Lamia Ziadé n’en est pas à son coup d’essai : en 2010, elle avait déjà mis en planche son enfance pendant la guerre libanaise dans “Bye Bye Babylone” (Denoël). Cette fois, elle part à la rencontre des souvenirs plus anciens, ceux de ses grands-parents et de “l’âge d’or” du monde arabe, quand au Caire, à Beyrouth ou à Damas, une “fureur de vivre” résonnait dans toutes les rues. Dans “Ô nuit, ô mes yeux”, l’auteure entremêle le destin des grandes personnalités de la vie artistique, de la fin de la domination ottomane au mitan des années 1970. Des hommes – poètes, compositeurs, musiciens – mais surtout des femmes. Des chanteuses idolâtrées, des actrices, des danseuses du ventre dont les vies romanesques épousent les soubresauts de la grande histoire, de la Nahda à son tragique délitement à la fin des années 1960. Parmi ses égéries : la Libanaise Asmahan. C’est à cette beauté aux yeux d’émeraude, à la vie aussi libertine que tragique, que va s’attacher principalement Lamia Ziadé. Sans doute parce qu’enfant, elle regardait fascinée de sa chambre la maison d’Asmahan, dans laquelle les Anglais l’avaient assignée à résidence pour avoir pris fait et cause en faveur du nationalisme arabe. Enfant sans enfance, prostituée des bouges de Beyrouth, Asmahan file avec sa mère au Caire en espérant y trouver une vie. Elle y trouvera un destin. Espionne pendant la Seconde Guerre mondiale au profit des alliés, cette Mata Hari arabe mourra finalement, noyée dans le Nil, en 1944, à l’âge de 26 ans, laissant le champ libre à Oum Kalthoum et à son règne sans partage sur la chanson arabe. Roman graphique, “Ô nuits, ô mes yeux” fait alterner des textes courts, évoquant des faits historiques ou des souvenirs plus personnels et des planches d’illustrations (plus de 400 dessins). Un ouvrage superbe.
Lamia Ziadé, “Ô nuit, ô mes yeux”, édition P.O.L., 40 dollars.