Lamia Maria Abillama a toujours été très douée quand il s’agit de portraitiser la grande bourgeoisie, revivifiant un genre tombé en désuétude avec la fin de la révolution industrielle. En 2011, elle nous régalait les mirettes avec ses “Ladies of Rio”, portraits cossus de l’élite brésilienne, un pays où l’artiste a vécu. Déjà, la photographe s’y révélait presque subversive : ces femmes “incarnaient” à la manière des icônes, détachées de leur statut social de riches héritières pour finir par composer une cohorte spectrale. Cette typologie, Lamia Abillama la perpétue depuis son retour au Liban. D’abord, avec une série de portraits de l’élite politique libanaise en 2014, aujourd’hui avec cette exposition intitulée “Clashing Realities”. Mais cette fois, Lamia Abillama travestit ses héroïnes : elle les habille de treillis militaire, camouflant leur identité derrière ce kaki guerrier. « En demandant aux femmes de porter l'uniforme militaire, j'ai voulu voir dans quelle mesure la société civile avait été affectée au Liban par des décennies de brutalité. Victimes traumatisées d’incessantes hostilités, ces femmes ont dû composer avec la guerre pendant plus de trois décennies. Comme la gangrène, la violence a envahi leurs espaces intimes et hanté chaque aspect de leur vie », écrit l’artiste. Que voit-on sur les murs de la galerie Tanit ? Une mosaïque de portraits, que le camouflage militaire rend difficile cette fois à identifier en termes de classe ou de religion. Bien sûr, on en reconnaît certaines. Mais les autres ? Elles demeurent anonymes. Au final, la guerre a rongé les marqueurs sociaux et religieux, les privant de ce qu’elles pensaient être leur appartenance. Pour cette exposition, Lamia Abillama a dépouillé le portrait de sa condition de bourgeoise ampoulée, pour en faire un art, avec toute la force documentaire de la photographie. Avec “Clashing Realities”, ces femmes sortent du monde où les hommes les confinaient, prêtes à dégainer.
Galerie Tanit, Mar Mikhaël, du 13 septembre au 5 novembre, Tél. : 01/562812.