En dépit d’une croissance du PIB qui n’a cessé de diminuer ces dernières années en raison de la conjonction des guerres régionales et de l’impasse politique nationale (le Fonds monétaire international l’estime à 1 % pour 2016, comme en 2015, contre 2,8 % en 2012) ; le secteur bancaire libanais tient bon. Il « maintient intacte la confiance de la population dans sa capacité à sauvegarder son pouvoir d’achat, ainsi que les intérêts des déposants et des actionnaires », souligne Freddie Baz, directeur de la stratégie au sein du Groupe Audi. La plupart des agrégats bancaires affichent en effet une vigueur plutôt enviable en ces temps de vaches maigres.
Le bilan consolidé des banques commerciales établies dans le pays a ainsi atteint les 191,3 milliards de dollars fin juin, traduisant une progression annuelle de 5,2 % et de 2,3 % sur les six derniers mois. Un rythme sensiblement similaire à celui de 2015, mais inférieur à celui des années précédentes, lorsque la croissance semestrielle variait entre 3,5 et 5 %.

Le secteur privé résident tire les dépôts vers le haut

Les dépôts du secteur privé constituent toujours la grande majorité des actifs
(81 % contre une moyenne de 67,8 % pour la région Mena et 54,1 % dans le reste du monde) avec 155,4 milliards de dollars, soit 3,3 fois le produit intérieur brut (PIB) enregistré en 2015. Cependant, on assiste au ralentissement de la croissance des dépôts : ils ont augmenté de 3,2 milliards de dollars (+2,1 %) au premier semestre, contre une moyenne de 4,6 milliards de dollars à la même période des cinq dernières années. C’est l’une des raisons qui a poussé la Banque du Liban à effectuer une opération tripartite avec le ministère des Finances et les banques en mai dernier, qui s’apparente à un assouplissement quantitatif ou “Quantitative Easing” (voir page 50).
Le secteur privé résident reste le principal moteur de la hausse des dépôts (dont ils représentent 77 % du volume total) : sa croissance au premier semestre (+2,3 %) excède largement celle du secteur privé non résident (+1,0 %), les expatriés souffrant du ralentissement économique dans les pays du Golfe et l’Afrique. L’analyse des dépôts par devises montre aussi que ceux qui sont libellés en livres ont augmenté légèrement moins rapidement que ceux qui sont libellés en dollars.
Comme le soulignent les économistes de la banque HSBC, la rémunération des dépôts reste encore très attractive au Liban (certaines banques locales offrant dans certaines circonstances plus de 5 % sur le dollar) dans un contexte de taux d’intérêt internationaux faibles, voire même négatifs pour la plupart des pays développés.
En conséquence, le taux de dollarisation atteint 64,8 % à fin mai 2016 d’après la recherche économique du Crédit libanais, à un niveau équivalent à celui de 2012.
Comme le souligne Bankdata, il est intéressant de noter que les dépôts des filiales étrangères des banques “alpha” ont quant à eux diminué de 3,7 % ces six derniers mois. Ceci est dû à la variation de l’écart de conversion de devises étrangères par rapport au dollar (notamment la dépréciation de la livre turque et égyptienne).

Les mesures de relance de la BDL continuent de doper les crédits

Les crédits au secteur privé résident ont augmenté de 1,5 milliard de dollars (+2,9 %), contre une hausse de 970 millions de dollars (+2,0 %) au premier semestre 2015. Afin d’endiguer le manque d’opportunités de financement dû à la situation économique toujours aussi incertaine, la BDL a prolongé jusqu’à la fin de 2016 ses stimuli. Depuis 2013, elle a effectué quatre plans de relance d’un montant total de plus de 5 milliards de dollars sous la forme de mécanisme de subvention de prêts pour inciter les banques à financer, en livres libanaises, l’accès au logement ou certains secteurs définis comme “productifs” (industrie, tourisme, agriculture, artisanat et technologie). Cette initiative a bénéficié à de larges pans du tissu des PME et Joseph Torbey, président de l’Association des banques du Liban, estime qu’elle a contribué à 50 % de la croissance économique de ces deux dernières années.
Les prêts en livres étant favorisés par les mesures prises par la BDL, le ratio de dollarisation des crédits a continué de baisser pour atteindre des niveaux historiquement bas (71 %) en fin de premier semestre 2016 contre 76 % en 2014 par exemple. Ce ratio reste malgré tout élevé, étant donné que le coût du crédit en dollars est inférieur à celui du crédit en livres.
Le ratio crédits sur dépôts du secteur (36,1 %), quoique en légère hausse par rapport à l’année dernière (35 %), reste inférieur presque de moitié au plafond imposé par la BDL. Les banques continuent de rester sélectives, ce qui leur laisse une grande marge de manœuvre le jour où l’économie rebondira significativement avec d’importants besoins de financements.
La qualité du crédit ne pâtit pas trop de la conjoncture, puisque l’encours brut des créances douteuses représente fin juin 5,6 % du total des prêts pour les banques alpha d’après le rapport de Bankdata, presque inchangé par rapport à mi-2015. Les créances douteuses demeurent de même suffisamment provisionnées avec un ratio de couverture qui dépasse les 70 %, similaire à celui de l’année précédente. « Nous avons noté une détérioration de la capacité de certains clients à faire face à leurs échéances. Il s’agit de débiteurs ayant perdu leur emploi ou qui sont employés dans les secteurs du bâtiment, du tourisme ou du commerce de détail et subissent des restrictions salariales », souligne Walid Raphaël, PDG de la BLF. « Mais de manière générale, les impayés des clients dépassent rarement un à trois mois », tempère-t-il.

Une exposition au risque souverain stable

Les avoirs des banques commerciales auprès de la BDL s’élèvent à 78,2 milliards de dollars fin juin 2016, en augmentation de 9 % par rapport à la même période l’année dernière. On notera une hausse significative de 2,5 milliards de dollars entre mai et juin 2016, due au cash placé par les banques auprès de la BDL lors de la transaction tripartite évoquée plus haut. Autre conséquence de cette dernière : le montant des certificats de dépôts souscrits par les banques a décru au même moment de 1,3 milliard de dollars à 18,4 milliards de dollars pour retrouver des niveaux équivalents à ceux de mi-2013.
Enfin, le total des créances au secteur public a légèrement diminué en 2016 à 37,6 milliards de dollars, l’émission d’eurobonds pour un milliard de dollars en avril ayant été souscrite également par la BDL.

Des résultats solides

En 2015, les bénéfices réalisés par les banques libanaises se sont appréciés de 7 % malgré la conjoncture difficile. Les premiers indicateurs fournis par Bankdata pour cette année semblent également s’inscrire dans cette continuité en ce qui concerne la rentabilité de l’activité bancaire. Les bénéfices nets consolidés des banques alpha ont progressé de 8 % en glissement annuel pour atteindre près de 1,1 milliard de dollars. Les ratios de rentabilité du secteur bancaire sont stables en 2016, alors que la croissance des bénéfices nets du secteur n’a été que légèrement supérieure à la croissance des actifs et des capitaux propres. Le rendement du secteur des capitaux propres moyens (ROACE) était de 12,9 % à fin juin, inchangé par rapport à l’année précédente, tandis que le rendement de l’actif moyen (ROAA) a légèrement augmenté, de 1,01 % à 1,05 %.
La plupart des professionnels continuent d’exprimer un satisfecit sur les résultats de leur institution. « Les banques libanaises ont par ailleurs adopté une approche commerciale prudente en consolidant leurs activités et réduisant leur exposition aux pays de la région en difficulté, notamment après la chute du prix des commodités et du pétrole en particulier », insiste Walid Raphaël.
De même, « les banques ont adopté les nouvelles réglementations de Bâle III de manière anticipée, avant les banques de certains pays dits plus développés. En effet, elles devaient dès la fin 2015 se mettre en conformité avec un ratio de solvabilité minimum de 12 % (contre 8 % auparavant), alors que l’on donnait jusqu’à 2018 pour s’y conformer », souligne Walid Raphaël. « Le secteur s’est déjà mis au diapason avec un ratio de 15,1 % à fin 2015 », ajoute Mohammad Ali Beyhum, directeur général exécutif de BankMed.
En parallèle, les banques libanaises se diversifient pour bénéficier de nouveaux relais de croissance. Malgré l’instabilité géopolitique de certains pays régionaux, elles étendent leur couverture géographique. À fin 2015, 18,1 % des actifs et 27,2 % des prêts étaient logés dans leurs filiales étrangères. Ces niveaux atteignent même respectivement 48 % et 65,1 % au sein du groupe Audi. Cette croissance externe n’est toutefois pas suffisante, estime Ghassan Assaf, PDG de la BBAC. « Avec des coûts opérationnels toujours plus élevés et une pression continue sur les marges, le secteur bancaire libanais devra se consolider via des fusions-acquisitions », dit-il.




Respect des lois

En étroite coordination avec l’Association des banques au Liban, la Banque centrale et la Commission de contrôle des banques ont multiplié les circulaires destinées à mettre le secteur en conformité avec les nouvelles lois sur le blanchiment, l’évasion fiscale et le terrorisme, et l’échange d’informations votées au Parlement en novembre 2015.
L’Association des banques a entrepris parallèlement un travail de lobbying auprès de ses homologues, des régulateurs des pays où les banques libanaises ont des correspondants, particulièrement les États-Unis et la France, et prochainement l’Angleterre, la Suisse et l’Allemagne. « L’objectif est d’insister sur la volonté du secteur de se conformer aux règles internationales et aussi d’être leader régional dans le développement des bonnes pratiques de gestion et de gouvernance », explique Walid Raphaël, membre du conseil d’administration de l’Association des banques.