO2) par rapport à l’électricité produite à partir du fioul. « Les Libanais sont devenus beaucoup plus sensibles aux enjeux écologiques », témoigne Ibrahim Baz, directeur commercial de Phoenix Energy. Mais l’économie de CO2 n’est pas pour autant un argument suffisant.
Pour juger de la compétitivité de l’énergie solaire on compare en général le coût du kWh produit par cette technologie verte au tarif qui est facturé au consommateur final, toutes sources confondues.
Pour ce faire, on additionne le coût du module photovoltaïque, des onduleurs, des systèmes électriques, du génie civil pour les parcs ou de l’installation pour le résidentiel, et les coûts financiers, commerciaux, administratifs, appelés “soft costs”. Le total est rapporté à la quantité d’électricité produite sur l’ensemble de la durée de vie du système (une période qui peut aller jusqu’à 30 ans) afin d’obtenir le coût de production complet (en anglais LCOE – Levelized Cost of Electricity).
Lorsque ce coût est égal à celui facturé aux consommateurs par la compagnie d’électricité nationale, on est dans une situation de « parité réseau », déjà atteinte dans une quinzaine de pays et de régions du monde, notamment en Allemagne, en Italie et en Californie.
Au Liban, la méthode de calcul est plus complexe, car les prix d’EDL sont subventionnés et qu’il faut y ajouter le coût du générateur de quartier, dont les tarifs ne sont pas homogènes et varient en fonction des heures de rationnement.
Les tarifs d’EDL se situent entre 10 et 15 cents le kWh selon les tranches de consommation. Ils ne reflètent pas les coûts réels de production, estimés à plus de 20 cents/kWh.
Un générateur fonctionnant au diesel coûte entre 0,25 et 0,35 cents/kWh, aux prix actuels. Mais pour un particulier, un abonnement dans une région rationnée pendant 12 heures peut revenir à plus de 0,50 cents/kWh.
« En moyenne pondérée, on estime que les Libanais en dehors de Beyrouth payent plus de 20 cents le kilowattheure, affirme Antoine Kaldany. Or le coût de production complet d’un système photovoltaïque “on grid” de plus de 100 kWc est évalué entre 8 et 10 cents/kWh, ce qui est très avantageux. »
Les chiffres varient toutefois beaucoup en fonction des situations. Le coût de production complet peut tomber à moins de 6 cents/kWh dans de grands projets comme celui de Zahrani, ou dépasser 24 cents/kWh dans des systèmes pour les particuliers dotés d’un système autonome avec batteries.
Quelles que soient les configurations, les Libanais semblent y trouver leur compte. Selon Pierre Khoury, les 152 bénéficiaires des projets de photovoltaïque installés à travers NEEREA ont réalisé une économie totale de 1,2 million de dollars par an, ce qui correspond à 3,55 MWh d’électricité au fioul et 2 210 tonnes de CO2.

Le prix des panneaux divisé par cinq

Si le solaire arrive aujourd’hui à rivaliser avec les autres sources d’énergie, c’est grâce à la chute du prix du module photovoltaïque dans le monde, sous l’effet de la forte concurrence entre les producteurs et les politiques d’encouragement aux énergies renouvelables. Le prix du module classique a été divisé par cinq en cinq ans. « Il est passé de cinq à six dollars par watt en 2011 à un ou deux dollars maximum aujourd’hui », souligne Pierre Khoury.
Au niveau local, les coûts d’installation ont également baissé grâce à « l’expérience acquise par les entreprises libanaises qui leur permet de proposer des prix mieux étudiés ». Mais aussi à la forte concurrence entre les fournisseurs. Dans les grands appels d’offres, les prix proposés pour un système “on grid” varient aujourd’hui entre 1 300 et 2 000 dollars le kW. « Il était d’environ 3 800 dollars en 2010 », se souvient Ramzi Bousaid, président d’Asaco et de la Lebanese Energy Society. Le projet de l’ABC, installé par Ecosys, aura coûté encore moins : 1 100 dollars le kW ! Pour les petites installations “on grid” les coûts varient entre 2 300 et 4 000 dollars, selon le Centre libanais pour la conservation de l’énergie. Et ceux des systèmes “off grid” ou hybrides entre 3 500 et 6 700 dollars le kW. Des prix inimaginables il y a quelques années. « Étant donné la pénurie chronique d’électricité et des coûts de production élevés basés sur le fioul, le solaire est devenu clairement compétitif au Liban », résume Antoine Kaldany. Le calcul serait à revoir si EDL fournit un jour du courant 24 heures sur 24 au tarif actuel. Mais il est fort probable que dans ce cas la compagnie nationale reverrait à la hausse ses tarifs.

Un secteur appelé à s’exporter

La plupart des entreprises du secteur ont l’ambition d’exporter leurs services en dehors du Liban. Certaines le font déjà, notamment en Afrique, d’autres démarchent activement. « Notre métier repose entre autres sur les ressources humaines. Il ne s’agit pas seulement d’importer des panneaux, il faut des ingénieurs, des techniciens et des personnes capables de faire des études correctes pour bien dimensionner les projets », explique Paul Bazzaz, directeur de Matta Energies. « Le marché libanais permet aussi de développer un savoir-faire spécifique puisqu’il faut synchroniser et optimiser l’électricité solaire en fonction de celle de l’État et des générateurs », ajoute-t-il. Avec des coûts salariaux relativement bas et une plus grande flexibilité, les entreprises libanaises estiment pouvoir être compétitives dans la région, surtout par rapport à des prestataires européens. Parmi les marchés visés : l‘Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Irak. Certains professionnels misent également sur la Syrie, notamment au moment de la reconstruction.

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