Pour ce roman, la critique, pour une fois relativement unanime, parle déjà de meilleure fiction de l’année ! En tous les cas, “La Route étroite vers le Nord lointain”, sixième roman de l’Australien Richard Flanagan (1961), est ce type de livre trop rare qui vous fait pousser des jurons d’admiration (d’envie ?) et, accessoirement, sourire de bonheur devant l’ineffable vérité : il n’est rien de plus prenant qu’un bon livre. Et ce roman-là figure parmi les très, très bons. C’est pourtant un récit de guerre et d’horreur. Le livre relate l’histoire de Dorrigo Evans, un jeune Australien, qui intègre l’armée nationale en 1941 comme médecin militaire. Lors de la reddition des forces alliées à Singapour, il est détenu dans un camp de travail de l’armée japonaise sur la ligne de chemin de fer Thaïlande-Birmanie. C’est “La Ligne”, projet fou auquel les Japonais tiennent à tout prix, y faisant travailler comme des esclaves Australiens, Tamouls, Chinois, Malais, Thaïs ou Javanais.
On songe forcément au “Pont de la rivière Kwaï” (1957), le film de David Lean, mais l’Australien Richard Flanagan — dont le père a travaillé sur ce chantier — sait décrire avec des mots précis ce que les images n’ont qu’effleuré : la violence démentielle des hommes et la folie des hommes à survivre. Autre motif majeur qui traverse ce roman : la mémoire qui s’effrite. Car, après la guerre, le colonel Evans devient aux yeux de l’opinion publique un héros sollicité par les médias. Marié, chirurgien réputé, il accumule les mignonnettes de whisky et les femmes de passage. Heureux homme ? Il réalise pourtant très vite que sa vie « tombe en morceaux », dispersant les noms et les visages de ceux qui sont morts le long de “La Ligne”, et dont seuls les ossements blanchis par les pluies rappellent le souvenir.
Richard Flanagan, “La Route étroite vers le Nord lointain”, Actes Sud, 25 dollars.


