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Le secteur automobile applique une stratégie de crise

Le marché automobile libanais accuse cette année une baisse des ventes de véhicules neufs de 0,9 % sur les huit premiers mois de l’année par comparaison avec la même période de janvier à août en 2015. La persistance de la crise inquiète les concessionnaires.

Si l’on s’en tient au nombre de voitures neuves vendues, on pourrait croire que le marché de l’automobile continue de bien se porter malgré la crise économique persistante : quelque 39 361 voitures particulières et 2 293 voitures commerciales ont été vendues en 2015, soit respectivement de 17,7 et 15,22 % de plus qu’en 2008 – une année de référence pour l’Association des importateurs automobiles du Liban (AIA) puisqu’elle marque le retour du marché à son rythme normal après la guerre de 2006.
« Les ventes de nouvelles voitures augmentent. 2015 a été l’année d’une certaine reprise avec une augmentation à la fois des nouvelles voitures et de celles de seconde main », précise Fayez Rasamny, directeur général de Rymco pour Nissan, Infiniti et GMC. Mais selon lui « une augmentation des ventes ne signifie pas que le secteur va bien. L’augmentation est liée à celle des voitures à petits budgets ».
De fait, selon l’AIA, ces chiffres masquent une baisse des ventes en valeur. Les budgets inférieurs à 20 000 dollars continuent en effet de représenter 90 % des ventes, selon l’AIA, mais ces ventes sont moins rentables aujourd’hui en raison de la frilosité des clients qui obligent les concessionnaires à baisser leurs marges, intensifier leurs offres commerciales et augmenter leurs services.
En 2016, la situation continue à stagner, puisque les ventes enregistrées sur la période janvier-septembre sont en recul de 0,9 % en 2016 par rapport aux trois premiers trimestres de 2015 : une première depuis cinq ans, puisque les ventes augmentaient régulièrement entre 2011 et 2015. Inquiets, les concessionnaires se disent désormais obligés d’appliquer une stratégie de crise : réduire marges et dépenses, limiter les investissements et mettre en place une stratégie marketing plus agressive et des offres de garantie et d’entretien plus alléchantes pour fidéliser leur clientèle. Malgré leurs efforts, tous ceux qui ont été interrogés par Le Commerce du Levant pour ce bilan annuel de l’état du secteur s’attendent toutefois à ce que cette morosité se poursuive.

Un marché essoufflé

Avec l’immatriculation de 28 579 voitures particulières entre janvier et septembre cette année contre 29 170 voitures particulières immatriculées sur la même période en 2015, « l’essoufflement se prolonge (…) La baisse sera de 2 à 3 % sur l’ensemble de l’année », s’alarme Antoine Boukather, président de l’AIA. Par comparaison, les ventes de voitures commerciales ont augmenté de 1 666 en 2015 à 1 973 en 2016 sur la période janvier-septembre, soit une augmentation de 29 % depuis 2009 expliquée par l’AIA comme la conséquence de l’arrivée sur le marché de nouveaux modèles chinois (voir encadré). La vente des voitures particulières, elle, continue de subir les effets de la crise.
Malgré l’absence de politique publique d’investissement dans les transports en commun qui constitue une subvention indirecte au secteur, celui-ci subit de plein fouet la baisse du pouvoir d’achat liée à l’instabilité politique et économique libanaise et à la situation difficile dans laquelle se trouve l’ensemble de la région. « Nous sommes fortement affectés par la crise importée des pays du Golfe qui souffrent de la baisse du pétrole », complète Pierre Heneiné, directeur financier chez Bassoul-Heneiné représentant les marques Renault, Dacia, BMW, Alfa Romeo, Mini et Rolls Royce, avec 9,21 % de parts de marché en 2016.
Selon Antoine Boukather, l’incertitude est d’autant plus compliquée à gérer que la pratique du secteur consiste à procéder à des commandes à un an ou deux ans. « Si je dois commander des véhicules pour décembre 2017, mes prévisions ne seront pas les mêmes si un président est finalement élu ou pas… Mais comment savoir ? »

Resserrement des conditions de crédit

La décision de resserrer les conditions de crédit, adoptée en 2015, affecte aussi les ventes – une circulaire de la Banque centrale impose un apport minimal de 25 % pour toute demande de crédit automobile, afin de limiter le risque de surendettement des ménages. « Cette mesure a porté un coup », affirme Pierre Heneiné, à l’instar de nombreux concessionnaires. Même si l’AIA en reconnaît l’utilité : « Il fallait en passer par là pour permettre aux banques de se sécuriser dans le cas où un prêt n’est pas remboursé sur un produit qui se déprécie vite avec les années. »

La cote des entrées de gamme

Les restrictions de crédit combinées à la baisse du pouvoir d’achat se traduisent inévitablement par une baisse des budgets alloués à l’achat de voitures neuves. « Les volumes sont stables en termes d’unités vendues. Mais les gens achètent des voitures moins chères », explique Anthony Boukather, PDG du groupe A.N. Boukather représentant la marque Mazda avec 2,25 % des parts de marché en 2016.
Avec un budget moyen entre 10 000 et 15 000 dollars, les voitures d’entrée de gamme ont ainsi la cote. « Avec l’augmentation du trafic routier et des travaux de construction, la baisse du nombre de parkings, la demande pour les plus petites voitures a progressé ces dix dernières années, et cette tendance continue visiblement à augmenter. Particulièrement avec la situation économique actuelle, les acheteurs deviennent plus sensibles au prix et recherchent de plus petites voitures », confirme Nabil Kettaneh, président du conseil d’administration de F.A. Kettaneh représentant Volkswagen, Audi et Skoda avec 2,44 % des parts de marché en 2016.
Pour Maria Rita Boustany, directrice du département marketing et ressources humaines chez BUMC, représentant les marques Toyota et Lexus avec 14,35 % des parts de marché en 2016, cette évolution du marché n’est pas seulement conjoncturelle. « L’absence de transports en commun au Liban explique l’affinité du marché pour les petits véhicules, qui sont le seul moyen pour se déplacer. »
Le marché semble toutefois très instable, avec d’importantes fluctuations comme le relève Marwan Naffi, directeur général des Établissements Gabriel Abou Adal, concessionnaire de Volvo (186 voitures vendues entre janvier et septembre 2016) : « Nos ventes étaient en baisse au premier semestre jusqu’au mois de juin qui a été très positif. Nous sommes en hausse depuis, avec des ventes record. 2015 était une année beaucoup moins fluctuante avec des ventes plus régulières et stables. »

Recul des deuxièmes mains

Selon Pierre Heneiné, ce passage à l’entrée de gamme est aussi dû au « transfert de la voiture d’occasion vers la voiture neuve ». Les deuxièmes mains importées continuent de représenter aujourd’hui entre 46 et 50 % des immatriculations, selon l’AIA, mais cette part est en légère baisse ces dernières années. « Une personne qui voulait se valoriser en achetant un véhicule allemand d’occasion préfère désormais, vu la crise, acheter un petit véhicule qui va consommer moins d’essence, bénéficier d’une garantie et coûter moins cher en maintenance », explique-t-il.
Une réorientation qui pousse la plupart des concessionnaires à aménager leurs gammes. « Alors que Volkswagen et Audi ont baissé respectivement de 36 et 23 %, pour Skoda, nous avons réussi à augmenter notre part de marché de 30 % par rapport à l’an dernier », témoigne Nabil Kettaneh. Avec Skoda, le groupe propose en effet des produits dès 13 900 dollars, mais passe la barre des 20 000 dollars en produits de milieu de gamme avec Volkswagen et Audi.
Si le milieu de gamme paye le prix de la situation, le segment du luxe semble en revanche se maintenir. « Aujourd’hui, les acheteurs attendent toujours une offre particulière pour faire un pas vers l’achat d’un véhicule désiré. En parallèle, nous sommes témoins d’une augmentation des ventes de SUV et des voitures de luxe », souligne Fayez Rasamny.
Représentant 1,5 % du marché et des budgets supérieurs à 100 000 dollars, il continue ainsi à résister à la crise malgré une légère baisse des ventes. Selon Nabil Bazerji, directeur général de G.A. Bazerji & Sons, représentant les marques Lancia et Maserati, 0,12 % de parts de marché en 2016 pour des budgets entre 80 000 et 150 000 dollars « le segment “premium” et “luxe” se maintient. Maserati a continué en 2016 sa progression en introduisant le nouveau SUV “Levante” qui vient étoffer la gamme existante ».

Stratégie de crise

Pour faire face à la situation et anticiper autant que possible le prolongement de cette phase de stagnation, les concessionnaires appliquent une stratégie de crise. « Moins de marge, plus de volume. On ne s’y retrouve pas, mais disons qu’on enraye une baisse trop forte », explique Pierre Heneiné, sans donner plus d’indications chiffrées.
Ils mettent également en place une politique marketing plus agressive et des offres commerciales alléchantes, l’idée étant de compenser en partie la baisse des marges par la garantie d’un volume de ventes de pièces de rechange et de maintenance. Pour la plupart des concessionnaires interrogés, les budgets marketing des entreprises n’ont ainsi pas été réduits, mais plutôt réorientés. « Nous pratiquons des offres spéciales ponctuelles », explique Pierre Heinené, selon qui les périodes de crise sont plus propices à des campagnes ciblées sur des modèles spécifiques plutôt qu’à de la publicité institutionnelle, voire multiproduits.
L’objectif est aussi la fidélisation des clients, avec des offres de garanties, d’entretien et de paiement élargies sur des périodes allant de deux à cinq ans, des services autrefois réservés aux marques haut de gamme ou de luxe.
Le travail se fait aussi auprès des banques. « Pour maintenir notre position, nous donner à nos clients des facilités financières, ce qui suppose de nous associer à des banques », témoigne Nabil Kettaneh. Les taux d’intérêt sont ainsi réduits au minimum : « Par exemple, nous avons un taux d’intérêt de 0,99 % sur cinq ans, ce qui a drastiquement réduit le coût du crédit pour le consommateur », explique Anthony Boukather.
Globalement, « nous mesurons davantage le retour sur investissement de nos stratégies de communication et nous misons beaucoup sur la fidélisation et la personnalisation », résume Maria Rita Boustany, pour BUMC.

Gargour récupère la distribution de Fiat

T. Gargour & Fils a repris la distribution au Liban des voitures de la marque Fiat, auparavant assurée par Saad et Trad. Aucun des deux concessionnaires contactés par Le Commerce du Levant n’a cependant souhaité commenter l’information. Gargour était déjà le distributeur de Chrysler qui a fusionné avec Fiat en 2014 pour constituer le septième constructeur automobile mondial.



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