En 1986, Norman Mailer publie son roman “Les vrais durs ne dansent pas”, portrait grinçant (et superbe) d’une Amérique à la violence physique érigée en vertu salvatrice. Quelques dizaines d’années plus tard, rien n’a changé et le portrait que dresse T.C. Boyle dans son nouvel ouvrage “Les vrais durs” dresse le même constat de violence et de délitement. « L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque ; c’est une tueuse », assure l’exergue, signé D.H. Lawrence. Pour la mettre en scène, Boyle se choisit un étrange héros : Sten Stensen, californien, retraité, vieillard prostatique, en croisière avec sa femme en Amérique centrale. Un décor de rêve, que macule vite l’attaque d’un gang armé qui tente de détrousser ce groupe de touristes septuagénaires, partis à la découverte d’un site naturel. Retrouvant ses réflexes d’ancien marine, Sten tue leur chef à mains nues et fait fuir les autres. Porté aux nues par ces condisciples, harcelé par les journalistes à son retour au pays, Sten sort soudain de l’anonymat. Le voilà transformé en superman du quotidien, en champion de l’autodéfense.
La folie de son pays (Boyle est américain par son père, même s’il vit en Angleterre depuis toujours) est l’autre grande hantise de l’écrivain. Il l’illustre lorsqu’il met en scène Adam Stensen, le fils déjanté de Sten : ex-toxicomane, à la psychose ou la paranoïa délirante (il se croit la réincarnation d’un trappeur du XIXe siècle), il incarne ce mal d’aujourd’hui, qui ronge l’Amérique, pour l’auteur. D’autant qu’Adam entretient une relation avec Sara, une femme plus âgée que lui, qui a des problèmes avec la police, car elle fait partie de ces Américains “libres”, de ces “chrétiens fanatiques” qui refusent de se soumettre aux lois, tant locales que fédérales. Violence, paranoïa, racisme, repli sur soi et exaltation de la liberté individuelle contre un État illégitime, on y entend l’écho de bien des discours politiques actuels de la campagne présidentielle. Facile à lire, captivant, ce livre est excuse aussi pour redécouvrir l’ensemble de l’œuvre de l’un des plus grands écrivains de sa génération.
T.C. Boyle, “Les vrais durs”, trad. de l’américain par Bernard Turle, Grasset, 445 p., 24 dollars.


