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Loyers anciens : comment les tribunaux appliquent la loi

Un recours devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation pour « responsabilité de l’état du fait de ses fonctionnaires » a été introduit, le 15 septembre 2016. Il concerne l’arrêt rendu par la 11e chambre de la cour d’appel de Beyrouth, le 13 juillet 2015, relatif à une demande de reprise pour démolition (et reconstruction) d’un local situé dans le quartier de Verdun.
Le jugement de première instance, rendu avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de libéralisation des loyers, ordonne la reprise du local et fixe l’indemnité à 50 000 dollars. Le juge appliquait alors la loi n° 160/1992, qui ne prévoyait qu’un seul rapport d’expertise pour estimer la valeur du bien (et calculer les indemnités). Dans son calcul de l’indemnité due au locataire, et conformément à la pratique, il s’appuyait sur un taux d’évaluation variant de 25 à 50 % de la valeur du bien repris.
L’affaire est arrivée devant la cour d’appel, le 12 février 2012. Mais du fait de péripéties procédurales et d’une deuxième expertise judiciaire ordonnée en appel (déposée en mars 2013), aucune décision définitive n’a été rendue avant le 28 décembre 2014, date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Ce qui amène à la décision de la 11e chambre de la cour d’appel de Beyrouth présidée par le juge Ayman Oueidate, le 13 juillet 2015. Cet arrêt s’appuie cette fois sur les dispositions de la loi nouvelle relative à la formule d’évaluation du bien (six fois la valeur locative estimée à 5 % de la valeur marchande du bien en cas de reprise) pour calculer l’indemnité. En revanche, les trois magistrats de la 11e chambre ignorent les mécanismes précis que cette même loi de 2014 institue : la nouvelle procédure exige en effet de diligenter deux expertises contradictoires, l’une mandatée par le propriétaire, l’autre par le locataire. Elle requiert également des mentions obligatoires dans les expertises sous peine de nullité, et impose des délais particuliers ainsi que le dépôt de l’offre d’indemnisation devant notaire. Comme en première instance, la cour d’appel de Beyrouth ordonne la reprise du local par le propriétaire pour démolition. Mais elle fixe cette fois une indemnité moindre, d’environ 40 000 dollars. La décision de la cour d’appel est définitive et ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Seul recours possible pour le locataire : un recours en responsabilité de l’État pour “faute grave” des juges. Ce que l’avocat du locataire a fait.
Au-delà de la mise en cause du travail des experts désignés par la Cour et de leurs estimations, ce recours revient sur les difficultés presque insurmontables de la mise en œuvre d’une loi tronquée, mais, surtout, relève que les juges ont choisi d’appliquer certaines dispositions seulement (les taux de réévaluation pour calculer l’indemnité) et d’en ignorer d’autres (la procédure d’expertise et le contenu des rapports entre autres) « alors que le texte est indivisible », comme l’affirme la requête, déposée devant le cour de cassation.  Cette procédure devant la formation plénière de la Cour de cassation est capitale pour l’harmonisation des décisions futures en matière de baux anciens : la “fine fleur” de la magistrature est ici amenée à se prononcer sur le bien-fondé de la position de la cour d’appel présidée par le juge Ayman Oueidate et suivie par d’autres tribunaux. Elle sera en particulier déterminante pour les décisions à venir aussi bien dans les affaires de reprise introduites avant le 28 décembre 2014, que dans les procédures d’évaluation en vue de l’augmentation des loyers intentée depuis cette date. En attendant la décision de l’assemblée plénière, l’exécution de la décision du 13 juillet 2015 a été suspendue.
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